M.Djamal Laïdouni, président du syndicat national des magistrats, a invité, lors de sa conférence de presse de lundi dernier, «les médias et les citoyens à dénoncer les cas de corruption sur la base d'informations en leur possession». Dans la forme, on ne peut que saluer une telle initiative. Pour le fond, on ne voit pas trop quel canal, doivent emprunter les informations qu'il demande. Par lettre? A quelle adresse? Par téléphone? A quel numéro? Faut-il décliner son identité ou pas? Quelle suite attend les médias et les citoyens qui répondraient à l'appel de M.Laïdouni? Feront-ils l'objet d'une convocation de la justice? Remarquez, M.Laïdouni n'a pas parlé de «preuves» mais «d'informations». Mais en estimant «que l'ouverture d'une enquête doit être systématique de la part du parquet», le président du SNM ne dit pas «autosaisine du parquet». Ce qui diffère d'une ouverture d'enquête qui comporte forcément de multiples auditions du témoin et sa présence tout au long de la procédure jusqu'au procès s'il y a lieu. De quoi décourager les meilleures bonnes volontés de ceux qui sont appelés «à dénoncer». Si M.Laïdouni ne veut pas que son appel soit interprété comme un simple effet d'annonce, il devrait être un peu plus précis. S'il s'agit de la corruption en milieu judiciaire, il faudra au préalable lever l'interdiction de contester ses décisions. La débusquer dans les recours (appels et cassations) qui offrent un moyen idéal. Sinon, et comme dans tous les autres secteurs, les signes extérieurs de richesse sont autant de débuts de preuves. Dans ce cas, les journalistes et les citoyens en ont à revendre de ces signes. Un fonctionnaire, qui avec son seul salaire mène un train de vie hors normes, construit une ou des maisons somptueuses, possède une ou des limousines, fête le mariage de ses enfants dans des palaces, passe régulièrement ses vacances en famille à l'étranger dans des stations huppées, ne peut certainement pas être au-dessus de tout soupçon. Si ces débuts de preuves devaient faire démarrer des enquêtes, M.Laïdouni peut être assuré de la plus forte participation citoyenne à l'oeuvre de salubrité publique qu'il semble engager. La participation sera si forte qu'il faudra renforcer les ressources humaines pour la captation de l'afflux massif des cas visibles à l'oeil nu. Restons optimistes pour croire que c'est à ce genre «d'informations» que pensait M. Laïdouni en lançant son appel. Ceci dit, l'appel en question pose un autre problème. Le syndicat des magistrats, comme tous les autres syndicats, a comme prérogatives la défense des intérêts moraux et matériels de la corporation. L'application des lois et des procédures lui échappe. Or, son appel s'inscrit dans cette application. Malheureusement, on retombe dans l'effet d'annonce. Il n'empêche que le long détour que nous avons effectué avant le brutal «atterrissage» valait la peine. Tout ce qui peut aider à la réactivation du débat, sur les moyens de lutte contre la corruption qui gangrène notre corps social, est à prendre. Le phénomène a pris, avec le temps, les proportions d'un fléau. Ce qui, hier, pouvait être combattu au même titre qu'un vol à l'étalage, devient aujourd'hui de la taille du plus ignoble des crimes. Des voix commencent à se faire entendre sur la peine capitale à restaurer dans certains cas comme les viols d'enfants, les kidnappings. Pour la corruption, on sent que beaucoup trouvent qu'elle est bien là où elle est, sous le tapis. Alors, de grâce M.Laïdouni, expliquez votre «sortie» sur la corruption pour éviter toute méprise sur son bien-fondé. Un chasseur ne crie jamais «au loup!», il le neutralise. La corruption est si visible chez nous que la localiser devient un jeu d'enfant. Il suffit juste que la justice ait la main lourde pour que le fléau recule!