«Le Mali n'est pas encore libéré» Le Mali avec le film Toiles d'araignées remporte le Prix spécial Sembene Ousmane à la 23e édition du Fespaco. Un prix récompensant «sa qualité technique et son engagement, dénonçant à la fois la condition de la femme, et le milieu carcéral» Après sa projection à la salle Neerwaya dans la catégorie compétition officielle, nous abordons son réalisateur Ibrahima Touré qui a accepté volontiers de répondre à nos questions qui abordent à la fois la situation actuelle au Mali et la prison. L'Expression: à travers un fait divers social vous évoquez un sujet fort, lequel est aussi une adaptation d'un roman.. Ibrahima Touré: Mon film traite d'une histoire d'amour et de gouvernance. Vous savez bien que dans nos pays il y a la mauvaise gouvernance qui entraîne toutes les dérives. Celle qui entraîne aussi la grande pauvreté. Cette grande pauvreté conduit les humains à faire des choses extraordinairement inhumaines. C'est cette pauvreté qui a poussé le père de Mariama à vendre sa fille, et de connaître l'univers carcéral. C'est cette mauvaise gouvernance qui pousse les citadins vers la mer et provoque les rebellions et les contestations. Je viens d'un pays d'Afrique, du Mali, de cette partie d'Afrique qui aujourd'hui est en pleurs. Beaucoup de mes compatriotes vivent aujourd'hui dans des camps de réfugiés avec des enfants. Ce sont eux qui essuient le coup de ces dérives humaines issues de cette mauvaise gouvernance.. Si vous partez un peu à la capitale ou à l'intérieur du pays, vous constaterez que les gens qui flambent ce sont le juge, le commandant, les chefs des brigades de gendarmerie. Ils forment un cercle d'amis. Le maillon se casse quelque part. Ils vont tourner les gens en bourrique. C'est pourquoi le juge dans ce film s'en fout. Il a vu la raison pour laquelle cette fille (Mariama) a été envoyée et le commandant de lui dire «réglez-lui son compte». On voit bien une velléité d'émancipation d'une jeune fille, étouffée dans l'oeuf. 80% de votre film se passent en milieu carcéral.. C'est tiré d'une histoire vraie. Celle d'un professeur de mathématique, Ibrahim Ali, un militant politique. L'histoire a eu lieu dans les années 1974. Maintenant, quand il y a eu le vent démocratique qui a soufflé sur le Sahel, on a cru que l'homme africain pouvait changer. J'ai eu la chance de rentrer dans une grande prison où j'ai constaté que les choses n'ont pas vraiment changé. Ce qui est décrit dans le roman c'est exactement ce qui se passe aujourd'hui. Quand on a fait les repérages dans cette prison, nous étions surpris de voir que c'est exactement les mêmes choses effarantes qui existent dans le roman. Une fois que la porte s'ouvre, les gens se lèvent et n'ont autres repères que de se coller au mur. C'est leur seul soutien. Dans la prison, il n'y a pas d'infirmerie. Les toilettes sont à ciel ouvert. Il n'y a pas de restaurant. Quand les gens crèvent on dit qu'ils ont crevé. Ils crèvent comme des rats, ce ne sont plus des humains. Aujourd'hui au Mali, il y a une certaine évolution. A Bamako, il y a une prison pour femmes, une autre pour enfants et une troisième pour hommes. Mais à l'intérieur du pays les choses sont restées telles quelles et les prisonniers de droits communs cohabitent avec les grands criminels. La justice a du mal à organiser les choses. Comme vous l'avez dit tout à l'heure, il est clair qu'il y a un réel problème de gouvernance dans certains pays africains où chaque désobéissance est réglée sévèrement. Il y a l'autorité parentale qui se confond avec l'autorité politique dans votre film. Celui qui dit non est immédiatement mis au cachot. C'est la dictature à tous les étages. En réalité, la société africaine est une société de violence. C'est ce que j'ai voulu montrer. Je n'ai pas peur de dire le mot. C'est une immense toile qui est tissée autour de l'individu. Une fois que l'individu naît, il est pris dans ce piège. Il faut obéir aux parents, à l'autorité. Toute velléité de s'émanciper est considéré comme un écart, et il faut amener la personne dans le droit chemin, qui veut dire être dans le lot de l'obéissance, la bassesse, ainsi de suite. Ne pensez-vous pas que c'est un peu général ce que vous dites? L'Afrique c'est très grand comme continent. Vous ne croyez donc pas à la démocratie de certains pays africains, je présume? Mais la démocratie en Afrique c'est quoi? On organise des élections. On fait un mandat. On remet ça, un deuxième mandat et on renouvelle un troisième mandat et on dit que les projets que j'ai initiés pour le deuxième mandat ne sont pas finis, il me faut un troisième mandat. Avant, il y avait la dictature militaire avec les partis uniques qui s'installaient. Cette fois-ci, c'est l'intelligence des hommes politiques qui fait que ce sont les mêmes qui tournent autour de la table. Il faut souvent des révolutions pour les débusquer de leurs postes. Que pensez-vous alors des révolutions arabes? Les Arabes? Ça c'est un truc qui a été imposé aux Arabes. Moi je crois que cela ne va pas avec la société arabe. Cela n'engage que moi. On a vu que cela ne marche pas. Ils ont voulu faire la démocratie, ils ont laissé la place aux intégristes. Les fondamentalistes sont au pouvoir jusqu'à présent en Egypte. En Tunisie, c'est pareil. Ça ne va pas bien. Moi je crois qu'on aurait dû se concerter pour appliquer la bonne gouvernance au lieu de faire ces révolutions, pour la révolution quoi. Cela veut dire quoi la bonne gouvernance pour vous? C'est accepter le verdict des urnes, partager les ressources économiques, humaines et financières. Une fois qu'on a ça, on a moins de guerre, moins d'exils d'enfants, moins de familles qui obligent les parents à vendre leurs filles. Votre film est assez négatif. Est-ce voulu justement? J'imagine que c'est pour mettre l'accent sur la condition de la femme et la pauvreté au Mali qui réduit l'humain au rang d'une bête sauvage. Tout n'est pas négatif puisque dans la prison on retrouve de l'espoir. C'est là qu'on voit que la jeune fille est protégée. Il y a de l'humanisme dans la prison. C'est là qu'on entend parler de cette volonté de trouver la liberté. Et cette liberté est traduite chez tous ces prisonniers par cette tentative de se liguer tous ensemble en fait afin que cette jeune fille soit libérée. Qu'elle aille vers la liberté. Même si les retrouvailles sont de courte durée. Quand même il y a une certaine déchirure dans la toile. Il y a eu cet humanisme dans la prison contrairement à l'extérieur. Le mot «indépendance» est également cité dans votre film.. Vous êtes très futée, vous avez compris. Ça c'était une virgule posée. Cela renvoie à une parenthèse liée aux pays africains qui ont eu leur indépendance, mais en réalité sont restés sous tutelle. Le cas le plus patent reste le Mali. Quelques scènes, notamment celles avec le juge, m'ont un peu rappelé, Bamako le film de Abderahmane Sissako.. Je ne juge pas l'Europe. Dans mon film, moi je m'adresse et m'intéresse à l'Afrique. C'est ce que je maîtrise le mieux, c'est là où je vis. Les problèmes de l'Africain sont mes problèmes, mais ils peuvent peut être des problèmes universels. Comment les choses se passent aujourd'hui au Mali après l'intervention de l'armée française? Au Mali aujourd'hui, on a encore des problèmes. Tout le monde le sait. Le Mali n'est pas encore libéré. La France est venue. Tout n'est pas réglé. Il y a encore la zone de Kidal qui n'est pas encore libérée. L'ONU veut transformer la force d'intervention en casque bleu. Il y aura une zone tampon. Tant qu'on ne libère pas Kidal, on ne peut pas dire que le Mali a retrouvé son intégrité. Encore une fois, c'est l'indépendance citée dans le film qui est remise en question. A quoi cela nous a servi? Il faut aussi peut-être que les Maliens se prennent en charge? Il faut que les Maliens se parlent en effet. C'est révolu le temps où on regarde son nombril. Il faut regarder l'autre, il faut qu'il y ait des échanges, que les gens se parlent. Il faut que les gens aient vraiment un esprit citoyen. Il faut que le Malien se sente malien. Que les Africains prennent leurs responsabilités en main au lieu d'attendre l'aide des étrangers.. Bien sûr, mais ça c'est obligatoire, malheureusement, c'est cela qui fait notre malheur. L'union s'impose à nous. Aucun Etat africain ne peut résoudre ses problèmes. Encore une fois se pose le problème de la gouvernance, ceux qui sont là sont incapables de faire l'union. Donc il faut carrément céder la place à ceux qui veulent et qui aiment vraiment l'Afrique.