«L'arrestation de Patrice Lumumba a été déterminante pour ma carrière ciné» Grand cinéaste malien, les JCC lui rendent hommage cette année à travers, notamment une rétrospective de plusieurs de ses films et une leçon de cinéma qu'il a lui-même accordée sans oublier une belle cérémonie en son honneur. Rencontre avec un homme sage et aguerri au regard affûté. L'Expression: Peut-on encore faire du cinéma au Mali et en Afrique avec ce qui se passe? Souleymane Cissé: Déjà dans ce Festival, il y a deux films maliens qui sont en compétition. Le film de Mamadou Cissé qui est un jeune aveugle et puis il y a Toiles d'araignées d'Ibrahima Touré. Ces films donnent un peu la température du cinéma malien. Donc, je pense qu'on peut toujours faire du cinéma au Mali. Mais il suffit d'avoir la volonté, et pouvoir affronter les difficultés, c'est tout. En tant que grand cinéaste élevé au rang de commandeur national de l'Ordre national du Mali et commandeur des Arts et de la République française, comment avez-vous vécu, réagi à ces tentatives de destruction des manuscrits au Mali et quelle a été votre démarche en ce sens et votre sentiment? Aussi, une pétition a été signée en ce sens par les artistes et intellectuels maliens J'étais frustré, avant d'arriver à la destruction de Tombouctou, déjà au mois de janvier jusqu'à aujourd'hui je me sens profondément humilié et touché par cet acte barbare inqualifiable, car quel que soit le niveau de rébellion qu'on a, on n'a pas le droit de toucher aux héritages et ça humainement je pense que c'est condamnable. Si cette année on est présent à Carthage, c'est surtout pour manifester notre solidarité avec le nord du Mali. Moi, cela fait longtemps que je ne suis pas venu à Carthage, mais avec ces problèmes, il doit y avoir une solidarité mondiale au niveau et autour de Tombouctou. C'est une ville qui mérite. M.Cissé, vous avez commencé très tôt à vous intéresser au cinéma. Dès l'âge de sept ans vous suiviez assidûment le cinéma. A cet âge là, comment on est attiré par le cinéma? C'est comme un jeu d'enfant. Enfant j'étais très fasciné par le cinéma. Aller voir un film, ça me faisait rigoler, en même temps il y avait des films qui me faisaient pleurer en tant qu'enfant et d'autres films qui étaient traumatisants, qui peuvent laisser des journées et des journées à réfléchir. A sept ans, je pense qu'il y a des choses sur lesquelles on peut réfléchir... Je ne sais pas. C'était exceptionnel chez moi. Comment un film documen-taire sur l'arrestation de Patrice Lumumba vous a donné une envie viscérale de faire des films? Dans la vie, il y a toujours quelque chose qui vous pousse. Le déclic. On a ce qu'on appelle notre instinct qui, quelque part dort... Mais avec la rencontre des choses, la vue, le son, on a un déclic, l'arrestation de Patrice Lumumba a été déterminante pour ma carrière ciné. C'est ce film-là qui m'a poussé à aller vers le cinéma. Comment, encore une fois, un jeune Africain malien parvient-il à faire du cinéma? Il n'est pas rebuté, ou y a-t-il des difficultés qui l'acculent en arrière? En 1982, je répondais à cette question. Aujourd'hui, le cinéma est devenu pour moi un métier comme tout autre métier. Il a ses difficultés et ses moments d'éclat parce qu'une fois le film terminé, on oublie, c'est comme une mère, donc les difficultés on les oublie, on ne compte plus. On essaie d'avancer. Parce que, si on s'attend aux difficultés, on va avoir peur de s'attaquer au film. Il faut savoir que c'est dans les difficultés qu'on peut toujours bâtir. Que ça soit il y a 20, 30 ou dix ans, les difficultés de productions paraissent les mêmes en Afrique. Qu'en pensez-vous? Des cinéastes trouvent toujours des difficultés à se produire chez eux et vont vers le Nord, au lieu d'aller vers le Sud Je pense qu'aujourd'hui c'est pire qu'hier. Hier, on pouvait dire qu'on pouvait aller dans le Nord pour chercher des financements, mais ce qui est sûr est que ce financement du Nord s'est tari. Les difficultés deviennent plus énormes, et plus importantes. Je pense que maintenant, il est bon que l'imaginaire s'installe pour donner plus de concrétisation à nos projets et affronter vraiment ces difficultés, tout en essayant de maîtriser d'une autre manière la façon de produire chez nous. Je pense qu'avec le numérique, les choses sont en train de s'installer et nous pensons qu'elles vont se développer dans un autre sens plus culturel et commercial. Peut-on développer son imaginaire sans dévier de ses principes en étant influencé ou manipulé et à la merci du producteur de l'Occident? Eh bien, cette question ne se pose pas pour moi car j'ai toujours fait ce que je voulais et ce que j'aimais et jusqu'à présent, les propriétaires d'argent ne m'ont posé aucune difficulté. Je peux être manipulé, mais je ne pense pas que j'ai conscience de faire telle chose et de ne pas aller jusqu'au bout. Dans le cinéma Dieu merci, il m'a épargné cela. Cela fait quoi d'être le premier Africain à être primé au Festival de Cannes? Je ne sais pas. De toute façon au départ, on ne pense pas au Festival, mais au travail. Le reste c'est un petit confort qui vient s'ajouter à ton travail, c'est tout. L'essentiel c'est de travailler. Moi je n'ai pas demandé à être à Cannes. Ce n'était pas dans mon rêve d'être dans un Festival. Mon rêve était d'arriver à faire des films. Vous êtes depuis 1997 président de l'Union des créateurs entrepreneurs du cinéma et de l'audiovisuel de l'Afrique de l'Ouest. Un mot là-dessus? Vus savez, en 1995 quand j'ai terminé le film Waati, je me suis rendu compte qu'il va y avoir, dans les dizaines années à venir un changement radical concernant et le financement des films et la distribution en Afrique. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de créer une organisation sous-régionale pour mettre des structures en place afin d'aider les politiques à mieux comprendre le rôle du cinéma dans le développement du continent. Cela nous l'avons fait, mais les politiques étaient toujours réticents. Ils n'ont jamais voulu croire à l'objectivé du cinéma. Et nous avons continué à nous battre. Nous avons mis sur pied une nouvelle génération de jeunes qui créent. Un collectif composé de jeunes, parmi eux certains qui n'ont jamais eu la chance d'aller dans une école de cinéma. Il s'agit d'essayer d'affronter la réalité en place avec l'imaginaire. On avait fait des petits films. Certains n'ont jamais tenu une caméra et ce petit film est là au Festival et j'espère que les gens vont le voir, car c'est important. Cela nous motive à croire au fait que ce n'est qu'en organisant cette génération qu'on peut faire face aux différents problèmes qui se posent aujourd'hui.