Le Premier ministre tunisien a obtenu mardi d'importants appuis politiques et syndicaux à son idée de former un cabinet apolitique pour sortir d'une profonde crise politique, et son parti islamiste Ennahda, opposé à ce projet, a donné de premiers signes d'infléchissement. Soutien de poids, le président de l'Assemblée nationale constituante (ANC) Mustapha Ben Jaafar a dit «soutenir vivement » M. Jebali, estimant que la Tunisie était dans une «situation critique » à cause de l'assassinat de l'opposant et fervent anti-islamiste, Chokri Belaïd. Le troisième personnage de l'Etat et chef du parti laïc Ettakatol allié aux islamistes d'Ennhada a ajouté «mettre à disposition du chef du gouvernement » tous les postes ministériels contrôlés par son parti, soit les ministères des Finances et du Tourisme, de l'Education, de la Lutte contre la corruption et des Affaires sociales. « Ca passe ou ça casse, mais nous ne voulons pas que ça casse », a-t-il ajouté, se disant «sûr » qu'Ennahda, qui s'oppose à un cabinet de technocrates, « mettra l'intérêt national au dessus des intérêts partisans ». Le chef du parti islamiste, Rached Ghannouchi a entrouvert la porte en proposant un compromis pour que le futur gouvernement allie technocrates et personnalités politiques. « Le gouvernement qui peut sauver la situation dans le pays est un gouvernement (...) de coalition nationale », a-t-il déclaré, insistant cependant pour que le cabinet « représente aussi les forces politiques ». Dans l'après-midi, son gendre et ministre des Affaires étrangères Rafik Abdessalem a pour sa part reconnu pour la première fois qu'Ennahda pourrait être amené à quitter le pouvoir. « Ennahda peut quitter le pouvoir si Jebali maintient sa proposition. Tout est possible, ce n'est pas une fatalité pour Ennahda de rester au gouvernement », a-t-il dit. Le Premier ministre a par ailleurs reçu mardi le soutien du patronat tunisien, Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (Utica), et du puissant syndicat, l'Union générale tunisienne du travail (UGTT). Signe du poids dont dispose l'UGTT, la grève générale qu'elle a organisée vendredi, le jour des funérailles de l'opposant assassiné Chokri Belaïd, a quasi-paralysé le pays. Hamadi Jebali a indiqué qu'il allait démissionner s'il ne parvenait pas à former un cabinet de technocrates avant le milieu de la semaine, un délai qui arrive à son terme. Toute la journée, le chef du gouvernement a multiplié les consultations pour finaliser son équipe. Mais face à ces détracteurs, le Premier ministre a aussi déclenché un débat juridique en estimant qu'un simple remaniement ne l'oblige pas à demander la confiance de l'Assemblée nationale constituante (ANC) où les islamistes contrôlent 89 des 217 sièges. Ennahda rejette cette interprétation. L'assassinat le 6 février de Chokri Belaïd, crime sans précédent en Tunisie, a aggravé la crise politique, alors que la coalition au pouvoir ne parvenait pas depuis des mois à remanier le gouvernement. Par ailleurs, la rédaction de la Constitution est dans l'impasse, 15 mois après l'élection de la Constituante, faute de compromis sur la nature du futur régime politique. Enfin, les conflits sociaux souvent violents se multiplient depuis l'été sur fond de misère et chômage, facteurs clés de la révolution qui a renversé Zine El Abidine Ben Ali. Sans oublier l'essor d'une mouvance salafiste jihadiste qui déstabilise régulièrement le pays par des attaques, comme celle contre l'ambassade des Etats-Unis en septembre dernier. La Tunisie vit sous le régime de l'état d'urgence depuis la révolution. L'armée est actuellement déployée dans de nombreuses villes de crainte de nouvelles violences comme celles déclenchées par l'assassinat de Chokri Belaïd.