«On se conduit dans la vie comme on conduit sur la route» Kurzas Les gens qui ont un tant soit peu le sens rassis vous diront que l'Algérie n'a point profité de son pétrole et qu'elle n'a pas réussi à se tailler un développement harmonieux à l'instar des nations européennes qui ont fait de l'accumulation primitive générée par l'agriculture un tremplin pour leur industrie. Le projet Valhyd n'est qu'un souvenir. A la place, les planificateurs du «petit bonheur la chance» ont transformé n'importe quel itinéraire en un véritable cauchemar où les voitures d'un luxe insultant disputent les bretelles aux corbillards banalisés. Pas moins de 300.000 véhicules se disputent le droit d'entrer chaque jour dans une capitale asphyxiée par un exercice auquel elle n'est point préparée! C'est une illusion de développement que l'on donne en alignant plus de soixante marques de véhicules fabriqués à l'étranger. Et sur la route, c'est la loi de la jungle. Le pénible exercice auquel s'astreint chaque jour le conducteur modèle, respectueux du Code de la route, l'amène souvent à faire une analyse de la société et à tirer des conclusions négatives qui se traduisent par des généralisations pas toujours hâtives. Cela me conduit à raconter l'histoire d'un honnête père de famille, respectueux des règlements qui encadrent la société. C'était d'ailleurs un travailleur modèle, sérieux. Il arrivait toujours le premier au travail et il était le dernier à quitter son atelier de mécanique. Et il ne le quittait qu'après avoir nettoyé et mis en ordre tous les outils hâtivement abandonnés par des ouvriers pressés d'arriver chez eux. Bien que ne pouvant pas écrire une lettre, ce mécanicien hors catégorie parvenait à déchiffrer le journal. Cela ne l'a pas empêché de devenir dans l'entreprise étrangère où il avait atterri, chef d'atelier. Son sérieux et sa compétence lui avaient valu l'estime et la considération de ses employeurs. Mais ce brave homme n'avait pas la fibre patriotique: dès le lendemain de l'indépendance, il songea à partir en France pour y continuer sa carrière. Ce fut son épouse qui le retint avec les arguments que seules les femmes peuvent développer. Cela provoqua un conflit entre les deux époux à tel point qu'un jour, ce brave homme se confia à moi. Tout en ayant un oeil sur le rétroviseur et l'autre sur la route devant lui, il me murmura timidement: «Tu sais Titus (c'est ainsi qu'il m'appelait), ce n'est pas que je n'aime pas mon pays, mais je ne peux pas supporter la conduite de la majorité de ses habitants. Regarde la circulation: tous essaient d'arriver avant les autres. Regarde celui-ci avec sa minable trottinette, il slalome entre les voitures, change de file sans clignoter. Il fait mille et une queues de poisson. Il se croit chez lui. Le chauffard, ce n'est pas seulement celui qui ne respecte pas le Code de la route en transgressant les règlements, mettant ainsi en danger la vie d'autrui. Ce n'est pas seulement celui qui est maladroit au volant, c'est surtout le sans-gêne qui se croit plus malin que les autres. D'ailleurs, la même personne qui se conduit mal sur la route, se conduira mal partout. C'est la même personne qui grille le feu rouge ou la priorité, qui grillera la queue au nez et à la barbe des gens respectueux de l'ordre. Et cela, c'est ce qui est visible! Dieu seul sait ce qu'il peut faire pour arriver à ses fins. Dans son travail, il sera capable de toutes les magouilles et les compromis possibles pour s'en sortir...Et tu veux que moi, je supporte tout cela! Et ne me raconte surtout pas que cela va changer demain. Demain, ce sera pire. C'est moi qui te le dis...» J'étais resté sans voix. Il avait raison. Le mépris de la loi et des règlements est l'apanage de beaucoup qui croient, chacun à son niveau, que la loi est pour les autres. Le brave homme, le travailleur modèle respectueux du travail bien fait et de l'ordre, finira par quitter le pays à l'âge de cinquante-deux ans, avec son épouse et ses quatre enfants. A présent, il mène une vie de grand-père tranquille sous un ciel plus clément.