Dans un véritable réquisitoire sur le livre noir de la colonisation, on ne peut pas oublier - au nom du politiquement correct -, le supplice de 200 Algériens, coupables d'aimer leur pays à en mourir, de la façon la plus abjecte et indigne, par la guillotine. Ce devoir d'inventaire nécessaire ne doit pas rester à l'étude, un jour, le plus tard possible - par les historiens dont on se demande quel sera leur apport - étant entendu que d'une part les faits avérés sont indiscutables, d'autre part, à trop différer la «mise au point», les événements n'auront plus la même dimension en termes de ressenti. Qui se souciera dans vingt ans du supplice de ces jeunes idéalistes qui ont donné leur vie pour ce pays, si nous ne leur rendons pas justice ici et maintenant, le Cinquantenaire de l'indépendance est une halte, un moment qui n'est pas seulement celui de fêter une zerda, en couvrant d'une chape de plomb une des dimensions du drame de la Révolution. C'est aussi une communion. Il est impossible dans le cadre de cette petite réflexion de faire un catalogue à la Prévert de toutes les exécutions au petit matin, mais nous allons en citer quelques-unes, en plantant le décor macabre: ceux qui ont décidé de la mise à mort, ceux qui la donnent et naturellement ceux qui ont été guillotinés. Les donneurs d'ordre de la mise à mort Ils furent nombreux! De Lacoste à De Gaulle, ils justifièrent leur politique mortifère par le fait qu'il fallait casser le FLN... Mais l'histoire retiendra particulièrement, l'acharnement de l'un d'entre eux, en l'occurrence François Mitterrand; acharnement d'autant plus incompréhensible qu'il fut aussi partisan de l'abolition de la peine de mort, il est vrai que le remords le prit près d'un quart de siècle plus tard. Pendant la guerre d'indépendance algérienne, de 1954 à 1962, plus de 1 500 condamnations à mort furent prononcées par la justice française. En 2001, après avoir pu consulter le «registre des grâces» qui répertoriait les noms des condamnés à mort, deux journalistes parvenaient au total de 222 militants du FLN exécutés entre 1956 et 1962, «le plus souvent au terme d'une parodie de justice». Au matin du 19 juin 1956, dans la cour de la prison Barberousse, à Alger, le couperet de la guillotine tombe sur le cou de Mohamed Ben Zabana, un ouvrier soudeur de 30 ans. Le militant, rendu infirme par plusieurs blessures, est livré au bourreau malgré l'intervention désespérée de l'archevêque d'Alger, Mgr Duval, auprès du ministre résident, Robert Lacoste. Puis ce fut Abdelkader Ferradj, 35 ans. Ce sont les deux premiers martyrs de la cause algérienne. Il y en aura d'autres, beaucoup d'autres, tout au long de la guerre, condamnés à mort et exécutés par la justice de la République.(1) «Bien plus tard, le 9 octobre 1981, François Mitterrand obtenait l'abolition de la peine de mort. Vingt-cinq ans plus tôt, ministre de la Justice du gouvernement de Guy Mollet, il approuvait les premières exécutions capitales de militants du FLN. L'examen d'archives inédites montre que Mitterrand, dans la majorité des cas, donna un avis défavorable à la grâce de ces condamnés. «Avis défavorable au recours» ou encore «Recours à rejeter»: ces deux formules tracées à l'encre bleue ont la préférence de François Mitterrand quand, garde des Sceaux, il décide de donner un avis défavorable au recours en grâce des condamnés à mort du FLN dont les dossiers lui sont soumis. René Coty, président de la République - et décideur ultime -, préfère barrer d'un long trait noir la première page et indiquer sur l'autre, d'une écriture ronde d'enfant, qu'il laissera «la justice suivra son cours».(1) «Ce furent de l'avis des avocats, des dossiers bâclés, il fallait guillotiner et vite pour répondre à une «demande» «(...) Le plus surprenant lit-on, c'est surtout la minceur de ces dossiers liés à la Guerre d'Algérie: lorsqu'on les voit pour la première fois, entassés sur la longue table du service des archives de la chancellerie, on constate rapidement qu'il faut empiler au moins une vingtaine d'exécutions capitales en Algérie pour obtenir un dossier aussi épais que celui d'un obscur droit commun de métropole. Quelques feuillets, deux ou trois bristols griffonnés de mains illustres ont donc suffi à mener, le plus souvent, au terme d'une parodie de justice, 222 hommes à la mort en cinq ans. Ce chiffre - également inédit - est considérable. Il représente le quart de l'épuration officielle de la Seconde Guerre mondiale, et donne à lui seul la mesure du mensonge qui a entouré cette période. (...) Quand François Mitterrand revient aux affaires, il sait qu'il va falloir donner des gages aux Européens d'Algérie. Ceux-ci, excédés par les actions du FLN, ne demandent qu'une chose: des têtes. Car, si de nombreuses condamnations à mort ont été prononcées, aucune n'a encore été exécutée.» (1) «La première concession intervient cinq semaines plus tard, sous la signature de quatre ministres, dont François Mitterrand: le 17 mars 1956 sont publiées au Journal officiel les lois 56-268 et 56-269, qui permettent de condamner à mort les membres du FLN pris les armes à la main, sans instruction préalable. Pourtant avocat de formation, François Mitterrand accepte d'endosser ce texte terrible. Du coup, le nombre des condamnations à mort va s'envoler. Il y en aura plus de 1 500 durant les «événements». Car il ne s'agit pas d'une guerre et on ne reconnaît pas le statut de combattant aux militants du FLN. Ils sont jugés comme des criminels. Mais, à Alger, en ce printemps de 1956, on ne se contente plus de mots. Et le 19 juin, les deux premiers «rebelles» sont conduits à l'échafaud.» (1) «Comment ont-ils été choisis parmi les quelque 150 hommes déjà condamnés? Le 14 janvier 1998, Sylvie Thénault, historienne, a interrogé dans le cadre de sa thèse Pierre Nicolaï, à l'époque directeur de cabinet de François Mitterrand: «Pierre Nicolaï témoigne aujourd'hui, écrit-elle, que la décision d'exécuter a été une «décision politique» et qu'il lui fut demandé de choisir parmi les dossiers de recours en grâce un «type» mêlant «crapulerie» et «politique», «un type particulièrement épouvantable» pour «inaugurer la série des exécutions» sans déclencher trop de polémiques.» Pour le «politique», difficile de fournir martyr plus idéal à la révolution algérienne que Mohamed Ben Zabana. Cet ouvrier soudeur de 30 ans est un vieux routier des geôles françaises, dans lesquelles il a passé trois années entre 1950 et 1953 pour ses activités nationalistes. Mais si Mgr Duval, l'archevêque d'Alger, demande à Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, de suspendre l'exécution, c'est pour une autre raison: «C'est un infirme que vous allez exécuter» plaide-t-il. C'est sa tête que fera tomber la première le bourreau d'Alger à 4 heures du matin, ce 19 juin 1956, dans la cour de la prison de Barberousse, à Alger. Celle d'Abdelkader Ferradj suit sept minutes plus tard. Chacune de ces exécutions va pourtant peser très lourd. Car le FLN a prévenu: si des condamnés à mort sont guillotinés, il y aura des représailles. (..)» (2) Aussitôt, Abane Ramdane et Larbi Ben M'hidi, arrivés depuis peu à Alger, rédigent un tract menaçant: «Pour chaque maquisard guillotiné, cent Français seront abattus.» C'est l'enclenchement de la bataille d'Alger. «Le 7 janvier 1957, un autre pas est franchi par le gouvernement auquel appartient François Mitterrand: il donne tous pouvoirs au général Massu et à sa 10e division parachutiste pour briser le FLN d'Alger. Les militaires gagneront la «bataille d'Alger», mais on sait à quel prix: torture systématique et plus de 3000 exécutions sommaires. La guillotine, elle, s'emballe: «Chiffre jamais atteint jusqu'ici, 16 exécutions capitales ont eu lieu en Algérie du 3 au 12 février», écrit France-Observateur. Quand il quitte son bureau de la place Vendôme, le 21 mai 1957, le gouvernement de Guy Mollet cédant la place à celui de Maurice Bourgès-Maunoury, 45 condamnés à mort ont été exécutés en 16 mois. (...) Ce n'est qu'à quelques semaines de l'élection présidentielle, le 16 mars 1981, que François Mitterrand se prononce enfin sur le sujet: «Je ne suis pas favorable à la peine de mort [...] ma disposition est celle d'un homme qui ne ferait pas procéder à des exécutions capitales.» (2) L'ignoble besogne des bourreaux de la République Qui sont ces bourreaux chargés d'ôter la vie pour le compte de la République? Un personnage revendique. Fernand Meyssonnier, né le 14 juin 1931 à Alger, en Algérie, et mort le 8 août 2008, était un des derniers bourreaux en France en charge de l'exécution de la peine capitale en Algérie française. Jusqu'en1959, Fernand Meyssonnier participa à l'exécution de près de deux cents condamnés (dont deux en tant que remplaçant de son père). À partir de 1959, les exécutions capitales cessèrent en Algérie. Catherine Simon, journaliste du Monde l'a interviewé et en parle: «De Fernand Yveton, militant communiste, guillotiné à l'aube du 11 février 1957, à Alger, il ne se rappelle rien, ou presque. il est mort «courageusement». Parole de bourreau. (...) Pour sa part, Meyssonnier junior, adjoint bénévole à partir de 1948, a exécuté en vingt ans quelque 200 personnes - la plupart durant la Guerre d'Algérie. Ce qu'il résume à sa façon: «Pendant le FLN, c'était à la chaîne (...) La seule chose qui l'anime, qui l'enflamme, c'est de parler de la guillotine. C'est sa spécialité. Et de l'Algérie de sa jeunesse, une Algérie française, pleine de soleil et de cruautés, où il n'y avait pas de guerre. (..) Etrange «opération» que celle qui consiste à infliger la mort à l'un de ses semblables. Froidement, avec méthode, en chemise blanche et cravate noire. «Quand on fait tomber la lame, c'est comme un film à toute vitesse. En deux secondes, tout est fini. Ça donne un sentiment de puissance.»» (3) «A Fontaine-de-Vaucluse, dans un coin du salon, Fernand Meyssonnier a installé sa guillotine miniature - celle offerte à son père. Dans le petit panier d'osier posé au pied de la machine, il a mis une paire de lunettes. Non, pas les siennes, mais celles d'un Algérien décapité pendant la guerre. Sur le coup, il a du mal à se rappeler son nom. «C'est celui qui préparait les bombes, vous savez? On l'avait surnommé le chimiste. C'est moi qui lui ai retiré ses lunettes. Je les ai gardées en souvenir», explique l'ancien bourreau. La famille d'Abderrahmane Taleb, combattant du FLN, guillotiné le 24 avril 1958, à Alger, n'en a sans doute jamais rien su. Ce n'est pas la seule relique que Fernand Meyssonnier ait gardée près de lui. (..) Payés au mois, quel que soit le nombre des exécutions, les employés de la guillotine ont même, «événements» obligent, bénéficié en Algérie d'une «prime de risque» et d'une «prime de tête»... (...) Il pense aussi à la mort de certains condamnés. Il y en a trois, pas plus, à propos desquels il se dit «troublé»: Fernand Yveton, le communiste, Abderrahmane Taleb, le «chimiste», et Madeleine.» (3) Le 3 avril 2012, sa collection personnelle de 350 instruments de torture devait être mise aux enchères à Paris, sous l'intitulé «Peines et châtiments d'autrefois». L'événement ayant cependant suscité un certain tollé, il a été annulé par Frédéric Mitterrand ministre de la Culture et neveu de François Mitterrand Les suppliciés Nous en citerons deux: Ahmed Zahana est né en 1926 dans le douar d'El Ksar près de Zahana plus connu sous le nom de Zabana, est un indépendantiste algérien ayant participé au déclenchement de la guerre de libération du 1er-Novembre 1954 dans la région d'Oran. Le 8 novembre 1954, Ahmed Zabana fut capturé par les troupes françaises après avoir été atteint de deux balles, il fut le premier exécuté. Le vice-président de l'association des résistants et ayants droit de la wilaya d'Oran, M.Mohamed Benaboura, reprendra les paroles du bourreau Meyssonnier qui disait à propos de Ahmed Zabana «il s'est dirigé à l'échafaud avec un courage qui m'a effrayé». Abderrahmane Taleb, né le 5 mars 1930 dans la Casbah d'Alger, d'une famille originaire d'Azeffoun en Grande-Kabylie, guillotiné le 24 avril 1958 à la prison de Barberousse (Alger), est le «chimiste» de la bataille d'Alger de 1957. Etudiant en chimie, il intègre le FLN en 1955. Appréhendé en juin 1957 au sud de Blida par le 3e R.P.C. Considéré comme le chimiste du «réseau bombes» de Yacef Saâdi durant la bataille d'Alger, il est condamné à mort pour la troisième fois par le tribunal des forces armées d'Alger et sera exécuté. Lors d'un hommage aux moudjahidine et anciens condamnés à mort rendu par l'association Machaâl Echahid, Mustafa Boudina, lui-même ancien condamné à mort, relate d'une façon poignante à glacer le sang, le type de dialogue à l'approche de la guillotine. Ecoutons-le: «Il évoquera ainsi la période vécue avec un condamné à mort exécuté dans une prison de Lyon en France. Il s'agit de Lekhlifi Abderahmane, exécuté le 30 juillet 1960. Arrêté à 19 ans, puis torturé et jugé par le tribunal militaire en France. Par bribes, M.Boudina relatera les derniers jours de Lekhlifi vécus dans le couloir de la mort. «Nous ne voulions pas céder à la solitude et au désespoir, au contraire, nous utilisions à titre d'exemple l'instruction dans la prison comme moyen de lutte contre la mort... Nous vivions dans la crainte de nous endormir et de ne pas être éveillés au moment où les gardiens de prison viendraient nous chercher à l'aube pour l'exécution... A l'aube du jour de l'exécution de Lekhlifi, ce dernier, entendant la porte de la geôle grincer, a cru bon de m'avertir en criant. Mais en fait, ils étaient là pour lui...Après son exécution, un gardien de la prison est venu nous apprendre que notre compagnon a été digne jusqu'au bout, refusant la cigarette de l'officier français et déclarant à l'imam venu pour la circonstance que s'il était un bon musulman il devrait plutôt être au maquis.» (4) Imaginons l'angoisse, la terreur, et le désespoir de ceux qui vivent ces instants. Abdelkader Guerroudj, dit «Lucien», chef de la branche armée du Parti communiste algérien, et sa femme, Jacqueline, condamnés à mort, graciés, puis libérés en 1962 étaient aux premières loges à Barberousse. «A chaque exécution dit-il, toute la casbah hurlait. Les cris des prisonniers, les chants qui s'élevaient de toutes les cellules, glaçaient le quartier. Les premiers youyous retentissent, repris par toute la Casbah au comble de la peine. Les derniers instants des 220 suppliciés, nous devrons les entendre, tous ensemble, nous recueillir et communier. C'est tout cela que nous devons exorciser, il est immoral de tourner cette page saignante. Non, la colonisation - encore une fois - ne fut pas une oeuvre positive. 1. La guillotine et la guerre d'Algérie http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2798 23 juillet 2008 2. François Malye et Philippe Oudart, Les guillotinés de Mitterrand Le Point, 31 août 2001 3. http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/ 2002/09/16/le-bourreau-d-alger_290493_ 3208.html 4. http://www.lesoirdalgerie.com/articles/ 2008/06/18/article.php?sid=69733&cid=2