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Patrimoine national
Publié dans L'Expression le 18 - 02 - 2013

«Il faut être fier d'avoir hérité de tout ce que le passé avait de meilleur et de plus noble» Gandhi
L'affaire fait un grand bruit dans tout l'Hexagone. Cela a débordé au-delà des frontières, touchant, aussi bien les amateurs éclairés de l'art, que ceux qui sont culturellement attachés aux immortels symboles des luttes populaires pour la liberté et la dignité. Un crime d'une extrême gravité, parce que difficilement réparable, vient d'être commis dans une antenne du Musée du Louvre, à Lens, dans le nord de la France. Cette antenne venait d'être ouverte récemment, en décembre 2012, pour permettre aux citoyens de cette région minière d'admirer les chefs-d'oeuvre des arts plastiques sans avoir à effectuer un onéreux déplacement dans la capitale française où sont entreposés les trésors de la création humaine. Le crime commis par ce qu'on peut appeler une déséquilibrée, consiste en un graffiti tracé au marqueur sur une des toiles les plus célèbres de Delacroix: La Liberté guidant le peuple. Cette oeuvre représente une scène de barricades avec au centre du tableau, une femme à la poitrine généreuse et dénudée portant un drapeau rouge (symbole de lutte populaire pour la liberté). Elle est entourée (suivie) de civils qui franchissent, armes à la main, la barricade dans une ambiance de combat tumultueux où ne sont représentés que les révolutionnaires montant à l'assaut de l'absolutisme. Comme on peut le supposer, cette toile a dû guider Victor Hugo pour composer son personnage de Gavroche, le titi parisien. Cette toile a été inspirée à l'auteur par les trois journées d'émeutes de Juillet 1830 organisées par le peuple de Paris contre le pouvoir arbitraire de Charles X.
Ces trois journées appelées les Trois Glorieuses se déroulaient en même temps que la flotte française arrivait en rade de Sidi-Fredj. C'est dire que la «Liberté», comme toujours, n'était pas sur tous les fronts. Seuls, peut-être des psychiatres pourront dire quels ont été les moteurs de cette secrète pulsion qu'on appelle vandalisme. Mais l'émotion est grande dans l'Hexagone. Presque aussi grande que fut celle qui s'empara des Français en août 1911 quand ils apprirent le vol de La Joconde. Ce fait divers mobilisa presque autant de policiers que durant la rafle d'Octobre 1961 et il impliqua une multitude de prsonnages aussi différents les uns que les autres. Qu'on en juge: le tableau a bel et bien été volé le 21 août 1911. Le préfet d'alors mobilise plus de soixante inspecteurs. Un criminologue célèbre découvre une empreinte de pouce sur la vitre abandonnée, il décide de relever les empreintes digitales des 257 personnes travaillant au Louvre. L'analyse des dactylogrammes ne donne aucun résultat et entraîne la démission du directeur du Louvre. Le juge d'instruction, que la presse surnomme ironiquement «le mari de la Joconde», fait emprisonner plusieurs jours le poète Guillaume Apollinaire, celui qui avait un jour crié qu'il fallait «brûler le Louvre», pour complicité de recel de malfaiteur et parce qu'il avait été précédemment impliqué dans une affaire de vol de statuette, puis soupçonne le peintre Pablo Picasso qui est longuement interrogé. Le vol est alors revendiqué par plusieurs mythomanes, dont l'écrivain italien Gabriele D'Annunzio. Le voleur était en fait, Vincenzo Peruggia, un vitrier qui avait participé aux travaux de mise sous verre des tableaux les plus importants du musée. Il conserve le tableau pendant deux ans dans sa chambre à Paris, caché dans le double fond d'une valise de bois blanc, sous son lit. De nombreuses hypothèses ont été proposées pour expliquer le vol de Vincenzo Peruggia: il aurait agi par patriotisme (c'est la ligne de défense préconisée par ses avocats lors de son procès), croyant naïvement que le tableau avait été volé par Bonaparte lors de la campagne d'Italie. Il faut dire au passage que toutes les campagnes militaires, depuis les croisades jusqu'à celles du nazisme, ont provoqué de véritables razzias sur les oeuvres d'art. C'est la raison pour laquelle de nombreux chefs-d'oeuvres exotiques ont trouvé asile sur les places publiques et dans les musées, mais ce n'est pas pour autant qu'ils sont à l'abri des intégristes: ceux qui dynamitent les bouddhas ou brûlent les marabouts. Car pour eux, l'art est haram!


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