C'est un Hamid Grine jubilatoire qui peint à grands traits son monde, dévoilant un portraitiste de talent doublé d'un fin observateur. Aussi ingrat soit-il, le journalisme est l'un des rares métiers qui donnent à voir l'envers du décor et aussi à pénétrer des lieux, autrement inaccessibles au commun, qu'est l'intimité des stars de la politique, de l'art et de la culture et du sport. Hamid Grine qui a trimbalé sa carcasse sur tous les stades d'Algérie et du monde se trouvait en réalité dans une position stratégique d'observateur des hommes et des qui font l'actualité. Aussi, comment pouvait-il résister à la tentation de faire partager à ses lecteurs les fruits de ses observations et réflexions induites par le côtoiement des grands et petits de la planète Algérie? Cela a donné un croustillant et juteux «Comme des ombres furtives» dans lequel il restitue avec bonheur, à grands traits, des moments qui, d'une manière ou d'une autre, l'ont marqué. Ce sont ces moments fugitifs, mais combien signifiants, saisis au détour d'une conversation, lors d'une réception à la présidence, -l'Equipe nationale de football est la meilleure carte d'introduction dans ces lieux hermétiques-, entre poire et fromage, entre amis, qui ont donné la matière d'un ouvrage haut en couleur où l'on rencontre un peu le Tout-Alger et sa périphérie qui pouvait aussi bien être Casablanca ou Paris. «Comme des ombres furtives» est un curieux et subtil étalonnage où se côtoient Houari Boumediene et Maurice, Françoise Giroud et Abassi Madani. Un patchwork de haut vol dans lequel le journaliste, professionnel de l'écriture, joue avec un art consommé avec le verbe disant l'humilité des uns et la fatuité des autres. Dans ce contexte, le chapitre consacré aux trois vies de Abdelaziz Bouteflika, vaut le détour. Dans un autre registre, le portrait qu'il fait du défunt président Boumediene est émouvant et sonne vrai. On connaissait Hamid Grine, commentateur et journaliste sportif talentueux, on le découvre en portraitiste visionnaire et inspiré, ayant le mot juste et approprié pour nous introduire dans l'intelligence de chacun des 29 «patients» auscultés par lui. De Julio Iglesias à Chadli Bendjedid en passant par André Gide, Salah Assad, Nacer, le fou de Louisa, -qui réédite en nos temps modernes la tragédie de «Mejnoun Leila»-, Hamid Grine nous offre une galerie éclectique qui donne à lire 29 portraits aussi plaisants les uns que les autres et impriment le ton général de cet ouvrage qui se lit presque comme un conte. Nombre de ses perles ont été cueillies lors des réceptions qu'offrait la présidence de la République en l'honneur de l'Equipe nationale, où se retrouvait alors le gotha du pays. Ainsi, dans la foulée de ces réceptions, Hamid Grine a pu voir de «près» ces «grands» hommes que sont Houari Boumediene et Chadli Bendjedid, notamment, et rectifier par là rumeurs et anecdotes qui couraient sur eux. Quand on a fermé «Comme des ombres furtives» on ne se demandait plus pourquoi Hamid Grine a éprouvé le besoin d'immortaliser dans un livre ces moments singuliers où, on le soupçonne fort, il a dû se délecter de sa position de journaliste. En fait, il se trouve un moment où l'homme, habitué à écrire, éprouve le besoin de témoigner, pour dire ce qu'il croit ou, à son niveau, rétablir ce qu'il estime être, non la vérité, mais la vérité du moment vécu. Ce qui lui permet de donner un étonnant portrait de Chadli côté jardin. C'est du moins ainsi que nous avons lu les lignes émouvantes qu'il consacre au président Boumediene, tout à la fois, haï, respecté puis admiré. Un Boumediene qui, de père fouettard, s'imposa à tous comme celui qui redonna son sens à l'honneur de servir la patrie. Une plume tout aussi bouleversante trace le portrait de notre défunt collègue Tahar Djaout, premier journaliste assassiné par la horde barbare. Des sportifs, Hacène Lalmas, Mokhtar Arribi, un écrivain, Rachid Mimouni, des chanteurs Kadhem Esaher, George Wassouf, des politiques Kasdi Merbah, Mouloud Hamrouche, des islamistes, Ali Benhadj, Abassi Madani, parmi tant d'autres constituent une galerie représentative des personnalités qui ont fait, ou font encore, l'actualité politique culturelle et sportive d'Alger. Hamid Grine qui a fait un séjour obligé au Maroc, devenu par un singulier paradoxe terre d'exil des Algériens, croque quelques portraits de nos voisins de l'Ouest comme celui de Ali Lemrabet, l'un des rares journalistes marocains qui s'est investi dans la lutte pour la liberté de dire, ou celui du crooner Abdelwahab Doukali. Il n'oublia pas également ses «amis» des services marocains qui lui rendirent le séjour marocain très dur. Le moins qui puisse être dit sur l'ouvrage de Hamid Grine est qu'il présente un choix très éclectique dans lequel l'auteur peint une noria de personnes qui d'une manière ou d'une autre, sortaient de l'ordinaire, laissant vivaces dans son esprit les anecdotes et faits les concernant. Comme le truculent et flamboyant Maurice, ce garçon inénarrable, qui fit la joie de toute une génération d'étudiants des années 60/70, clients assidus de l'Otomatic, le Cercle des étudiants, (aujourd'hui Cercle Taleb Abderrahmane). Avec la Brasserie des Facultés, l'Otomatic était à l'époque le haut lieu de l'intelligentsia algéroise. Un rappel nostalgique d'une belle période, malgré ses incertitudes et les restrictions des libertés, pour ceux qui l'ont vécue. Observateur perspicace, Hamid Grine, par petites touches, sans s'en donner l'air, trace en fait le portrait d'une Algérie, quelque peu rétro, perdue alors dans les euphories socialisantes, qui n'a pas su, ou pu, rentabiliser son immense richesse: l'homme. Les citations qui parsèment son ouvrage témoignent aussi que Hamid Grine est un homme qui a beaucoup lu, écouté et surtout retenu. C'est cela aussi qui fait toute la particularité de cet ouvrage qui montre un Grine au summum de son art.