Dur est le métier de journaliste en Algérie. C'est au moment où le président français Jacques Chirac nommait en Conseil des ministres l'Algérien Aïssa Dermouche comme préfet du Jura (lire en page 24 l'article d'Arezki Benmokhtar), que l'ami de ce dernier, Ahmed Fattani a été embarqué par la police hier matin devant le siège du journal et emmené au commissariat central. Ironie du sort, Fattani, camarade de classe de Dermouche au lycée Amirouche de Tizi Ouzou, devait partir avec son ami à Lille en 1970 pour y suivre des cours de journalisme, mais «après réflexion, précise-t-il, j'ai préféré rester ici pour servir mon pays. Et aujourd'hui, voilà comment je suis récompensé: traîné de tribunal en tribunal, de commissariat en commissariat». Dur est le métier de journaliste en Algérie. Après les suspensions des journaux au mois d'août et les intimidations des journalistes, voici donc venue la deuxième vague de harcèlement, dont le directeur de L'Expression Ahmed Fattani et le chroniqueur Mirou sont les premiers à faire les frais, pour un article écrit par Mirou dans la chronique «Le revers de la médaille» et intitulée «Nabot Léon», sans aucun doute en faisant un jeu de mots avec la prononciation en arabe de Napoléon. C'est cet article qui a été jugé offensant pour le président de la République, alors que la rédaction de L'Expression n'y a détecté aucune offense, d'autant plus que ni le nom ni la fonction du président n'ont été cités. C'est donc une chronique libre que chacun peut interpréter à sa manière, et il n'y a pas de recette en la matière. On est là devant un problème d'interprétation que les plus grandes écoles de critique d'art ou de critique littéraire n'ont pas encore réussi à résoudre. Et ce n'est pas ici qu'on va essayer de le faire. Cela dit, on peut remarquer qu'il y a eu innovation par rapport à ce qui se faisait en été. Les officiers de la police judiciaire envoyaient trois convocations avant de venir emmener l'intéressé. Mais pour ce cas d'espèce, une seule convocation a suffi. En tout cas, il faut relever que les officiers ont été très corrects et que l'accueil a été très courtois. Ce n'est donc pas à ce niveau que le bât blesse. Le directeur de L'Expression et le journaliste ont refusé de signer le PV, conformément à la décision qui avait été prise en été de ne répondre que devant le juge. A la suite de quoi tous les deux ont été entendus par le procureur de la République, qui les a présentés devant le juge d'instruction. Après cette première audience, ce dernier a prononcé l'inculpation et nos confrères ont été remis en liberté provisoire. Tout semble indiquer qu'à partir de samedi ce sera un défilé au niveau du commissariat et du tribunal d'Alger puisque de nombreux journalistes sont également dans le collimateur de la justice: ce sont Mohamed Benchicou, Farid Alilat, Dilem, Fouad Boughanem, Hakim Laâlam. On rappellera qu'Ahmed Fattani, dont le journal avait été suspendu pour un mois pour des arguments commerciaux fallacieux, avait déjà été convoqué au mois d'août en compagnie d'un autre chroniqueur, à savoir Hocine Mezali, qui a, entre-temps, quitté le journal. Au moment où onze personnalités politiques viennent de signer un manifeste pour la défense des libertés et pour un scrutin transparent, ces intimidations contre la presse indiquent que le danger est réel de voir étouffer la liberté d'expression.