oeuvres de Kader Attia Offrant un véritable dialogue entre les deux rives de la Méditerranée, cette expo à laquelle cinq Algériens prennent part, déclinée sur trois étages, est à visiter impérativement. Zehira Yahi, la chef de cabinet du ministère de la Culture se serait déplacée, paraît-il, le 10 janvier à Marseille pour ne pas rater son vernissage. Sans doute afin de représenter l'autre rive de la Méditerranée. L'expo, qui se tient à Friche la belle de mai, réunit 39 artistes originaires des pays du pourtour de la Méditerranée dont cinq sont nés en Algérie ou sont d'origine algérienne. Le titre de l'expo «Ici, ailleurs» renvoie à la disponibilité à toutes sortes de migrations possibles. Sans renier leurs origines culturelles, les artistes revendiquent, lit-on sur le catalogue, plusieurs points d'ancrage (lire attentivement la prochaine interview avec Djamel Kokène Ndlr). Ces artistes sont d'ici et d'ailleurs donc, certains sont nés en Algérie, vivent en France, mais travaillent désormais un peu partout dans le monde, l'art étant par essence universel et sans frontière. 29 oeuvres inédites ont été menées à bien (peintures, photographies, sculptures, films et installations vidéos, des plus courts (3 mn, aux plus longues 40 mn). «Sur les 38 oeuvres, il y a une dizaine qui sont récentes et qui n'ont pas été réalisées pour Marseille-Province, mais trouvaient tout à fait leur place ici», a déclaré la commissaire de l'expo, Juliette Laffon. Les oeuvres présentées développant pour la plupart d'entre elles une réflexion critique sur le monde et la société, traitent du voyage, témoignent de l'expérience de l'exil et de l'émigration, interrogent les notions d'identité et de citoyenneté, explorent les questions de genre et le rapport à l'autre. Elles se sont emparé des problèmes sociaux, politiques, environnementaux, offrant une relecture de l'histoire. L'expo qui s'étale sur trois étages, se décline en trois différentes thématiques: «Le voyage, le déplacement, l'exil», ensuite «l'histoire au présent, le monde en question» et enfin «La mémoire, la transmission». Dans la première catégorie, l'Egyptien Youssef Nabil donne à voir 12 autoportraits baptisés Self-Portrait, Marseille 2011. Plusieurs photos s'inscrivent dans le cadre d'un travail qu'il a engagé en 2003, après avoir quitté l'Egypte. Il s'apparente à un journal intime de son itinéraire à travers le monde suite à des résidences ou expos. Il s'est photographié à Marseille, au gré de ses promenades, vêtu d'une djellaba. Le plus souvent de dos, il nous donne à voir le paysage qui s'offre à lui. Ses tirages argentiques sont peints à la main selon une technique apprise en Egypte auprès de «coloristes»une affiche de cinéma, ce qui confère une certaine nostalgie à ces photos surannées dignes de l'âge d'or du 7e art d'Oum eddounia. Jugée au deuxième étage, et faisant partie de la seconde thématique est l'expo de Djamel Kokène que les amateurs d'art contemporain algériens connaissent sans doute bien. Souvenez vous de sa revue plate-forme d'art Check point! (un prochain numéro sortira bientôt). Pour cette expo, Djamel Kokène nous invite à apprécier (Double bind) une sculpture qui est la reproduction à l'identique d'une tranche du tribunal de Marseille découpée en diagonale. Une oeuvre qui interroge la notion de justice, mais également la notion de frontières avec un dessin sur le mur qui reproduit la crête de cette sculpture. Une oeuvre réalisée dans le cadre des ateliers de l'Euro-Méditerranée. Kader Attia, pour sa part, nous propose un beau collage de la série Following the modern genealogy (2012). Un rapprochement entre Le Corbusier et une ville orientale. On reconnaît ici, dans cette affiche touristique signée Air Algérie, une vue sur l'architecture du M'Zab. Son expo interroge le rapport entre tradition et modernité. Kader Attia rapproche l'architecture algérienne du monde avec l'architecture de Le Corbusier. Ainsi, dans ce collage, constitué de documents orignaux et de photographies anciennes en noir et blanc, Kader Attia instaure à partir des réalisations de Le Corbusier et de Fernand Pouillon un dialogue entre Marseille et Alger. «Ajouter à cela cette nouvelle sculpture, puisque tout son travail consiste à faire état de son sentiment, convaincu du fait que le projet initial de Le Corbusier a été dévoyé, trahi, comme illustré par ce grand ensemble de barres de fer, notamment de la banlieue parisienne dans laquelle il a été élevé», a expliqué la commissaire de l'expo. Ne derogeant pas à la règle, Zineb Sédira, dont la démarche s'articule autour de la «mémoire et la transmission» propose ici une installation vidéo sur deux écrans alliant récits et images. Baptisée «Transmettre en abîme», elle se base sur la collection du photographe Marcel Baudelaire que les archives de la famille Detaille ont acquises en 1995. Ces photos mettaient en exergue les entrées et sorties des bateaux dans le port de Marseille. La vidéo de gauche permet, par le biais de Zineb Sedira, qui égrène une à une ces photos en noir et blanc, de connaître le nom des divers pays qui ont fait escale à Marseille. Celle de droite met en scène l'artiste elle même en entretien avec la responsable de la galerie de Marseille, Hélène Detaille, qui la renseigne sur l'activité du port de Marseille depuis la fin du XIXe siècle, ses transformations, sa modernisation ainsi que sur l'évolution des bateaux. Une démarche qui vient en amont à son travail déjà consacré aux archives de Mohamed Kouaci et aux images prises de deux phares du littoral algérien. Né en 1958 à Constantine, diplômé de l'Ecole des beaux-arts d'Alger, puis de l'Ecole d'art de Luminy à Marseille, Yazid Oulab, qui vit et travaille dans la cité phocéenne depuis 1988, a choisi pour sa part, non pas l'exploration extérieure mais intérieure! Son expo relève, faut-il le noter, de la catégorie «l'histoire au présent, le monde en question».Pour lui, le combat que l'homme doit affronter, c'est d'abord un combat contre lui même. Il a tenté de souligner dans cet espace très obscur qui est en liaison suppose t-on avec les soufis, les élévations spirituelles et mystiques. «Tout mon travail est une réflexion politique sur la mémoire tronquée de l'Algérie dont le passé culturel et philosophique est occulté, comme si tout avait commencé avec la Guerre d'Algérie. Je veux montrer que d'autres racines nous nourrissent» faisait remarquer le plasticien en 2003. Dans «La Halte», nous nous retrouvons dans une salle fermée, tapissée du sol au plafond d'un tissu de camouflage qui rappelle le vêtement militaire. Sur le mur face à l'entrée, un écran diffusant une vidéo montrant en gros plan la main du joueur frappant sur le tambourin. Sur le mur de droite, trois choses évoquent des meurtrières dotées chacune d'un miroir qui renvoie au spectateur sa propre image, lui signifiant qu'il est son propre ennemi. A gauche, un ensemble de flûtes en bambou dessine une onde musicale. Posé dans coin, un fusil transformé en flûte, évoque par excellence cette arme qui doit d'être annihilée par la méditation sur soi-même en se faisant violence contre la violence qui est-en nous, comme les soufis. Après la mer et l'âme, place maintenant au cosmos. C'est ce que nous invite à découvrir enfin Fayçal Baghriche, artiste plasticien algérien né en 1972 à Skikda. Dans son installation «Half of what you see» inspirée de la célèbre phrase de Benjamin Franklin «believe half of what you see and none what of what you hear» (ne croyez que la moitié de ce que vous voyez et rien de ce que vous entendez), Fayçal Baghriche a mis en place un décor dépouillé au centre duquel, dans l'obscurité au plafond, tourne sur son axe, une boule à facettes dont une endommagée rappelle les crevasses des cratères de la lune. L'artiste reconstitue ici, de façon poétique en fait, toute la mécanique céleste ou presque (le croissant, la pleine lune, l'éclipse solaire etc). D'autres oeuvres des plus magnifiques, étonnantes et énigmatiques, enrichissent cette expo. Alors, si vous êtes à Marseille, n'hésitez pas à vous y rendre! Vous avez jusqu'au 31 mai.