«Une question est une réponse.» Paul Claudel C'est dans la nature de l'homme que de se poser des questions relatives à son existence: son origine, sa situation présente et encore plus son devenir. Si l'homme ne se posait pas de questions, il ne serait pas arrivé là où il est actuellement, c'est-à-dire à la porte des étoiles qui lui ouvrent un boulevard infini. Cependant, il ne faut pas se tromper. Il y a questions et questions. Il y a des questions que l'on peut poser indéfiniment à haute voix sans être traité d'hérétique, de traître, de réactionnaire ou de tout autre qualificatif peu valorisant. L'origine et la formation du monde selon les diverses théories scientifiques ou religieuses, l'ordre de la création de l'oeuf et de la poule, le nombre d'étoiles qui scintillent dans la voûte azurée, le nombre de harraga qui n'ont jamais pu arriver à aborder de l'autre côté... Mais il y en a d'autres que l'on ne peut se poser qu'à soi-même, et encore à voix basse pour que les roseaux qui ont jadis trahi Midas ne récidivent une fois de plus et vous envoient rendre des comptes à des gens pointilleux sur la gravité des choses. D'abord, il ne faut jamais demander à un septuagénaire où il se trouvait entre 1954 et 1962. D'abord, c'est un évident manque de respect envers une personne qui a survécu à toutes les embûches de la guerre et à tous les traquenards que seul un parti unique sait en poser. Ce respectable citoyen est resté en vie et c'est l'essentiel. Il aurait pu se trouver quelque part entre Dunkerque et Tamanrasset ou pour les plus privilégiés, entre New York et Vladivostok. Qu'importe! Qu'il ait fait partie de l'armée des ombres qui ont galéré entre Oujda et Ghardimaou ou de la frange laborieuse qui alimenta le trésor du FLN ou de la jeunesse dorée qui fréquentait les universités du Moyen-Orient ou du Massachusetts, là n'est pas la question. D'ailleurs, ce n'est plus le moment de poser de telles questions. Il aurait pu travailler dans une SAS comme planton et servir de boîte aux lettres pour tous les agents doubles assermentés ou dans une paisible ferme coloniale occupée, gardée par la Légion étrangère. Il y a, comme vous voyez, des questions qui ne servent plus à rien puisque les témoins ne sont plus là pour apporter des éclaircissements ou bien parce qu'ils ont la tête ailleurs, dans les étoiles. Il y a des questions qui ne supportent pas de réponses, comme le disait si bien Auguste Le Breton. Ce genre de questions est de nature à indisposer certaines gens. Il vaut mieux parler du temps qu'il va faire dans la semaine et de son impact sur le prix des fruits et légumes. Là aussi, tout dépend de l'interlocuteur et sa réponse sera aussi sibylline que celle d'un marin pêcheur égaré sur un thonier turc. Que diable allait-il faire dans cette galère. Il aurait mieux fait de se trouver sur l'autoroute Est-Ouest, à compter le nombre de radars plantés par la maréchaussée. Mais comme vous voyez, dans notre sacré pays, chaque lieu, chaque coin, chaque pierre sollicite une foule de questions que l'on a du mal à ravaler. D'abord, si vous passez devant une banque, vous ne pouvez pas vous empêcher de demander où en sont les ténébreuses affaires qui ont donné lieu à des enquêtes, des instructions, des procès et des condamnations suspendues par des appels quasi automatiques. Vous ne pouvez pas passer devant une pompe à essence sans que vous démange la question de savoir combien ce précieux liquide aura encore à polluer l'atmosphère de nos cités. Tout comme la simple vision d'un showroom où sont exposées de rutilantes voitures asiatiques vous amènera fatalement à dire: pourquoi eux et pas nous. La prochaine question concernera le Nord et le Sud et elle est de taille!