En l'absence de revendications, les enquêteurs concentrent leurs investigations sur les milieux islamistes et d'extrême droite. Les interrogations demeurent entières sur les auteurs de l'attentat qui a ciblé, dimanche à l'aube, le véhicule du préfet d'origine algérienne Aïssa Dermouche nommé dans le Jura. Les enquêteurs de Nantes déclarent ne disposer ni de revendication ni de trace sur une quelconque menace. Le préfet lui-même ne se connaît pas d'ennemis susceptibles de lui nuire. La voiture carbonisée et les débris recueillis sur les lieux de l'attentat étaient toujours en cours d'analyse hier en fin d'après-midi par la Police judiciaire locale assistée de deux spécialistes du laboratoire de la préfecture de police de Paris arrivés dans la matinée d'hier. Leurs travaux permettront notamment d'identifier l'explosif utilisé. Le parquet de Nantes se montre très prudent «tant que l'on n'a pas plus de certitudes». Le témoignage d'un voisin, unique témoignage recueilli par les policiers, qui dit avoir entendu une voiture démarrer en trombe peu avant l'explosion, ne permet pas à l'enquête d'avancer. La PJ tente cependant de reconstituer le crime à partir des débris de la voiture. L'engin explosif n'était pas doté d'un minuteur. Il fonctionnait très probablement avec une simple mèche lente. Ce détail laisse penser que la charge a été déposée immédiatement avant la déflagration. Ce qui permet à la police de conclure que la charge a été déposée sur le capot de la voiture du préfet et non en dessous comme suggéré au départ. Mais les auteurs ont dû prendre leur temps pour faire les repérages nécessaires avant de passer à l'acte. La PJ privilégie, pour le moment, la piste locale. Celle d'un petit groupe extrémiste nantais sans grand moyen technique ou logistique. Deux mouvances peuvent être suspectées: l'extrême droite, dont des militants avaient perpétré un sanglant attentat à la bombe en novembre 2000 à La Baule, et les islamistes radicaux. Mais les enquêteurs ne négligent pas la piste des groupuscules locaux à la fois indépendantistes et d'extrême droite. Les autonomistes bretons ont, d'ailleurs, été montrés du doigt par l'ancien ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua, qui ne croit pas, cependant, que l'acte soit lié à l'origine de M.Dermouche (origiaire de Kabylie, Ndlr). L'Union démocratique bretonne (UDB) a dénoncé «cette agression verbale totalement gratuite» qui «ne se fonde sur aucun élément matériel», plaçant les déclarations de M.Pasqua sur le même plan que l'attentat qui a détruit le véhicule du préfet. «Dans les deux cas, il s'agit de semer les germes de la division et de l'intolérance entre les différentes communautés régionales et culturelles qui composent notre société». L'UDB a exprimé par ailleurs «sa plus ferme condamnation» de l'attentat et de ses auteurs, «quels qu'ils soient et quelles que soient leurs motivations», souhaitant «qu'ils soient rapidement identifiés et traduits devant la justice». L'attentat contre le véhicule du nouveau préfet a soulevé une vague de protestations dans la classe politique française, de la droite comme de la gauche, ainsi que celles de la Ligue des droits de l'Homme. Dans le Jura, où il doit prendre prochainement ses fonctions, l'émotion a été aussi vive. Jacques Pélissard, le député de la première circonscription, n'a pas caché sa colère : «Cet acte est tout à fait scandaleux. Aïssa Dermouche est le nouveau préfet du Jura, c'est un préfet de la République, cet attentat est grave». Il estime que «cette nomination doit déranger certains clichés et stimuler certaines réactions racistes». Le Jura s'apprête en tout cas à accueillir son préfet dans des conditions «spéciales». La sécurité renforcée autour du fonctionnaire de l'Etat ne passera pas inaperçue. Jean Charropin, député-maire de la ville de Champagnole «regrette» cet acte de violence et estime que «l'on a beaucoup trop fait de publicité sur la nomination du préfet. Je pense qu'un peu plus de discrétion eût été préférable». Certains commentateurs parlent, d'ailleurs, d'Aïssa Dermouche comme d'un «préfet piégé». Il «est devenu le jouet de calculs politiques pitoyables et dangereux», écrit le chroniqueur du Monde. Il conclut: «Pour tous ceux qui ne veulent pas de l'intégration, qu'ils considèrent qu'elle dilue l'identité de la France ou, au contraire, qu'elle scelle la collaboration de l'islam avec la République, nommer avec tant de ramdam un préfet musulman revenait à agiter sous leurs yeux un chiffon rouge».