«Un rêve transformé en réalité, c'est un autre rêve.» Jérémie Garde Depuis que l'élégante silhouette bleue du tramway se profile sur la bande frontière qui sépare les villas cossues de notre sordide cité, les bus traditionnels semblent obsolètes. Leurs carcasses lépreuses et les mauvaises habitudes des arrogants receveurs et conducteurs semblent attachées à la rouille de ces épaves roulantes qui exaspèrent les usagers jusqu'à les faire douter de l'existence même d'une quelconque autorité publique. Il ne se passe pas un jour sans qu'un incident notoire n'éclate entre un client acariâtre et un receveur cynique. Aux longues et interminables attentes s'ajoute une promiscuité insoutenable. Pourtant, le bus que j'avais pris ce matin-là était presque vide. Les personnes qui avaient pris place étaient peu nombreuses. Elles étaient toutes bien habillées et respiraient la joie de vivre où les matins sont calmes, le ciel limpide et l'air sain. Le receveur était d'une amabilité qui confinait à l'obséquiosité. Il passa entre les deux rangs des voyageurs, distribua des bonbons à la menthe en même temps que les tickets. Il rendait la monnaie en s'excusant de la qualité des billets. Le conducteur se tourna vers les voyageurs et s'enquit: «Parés»! Le bus s'ébranla et fila comme sur un coussin d'air sur le ruban de macadam qui se déroulait devant des voyageurs qui étaient tous plongés dans la lecture d'un roman, d'une revue ou d'un quotidien achetés le matin même dans cette grande librairie située au centre de cette petite cité de banlieue, au milieu d'un parc ceint de grands arbres et qu'agrémentaient de superbes parterres de fleurs. La circulation était fluide. A chaque croisement, d'aimables agents saluaient le chauffeur et lui adressaient des salutations du style «bonne route» ou «soyez prudents». Le bus arriva devant la station de métro située en face de la Grande-Poste. Les voyageurs descendirent. Le tunnel souterrain les avala aussitôt. Je me retrouvai dans un vaste espace bien éclairé et décoré d'affiches publicitaires. Je sortis ma carte d'abonnement, retirai ma fiche magnétique et l'engageai dans la machine qui contrôlait l'accès au quai. Le métro arriva silencieusement. Je montai dans un wagon quasi vide. Je m'assis et lut d'un air détaché la destination finale: Oref. Arrivé à la station Saint-Georges, je me dirigeai vers l'imposant immeuble de la 5e Chaîne de télévision que dirigeait le grand homme de culture, Karim Lekhlouf, nominé dernièrement au prix Nobel pour sa contribution à la réflexion sur l'influence des rayons gamma émis par les tubes pas très cathodiques... Il était déjà là, à la porte de l'entreprise saluant ses employés. A 8 heures précises, le grand portail se ferma et le directeur rejoignit ses employés dans l'immense cantine où un petit déjeuner copieux était servi par des hôtesses avenantes. Le directeur s'installa au bout d'une table, leva un verre en déclarant: «Je viens de recevoir un message signé conjointement par Sellal et Sidi Saïd: le Snmg sera désormais de cent mille dinars.» Un salaire qui allait redonner un peu d'espoir à ceux qui doivent travailler un siècle pour avoir un toit. Un tonnerre d'applaudissements secoua la cantine située au 9e étage de l'immeuble qui, soudain, se fissura et s'écroula. Je me réveillai en sueur! Ce n'était qu'un rêve! Comme tous les rêves, il pourrait peut-être un jour se réaliser.