lorsque la passion est saine, la mémoire vivace et que surtout la conscience se prend à témoigner de la vérité historique, la fortune de l'homme acteur n'a pas de prix. Aussi, dois-je souligner que Mohand Akli Benyounès, né le 13 novembre 1936 à Aïn el Hammam, auteur de Sept ans dans le feu du combat, La Guerre d'Algérie en France 1954-1962 (*), nous propose, à son corps défendant, un exemple illustratif de la réflexion ci-dessus. Je dois également souligner qu'il a, par ailleurs, déclaré en toute humilité: «Je ne suis pas historien.» Autrement dit, il a fait oeuvre de militant nationaliste, acteur efficace parmi les glorieux militants au sein de la Fédération du FLN en France pour porter la guerre de libération sur le territoire de la puissance coloniale. Ce travail d'écriture est un rappel précis, détaillé et objectif de la lutte structurée de notre émigration à l'étranger et, spécialement, en France, durant la guerre d'indépendance. Il éclaire bien des événements de la partie complémentaire de l'histoire de notre Révolution et qui sont autant de faits historiques indélébilement marqués sur le sol de France, confirmant là excellemment la justesse du combat du peuple algérien qui a, à ses côtés, trouvé un grand nombre de militants français épris de justice et favorables aux aspirations populaires et légitimes des peuples colonisés. Le souvenir d'une période exaltante Cependant, si Mohand Akli Benyounès n'est pas historien, d'avoir eu, en France, un parcours militant reconnu par ses pairs et exceptionnel par la richesse des informations historiques accumulées durant la lutte de libération, il est, à l'évidence, un témoin privilégié qui reste modeste dans ses affirmations à caractère personnel et fécond dans ses explications, ses analyses et ses justifications. Fidèle à ses principes louables, il prévient ses lecteurs par ces mots stricts et superbes, prononcés lors d'une dédicace de son ouvrage: «Je ne suis qu'un acteur vivant de cette période sanglante de notre Révolution.» De même il estime que «Tous les Moudjahidine encore en vie sont tenus d'apporter leurs témoignages pour que l'Histoire nationale ne soit pas écrite par d'autres. La mémoire flanche et c'est pour cela que chacun de nous doit laisser un pan de son vécu.» Quoi qu'il en soit, il n'est pas spécialement demandé aux Moudjahidine et aux témoins de la lutte de libération nationale d'écrire ou même de «contribuer à l'écriture» stricto sensu de l'Histoire, car celle-ci, relevant des Sciences de l'Homme, nécessite, par exemple, une formation spécifique à l'étude des faits, à la critique historique et à l'écriture scientifique,... Elle réclame encore d'autres exigences que je ne saurais brièvement développer ici. La représentation du passé, disent les spécialistes de la question, n'est pas de la fiction, mais la reproduction certifiée exacte, effectuée sans fantaisie ni imagination dans un temps différent, avec la franchise d'une mémoire souveraine, c'est-à-dire insoumise à l'oubli. C'est pourquoi, Mohand Akli Benyounès semble fortement se soucier de son obligation d'être vrai, d'être véridique, sans jamais oublier, durant sa vie de militant clandestin, l'usage salvateur de sa double identité «Mazeïn Daniel, né à Metz en Moselle, le 20 janvier 1934 et celle de Menouar Moussa, né le 12 février 1933 à Sétif.» Indépendamment du rôle important auquel tant de circonstances historiques et humaines l'ont appelé durant les activités nationalistes de 1954 à 1962 en France, et qu'il a pu assumer, il met en avant les raisons qui l'ont incité à entreprendre la rédaction de ce livre: «J'ai décidé d'écrire pour ne pas perdre le souvenir d'une période exaltante et néanmoins cruelle. Les souvenirs s'estompent, mais on parvient à conserver ceux qui marquent l'esprit et le corps par leur intensité. [...] J'ai voulu, également, satisfaire la demande de nombreux de mes compagnons. [...] Il était indispensable de restituer la réalité des combattants de l'intérieur, ceux qui ont activé au coeur du théâtre des opérations, en territoire ennemi et dans une angoissante clandestinité. On a pu écrire, ici et là, sur le FLN en France, mais jamais à partir de l'expérience vécue sur le sol français. [...] D'autres combattants ont vécu aussi cette guerre. [...] Il va de soi, que j'ai, quant à moi, raconté exclusivement ce que j'ai vu, vécu et ressenti. [...] Ce qui confère à mon récit toute son authenticité. Je voulais, par ce travail, rendre hommage, à tous mes compagnons de lutte, mais aussi, à ceux que je n'ai pas côtoyés, mais qui ont mené le même combat. [...] Les combattants de la Fédération du FLN en France, en ouvrant un nouveau front sur le sol de l'ennemi, ont apporté une contribution déterminante à la victoire.» La mémoire au service de l'Histoire Il a fallu à l'auteur «trois années pour écrire ce livre», des recherches inlassables avec mise à contribution des «camarades de combat, reconstituer tous les hauts faits de cette guerre en territoire ennemi.», - les archives étant presque inexistantes, les documents originaux souvent dispersés ou détruits par précaution contre l'ennemi. C'est donc un travail minutieux de remémoration, un retour au passé à la recherche scrupuleuse des faits, des images, des paroles, en somme des «souvenirs» dont la reconnaissance est constamment soumise à la qualité sanitaire de la mémoire ni «empêchée», ni «manipulée», ni «obligée» et à la prise de conscience à l'instant de l'épreuve de vérité. Mohand Akli Benyounès se place naturellement élément central de son récit et en assume l'entière responsabilité. Le lecteur est guidé dans un récit palpitant, constamment captivant, grâce à une écriture simple et énergique qui a eu souvent raison de la complexité d'une explication difficile à présenter dès lors que le fait historique n'est pas tout à fait circonscrit dans son resurgissement du passé. Aussi, le chapitre intitulé Le commencement est-il une belle «chiquenaude» pour lancer le récit du parcours de Mohand Akli Benyounès: sa vraie vie, il la commence à «18 ans, en 1954, lorsqu'il rejoint son père à Saint-Denis, dans la banlieue parisienne. Il adhère immédiatement au FLN. Simple militant, il gravit tous les échelons pour parvenir à la responsabilité de coordonnateur des Wilayas de France, effectuant ce long parcours sans jamais avoir quitté le territoire français...» La mémoire va refaire l'Histoire, point par point: La grève des huit jours; La naissance de la Fédération du FLN en France; La lutte contre le MNA,... Le second front ou La journée du 25 août; quelques actions exemplaires du FLN,... Les harkis; La mutation dans la Wilaya de Lyon; Structure du FLN en France en la veille du 17 octobre 1961; Le 17 octobre 1961; Structure du FLN en France après le 17 octobre 1961; L'affaire Mourad; Vivre sur le terrain; Après 1962. En annexe, on trouve des informations qui sont autant de documents utiles: des listes de condamnés à mort, la composition de différents comités fédéraux du FLN (de 1954 à 1962), la liste des cadres permanents du FLN en France durant la guerre de libération (1954-1962), la confession de Mourad (qui pratiquait le «double-jeu»), établissement de faux-papiers et anecdotes de militants. Un index permet de retrouver les noms cités dans le corpus et, dans les pages centrales, une intéressante carte reproduisant quelques opérations menées par les commandos du FLN et des photos de l'auteur à différentes époques. Depuis 2004, Mohand Akli Benyounès est président de l'Association des Moudjahidine de la Fédération de France du FLN (1954-1962) et, depuis 2008, membre du Conseil de la nation au titre du tiers présidentiel. Il faut lire Sept ans dans le feu du combat, c'est la mémoire au service de la grande Histoire de la Révolution algérienne à méditer. Dans ce que dit la mémoire de Mohand Akli Benyounès, il y a de l'honnêteté, du scrupule et beaucoup de souvenirs dont le jeune Algérien sera fier. (*) SEPT ANS DANS LE FEU DU COMBAT de Mohand Akli Benyounès Casbah Editions, Alger, 2012, 215 pages.