La medersa d'Alger: une symbolique culturelle pérenne Il est des lieux évocateurs dont les repères gravent à jamais et au plus profond de soi une empreinte générationnelle indélébile. La vieille et pluriséculaire Cité qu'est la Casbah est à ce propos l'édifice majeur des vestiges de culture, d'histoire et de mémoire. Et pour paraphraser dans ce contexte l'écrivain de renom Kaddour M'Hamsadji auteur de El Kasbah Ezman qui récemment au cours d'une rencontre sur les lieux de son parcours intellectuel et d'inspiration créatrice, ému s'est ainsi exclamé «La Casbah est la symbolique d'un livre vivant de la mémoire collective». Ainsi, par la pensée, il nous revient qu'elle fût jadis un creuset de foisonnement littéraire et d'érudition dont l'âme «parlante» des lieux a survécu aux vicissitudes de l'amnésie des âges et du temps. D'un passé récent, il nous reste en souvenance des images de nos aînés qui n'ont guère franchi, dans le meilleur des cas, le palier scolaire du cycle primaire couronné parfois et rarement de l'aubaine d'un Certificat d'études à titre indigène (référent colonialiste d'une ségrégation primitive d'un autre âge), mais qui étaient d'une vaste et brillante culture. La littérature universelle, l'histoire, la géographie, la poésie arabe d'El Moutanabi, celle maghrébine de Kaddour El Aâlami, l'oeuvre khaldounéenne n'avaient point de secret pour eux. En véritables «encyclopédistes» d'une culture polyvalente, ils traitaient avec une aisance extraordinaire des thèmes qui, pour nous lycéens de l'époque, relevaient de la fiction, car émerveillés par l'érudition qui était la leur et dont la source de jaillissement avait pour nom le Livre, vecteur de connaissances; leur compagnon de toujours. La révélation d'un nom: Kateb Yacine Pour matérialiser l'authenticité de cette vérité dans la réalité d'un vécu, nous avions tenu à revisiter un pan d'érudition algérienne qui s'est accompli par la culture livresque. Inédite dans le monde, cette épopée a eu pour théâtre la prestigieuse Société des lettres savantes de Paris au cours des années 1940. C'était plus précisément un Samedi 24 Mai 1947 qu'un collégien algérien débarque dans une capitale française au summum de son éclosion culturelle, incarnée par des célébrités intellectuelles du siècle qui avaient pour noms: Jean- Paul Sartre, Simone de Beauvoir, André Malraux, Louis Aragon et d'autres nombreux pour être tous cités. Dans la tribune de légende savante a pris place un adolescent âgé à peine de 17 ans, frêle silhouette qui entama d'une voix juvénile assurée, une conférence académique sur l'Emir Abdelkader devant un parterre lumineux de sommités en philosophie et en littérature universelle, enthousiaste et admiratif par l'exclusivité de l'événement. Celui-ci avait pour nom Kateb Yacine, l'Algérien qui, avec son très jeune âge pour la prouesse et sans le savoir, venait de ravir la «Une» d'innovation au milieu intellectuel parisien et d'inscrire son nom au Palmarès d'un temple du savoir universel de Paris, une référence de notoriété dans le monde. A travers la phénoménologie de l'exemple, car unique en son genre, la performance intellectuelle hors du commun et sans précédent à suscité un centre d'intérêt dont l'impact a constitué un évènement par l'intelligence et la maîtrise précoces d'un génie naissant. C'est ainsi et à travers le substrat structurant de la culture d'oralité des aïeux, progressivement enrichie dans la sphère du savoir universel, que l'auteur de l'immortelle Nedjma s'est révélé dans l'immensité savante de la stature qui est la sienne, lumineuse à l'éternité. Une fois de plus, nous voilà encore envoûtés par la magie du livre et de ses lumières de connaissance qui fût l'inséparable et fidèle ami de Kateb Yacine, qui, à l'aurore de ses 17 printemps venait de s'affirmer et d'affirmer au monde l'éveil de grandeur du peuple algérien. Ceci à une phase décisive de l'histoire de l'Algérie, où enfant il venait de survivre par miracle à la razzia ethnocide du colonialisme français le 8 Mai 1945. Il n'avait que 15 ans et dans l'innocence collégienne de cet âge, il connut les affres de la prison et l'affliction d'une mère que cette épreuve cruelle a rendue folle pour tout le restant de ses jours. Ce n'est que deux ans plus tard (mois pour mois) au souvenir paradoxalement fatidique du mois de Mai, pourtant synonyme de beauté printanière que la Société des lettres savantes de Paris avait pour hôte, l'illustre supplicié, devenu un érudit par le livre et qui a séduit un auguste auditoire d'une culture dense et raffinée. Une belle symbolique de la revanche de l'histoire annonciatrice d'une ère nouvelle pour l'Algérie et ses enfants. Une élite autodidacte par le livre et la pratique de la lecture Tous les précurseurs du Mouvement national Messali Hadj, Imache Amar, Radjef Belkacem ainsi que les monuments de la littérature algérienne Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun et tant d'autres noms célèbres qui ont suscité l'admiration du monde entier pour leur dialectique et leur culture se sont abreuvés à une même source de savoir: celle du livre et de ses lumières, d'où l'adage: «Par le livre ils ont compris et du livre ils ont appris.» Pour une culture de proximité en direction de la jeunesse. L'exemple de nos illustres aînés est une magistrale leçon psychopédagogique porteuse, dont l'impact laborieux est d'impulser une dynamique de la culture livresque dès la prime enfance pour la découverte de l'univers fabuleux du savoir et de la créativité à travers des cycles d'évolution du progrès et de la modernité qui constitueront les vecteurs dans le monde de demain. Lounis AIT AOUDIA est Président de l'Association des Ami de la Rampe LOUNI AREZKI [email protected]