Vivre et se laisser vivre quitte à s'aliéner, serait-il finalement l'essentiel de tout ? «Nous ne sommes que très peu de chose en vérité», c'est par cette phrase sentencieuse que le narrateur, dans le roman de Sofiane Hadjadj, entame son récit. Un postulat qui sonne comme «une musique austère mais authentique». Une réflexion autour de laquelle s'articule ce roman qui, au-delà des égarements de pensées et des confusions pousse à des interrogations : «A quoi bon vivre?» à titre d'exemple. Le roman de Sofiane Hadjadj, paru aux Editions Barzakh, est indéniablement et profondément à caractère existentiel. Un roman aux relents philosophiques pétri de confessions et d'états d'âme. Sur un fond de désespoir et de sentiment de déchéance, il nous est paradoxalement dressé le tableau de l'espoir, cette quête du bonheur à condition de voir les choses de manière positive, puis «plus loin que le bout de son nez». Dans une étrange demeure vit un drôle de personnage extravagant, à l'humeur maussade, appelé le «vieux professeur». Un reclus solitaire dont le quotidien est fait de tristesse et de désoeuvrement. Désillusions aussi. Un être dont la vie va se trouver chamboulée, transformée par la visite d'une jeune femme à la beauté singulière. Ce vieux professeur raconte sa rencontre avec cette frêle femme qui «se tient droit et ne fixe pas de limites aux choses». Aussitôt, «dingue» d'elle, il reprendra goût à la vie. Il renaîtra et sortira de sa réserve après 23 ans de réclusion. Nous prenant comme témoin mais aussi comme interlocuteur, il se plaît à disserter sur leurs discussions interminables et l'ambiguïté de leurs rapports, lui qui vit sur les vestiges du passé et se rappelle ses années de gloire. Puis, enfin, la sagesse de l'âge qui accule au renoncement et à l'oubli. Si l'un vit dans le passé, l'autre, une jeune e meurt dans son présent, si pesant et étouffant. Prenant la parole à son tour, elle décrit sa vie avec «baha» et l'amour «déraisonnable» qu'elle lui porte et pourtant «la seule arme qu'elle a pour ne pas sombrer dans une parfaite folie». Une étrange façon de lutter paradoxalement dans cette vie qui se joue de nous «comme un opéra bouffe, une sorte de comédie satirique et tragique à la fois». Enfin, une sorte de bouclier contre les vents et marées de l'existence. Cette «fille de l'eau et des nuages» va nous conter ainsi ses errances dans cette ville du bord de mer où règne une atmosphère froide et humide d'un mois de janvier, puis son incursion dans cet établissement pour malades mentaux, son voyage dans ce sombre couloir au sol revêtu de carreaux rouges, sorte d'intrusion dans le couloir de la mort (le purgatoire des aliénés) pour enfin arriver chez ce monsieur, «le cas», et tenter de sonder le mystérieux secret des fous. Elle, la journaliste, l'inquisitrice peut-être, qui s'immisce dans «des divagations diverses» de ce fou, trouvera-t-elle des réponses à ses questionnements? Et puis finalement une raison de vivre, et de continuer à exister? Pour justement ne pas sombrer totalement dans la folie. Ne dit-on pas que les fous vivent en paix? Et pour vivre pleinement, faut-il vivre follement? Assumez ses rêves, allez jusqu'au bout de ces derniers, jusqu'au bout de ses peines impliquent de ne pas chercher à les comprendre mais à les vivre tout simplement. Tout ceci ne peut être que supputations. Mais voilà «les gens les plus intéressants sont ceux qui souffrent dans cet espace flou, improbable : ni forts ni faibles, ni brutes indestructibles ni papillons fragiles, qui ne sont certes pas d'un charme exotique, mais qui ont juste le tort de se réveiller forts le matin et de se coucher parfois en pleurs, le soir», lit-on dans «Ce n'est pas moi». Ceci serait la «loi» de la nature humaine et nul ne peut aller contre. Tout comme la vie et la mort s'entrechoquent et s'entrecroisent en chacun de nous avec l'amour comme seul équilibre et peut-être seule échappatoire... Tant que le «je» reste ouvert sur la vie, «l'autre» est forcément en «moi». Dans ce roman où la littérature est l'un des principaux viatiques de notre vieux professeur, la musique a sa place de choix chez notre auteur qui parle de «tester la ligne de chant parfaite. Il s'agit d'agencer l'harmonie des voix qui s'entremêlent, se doublent, glissent l'une sur l'autre, si l'on veut parfaitement s'accorder à une personne». Aussi, l'obsession du temps, cet ennemi de l'éternelle jeunesse, se sent en filigrane dans l'écriture de Sofiane Hadjadj dont les descriptions renvoient en outre à la psychologie des êtres en général, «tel un hiver rude ou un printemps mélancolique» ou encore «ce soleil accablant au coeur d'une journée d'une chaleur suffocante d'un mois de juin». Dépassant le stade des nouvelles avec «la Loi» paru en 2000, Sofiane Hadjadj, qui dirige actuellement avec Selma Hellal les Editions Barzakh, a commis là, avec cette expérience romanesque, un livre fort intéressant. A lire et surtout à méditer.