Chokri Belaïd accompagé à sa dernière demeure par des milliers de Tunisiens L'armée tunisienne a encadré les funérailles qui se sont transformées en une manifestation populaire contre les islamistes au pouvoir. Des heurts ont opposé des manifestants à la police. Le pays a été paralysé par une grève générale lancée par l'Ugtt. Chokri Belaïd a été enterré en martyr. Des milliers de Tunisiens ont assisté aux obsèques de l'opposant Chokri Belaïd. Une foule d'au moins 10.000 personnes s'était rassemblée à Djebel Jelloud, un quartier de la banlieue sud de Tunis, pour assister aux funérailles dans l'après-midi de Chokri Belaïd, abattu de trois balles tirées à bout portant devant son domicile tunisois mercredi. Déchaînée, la foule a continué de scander des slogans contre le parti au pouvoir Ennahda, qu'elle accuse d'être derrière cet assassinat. Les youyous des femmes, des larmes, doublés de cris de colère et de slogans antigouvernementaux ont marqué les obsèques de l'opposant tunisien, Chokri Belaïd, qui se sont transformées en une manifestation populaire monstre contre les islamistes au pouvoir en Tunisie. Les manifestants ont crié leur colère contre le pouvoir islamiste, accusé de la crise sécuritaire et politique dans laquelle est plongée la Tunisie. «Le peuple veut une nouvelle révolution», «Rached Ghannouchi assassin» le chef d'Ennahda, le parti islamiste au pouvoir, «Ghannouchi prends tes chiens et pars» étaient les slogans des manifestants. Ils ont aussi repris en choeur l'hymne national et le slogan «Dégage, Dégage», les cris de ralliement pour les manifestants de la révolution de 2011 qui a renversé le régime de Zine El Abidine Ben Ali. Parmi la foule, la veuve du défunt, Besma, a levé deux doigts en signe de victoire. Mais la fille, âgée de huit ans, s'est évanouie sous le coup de l'émotion. Le chef d'état-major, Rachid Ammar, a fait le déplacement; cependant, il était le seul représentant officiel au cimetière, la famille du défunt ayant refusé la présence de représentants du gouvernement. Les différents partis d'opposition étaient à l'inverse représentés en nombre. «On a perdu un héros, c'est un héros pour tous les Tunisiens», a déclaré Beji Caïd Essebsi, qui avait dirigé un gouvernement post-révolutionnaire et est désormais le chef d'un parti d'opposition laïc. Les funérailles avaient ainsi un petit air de janvier 2011. Comme pendant la révolution du Jasmin, l'armée a dû être déployée dans les quatre coins de la Tunisie. Aux obsèques, les militaires, armes à la main, encadraient la procession, alors que des hélicoptères de l'armée survolaient Tunis. Cet encadrement de l'armée n'a pas empêché les débordements lors de ces funérailles. La police a dû recourir au gaz lacrymogène pour disperser des casseurs aux abords du cimetière où l'opposant Chokri Belaïd a été inhumé hier. Des groupes de casseurs ont voulu attaquer des voitures face au cimetière et la police les a dispersés, provoquant un bref mouvement de panique. Au centre de Tunis également, la police a recouru au gaz lacrymogène pour disperser des manifestants. Des camions de l'armée ont aussi été déployés tout au long de l'avenue Bourguiba, épicentre des heurts entre policiers et manifestants ces derniers jours, et qui ont déjà coûté la vie à un policier et plongé un autre dans le coma. Les militaires ont été également déployés dans les villes de Zarzis (Sud), autre point chaud près de la frontière libyenne, à Gafsa (Centre), et à Sidi Bouzid, berceau de la révolution de 2011, devant les principales administrations. Dans ces villes et ailleurs, des centaines de personnes défilaient en scandant «Assassins» et «Chokri repose-toi, on continuera ton combat». A Gafsa, de brèves escarmouches ont opposé la police à des manifestants qui lançaient des pierres sur un commissariat. Les manifestations qui ont débuté mercredi, se sont ainsi poursuivies hier. Craignant une escalade de violence, l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt, 500.000 membres) a appelé à une «grève pacifique contre la violence» et les autorités ont exhorté les citoyens «d'éviter tout ce qui porterait atteinte à la sécurité publique». Le pays tournait au ralenti après cet appel; tous les vols depuis et vers la Tunisie ont été annulés à l'aéroport de Tunis-Carthage, le principal du pays, selon des sources aéroportuaires. En ville, les rues étaient désespérément vides et les rames du tramway de Tunis désertées. Dans ce contexte de crise, l'ambassade de France a appelé ses quelques 25.000 ressortissants à la prudence et annoncé la fermeture des écoles françaises, vendredi et samedi. Les Universités tunisiennes seront aussi fermées dans le pays jusqu'à lundi. L'assassinat de Chokri Belaïd a plongé la Tunisie dans la tourmente. La Tunisie est plongée dans une impasse politique, faute d'un compromis sur la future Constitution qui bloque l'organisation de nouvelles élections. Ajouter à cela un contexte économique et social très tendu, les manifestations et conflits sociaux, souvent violents, se multiplient depuis l'été en raison du chômage et de la misère, deux facteurs-clés de la révolution de 2011...