Le temps d'un match, le temps d'une fusion, et les voilà érigés en symbole. Non, ce n'était pas une victoire sur l'Egypte et ses pharaons, l'Egypte et ses momies, l'Egypte du football et son arrogance atavique, non vraiment : c'était une victoire sur dix années de sang, de larmes et de peur...Une victoire sur le sort, une victoire sur la mort. Quand Mamouni ouvre le score, ce n'était pas lui qui marquait, c'était 30 millions d'Algériens qui l'ont soulevé bien haut pour que d'une tête rageuse il secoue les filets adverses. Quand Achiou, après une course épique de près de 50 mètres jonglait avec les défenseurs égyptiens avant de terrasser toute l'Egypte, ce n'était pas lui. Non, ce n'était pas lui qui courait, ce n'était pas lui qui slalomait, c'était 30 millions d'Algériens, avec leur force, leur générosité et leur génie qui l'ont poussé vers l'exploit. Sans ces 30 millions qu'aurait été Mamouni, Achiou et les autres? Rien, que des joueurs. Le temps d'un match, le temps d'une fusion et les voilà érigés en symbole. Symbole et représentant et même extension d'un peuple qui sort d'une longue nuit. Tout cela a un nom: la foi. Oui, la foi qui soulève des montagnes, la foi qui donne des ailes, la foi qui rend possible l'impossible. La foi qui fait sortir tout un peuple dehors pour crier sa joie, pour l'exprimer bien fort après l'avoir trop longtemps comprimée jusqu'à l'étouffer. C'est bien ça : la joie était morte. De temps en temps , elle ressuscitait. Par bribes. Par bouffées. Le temps de la saisir, elle disparaissait. Mais aujourd'hui, oui aujourd'hui, elle est là inscrite en chiffres et en lettres. 2-1 pour le premier, courage et bravoure pour les seconds. Personne ne peut nous enlever cette joie, ni le Zimbabwe ni d'autres, car elle est plus symbolique que matérielle. C'est une leçon, un défi plus qu'une simple victoire statistique. Laissons parler notre orgueil. Et pourrions-nous comprimer ce qui nous définit le mieux dans le monde, cet orgueil si ombrageux, pour citer le défunt président Houari Boumediène, qui nous rend si chatouilleux sur toutes les questions qui ont trait à l'honneur et au «nif». Et que dit notre orgueil, mais là on va parler football, c'est que la saveur à nulle autre pareille de cette victoire se trouve dans le fait qu'elle nous venge de beaucoup de choses. Sans dépit et sans rancune, nous nous rappelons de 120.000 spectateurs cairotes scandant, en novembre 1989 : « Aouled Firança, Aouled Firança...(Fils de la France). Les fils de la France c'était nous les fils et petits-fils de ceux qui l'ont combattue. Aucun dépit aussi quand on se remémore la campagne médiatique qui a précédé le match: pendant plus d'une dizaine de jours, la télévision égyptienne montrait en boucle la traversée de Suez en 1973 de l'armée égyptienne. Décodage : l'équipe algérienne est comme l'armée israélienne, il faut la vaincre ou mourir. Terrible. Sans dépit et sans rancune, avions-nous dit? Oui, beaucoup d'eau a coulé. Beaucoup de sang aussi en Algérie. Souffrez encore une fois, frères égyptiens, qu'on vous répète que la victoire de ce jeudi 29 janvier n'est ni notre revanche sur vous, ni sur personne, mais sur le sort, mais sur la tragédie. Tout est dit. Oui, tout est dit pour que vive «L'Algérie mon amour».