«Connaître ma pensée c'est la faire, connaître mon sentiment c'est l'élever ou l'humaniser. Mon vrai portrait est dans Homère, Virgile ou Montaigne. Et à chacun, il faut tendre un miroir où il se voit grandi et purifié» Alain (dans les propos sur l'éducation) Ainsi, le véritable portrait de l'auteur Ali Benflis - celui qui n'a pas perdu son temps dans les conciliabules interlopes - est dans son éducation, son savoir et son écriture qui témoignent de sa force de caractère, de son éloquence à travers la beauté du verbe, de sa sincérité dans le propos, de la fidélité de ses sentiments à l'égard de ces prophètes de la science, ceux-là mêmes qui l'ont accompagné, depuis sa prime jeunesse au «Franco-musulman», et qui ont marqué sa vie, car ils lui ont été ces modèles pétris de valeurs, de qualités et de principes. Dans un ouvrage, écrit dans les deux langues, et qui s'enjolive d'une belle parure, agrémenté d'un titre aussi bienveillant qu'expressif: A ceux qui m'ont fait découvrir le génie de la langue arabe, l'auteur va témoigner pour le corps enseignant qui a contribué efficacement et anonymement au grand combat des lumières contre les ténèbres de la criminelle entreprise coloniale qui se drape, aujourd'hui, des missions prétendument civilisatrices. Je reprends ici, en partie, l'éloquente et fraternelle dédicace dont il m'a fait l'insigne honneur, en m'offrant son livre le 25 février 2013. S'agissant d'une partie de moi-même, de cette mythique «Médersa», comme on l'appelait communément, j'ai commencé immédiatement sa lecture. Et ainsi, séduit par le contenu - j'avoue franchement que les émotions étaient là, au rendez-vous -, je le dévorais page par page en savourant les belles chroniques de ce magnifique lycée franco-musulman de Constantine, pareil au nôtre, celui de Ben-Aknoun. Instinctivement, je sollicitais mes souvenirs en ces lieux, sanctuaires du savoir et du patriotisme, qui ont confirmé la justesse du concept de résistance nationaliste où plusieurs jeunes issus de ces établissements ont été parmi les pionniers du combat libérateur et, plus tard, ont constitué l'ossature de l'Etat algérien naissant. Et comment ne pas être séduit, subjugué même, par une telle oeuvre d'un authentique médersien, notre frère Ali Benflis qui, dans son élan, n'a pas été très loin pour dénicher celui qui va la lui présenter, en lui donnant encore plus de grâce et de légitimité? Mohamed-Lakhdar Maougal, universitaire, écrivain, vice-président du Conseil scientifique de l'Académie africaine des langues, mais surtout son camarade de lycée, un autre «oiseau rare» aujourd'hui, dans cette communauté des anciens de l'enseignement franco-musulman, est celui sur lequel il a jeté son dévolu pour lui «extirper» cette amicale et valeureuse préface. Alors, ce dernier, affable et courtois, j'allais dire comme tous les médersiens, n'a pas hésité un seul instant pour ajouter son grain de sel à cet «hommage à nos anciens professeurs qui ont fait de nous ce que nous sommes, des frères de cette mère nourricière: la nostalgie des humanités et des lettres, la quête insatiable des assoiffés d'azur et de poésie». Mais comment est-elle venue cette idée pour que l'auteur nous présente un ouvrage de cette propension? Tout simplement parce qu'il a baigné des années durant dans cette ambiance de labeur, d'assiduité et de don de soi, avec des professeurs qu'il honore dans cet écrit d'une facture exceptionnelle. Et, en montrant son attachement affectif à ce panel de précepteurs, un attachement qui le grandit, il voudrait démontrer aujourd'hui, que ceux-là possédaient le véritable amour de père, un amour tranquille qui les faisait nobles, honnêtes, aimables, un amour souvent très attentionné car..., on ne le dira pas assez, transcendantal. Et comment ne l'était-il pas quand le jeune Ali Benflis sentait en eux cette éducation qui expliquait la façon d'inculquer à leurs disciples le sens intime qui doit conduire leurs actes et leur communiquer la force et le goût de vivre pleinement leur temps et leurs responsabilités? C'est ce qui ressort dans son ouvrage, en parlant de ces «pourvoyeurs» de culture qu'il appelle tantôt «chers Professeurs», tantôt «chers Maîtres», et que la préface met en exergue, dans un style on ne peut plus explicite: «L'amour légitime que consacre Ali Benflis à nos anciens professeurs est un véritable élixir de jouvence. Son importance n'est pas seulement pédagogique - ce qui va de soi - mais surtout politique. Ce travail met en lumière le dévouement discret et efficace de toute une génération engagée à corps perdu dans la bataille de l'émancipation patriotique, qui passe par celle menée contre l'ignorance et le désert de la réflexion». La Médersa, sanctuaire du nationalisme L'ouvrage donc, qui est entre nos mains, rédigé soigneusement avec «beaucoup d'intelligence et de subtilité», de pertinence et de vérité dans la langue d'El Moutanabbi et celle de Molière, traduit la volonté de l'auteur qui a su, de par ses fortes convictions, nous entraîner dans le sillage d'une narration délicate, ininterrompue, persistante, qui excite «cette curiosité qui fait de nous des êtres capables de ressusciter nos rêves passés, ni passéistes ni nostalgiques, tant ces rêves peuvent encore grandir en même temps que la croyance en une Algérie éclairée, digne, libre et tolérante, démocratique et cultivée». En effet, ces rêves peuvent, incontestablement, grandir non pas pour caresser notre égo, mais pour exprimer, tout simplement, avec des mots simples, que les médersiens, une race de jeunes aux ressources formidables, ne se complaisaient pas à faire seulement leurs «humanités» dans ces lycées, mais à en faire aussi «le lieu et le lien sociaux idoines pour donner son caractère national et patriotique à la Révolution que notre vaillant peuple menait au prix de lourds sacrifices». De cette participation effective à la révolution, l'auteur ne s'embarrasse d'aucun complexe. Car, pertinemment, il témoigne en mettant en avant cet enseignement prodigué par des professeurs, les siens, qui l'ont encadré et nourri de leur savoir, en «s'inscrivant en droite ligne dans le projet global d'engagement et de lutte contre le colonialisme sur tous les fronts, y compris au sein de ses propres institutions, la première d'entre elles étant l'école»... Oui, à l'école d'abord, où il a appris les bonnes manières mais également - tout en les confirmant - les rudiments de la culture de la différence, en tout point de vue. Ensuite, au lycée de Constantine, cet établissement «atypique» situé sur les hauteurs du plateau de Mansourah, qui sera débaptisé «Le lycée FLN», tout comme celui de Ben-Aknoun «Le nid de vipères», par les «ultras» et par tous les tenants du colonialisme, à l'époque où l'Algérie vivait sa guerre de Libération nationale. Alors, l'ambiance qui régnait dans ces sanctuaires du nationalisme faisait que les élèves prenaient très tôt conscience du drame algérien. Et de là, entre les cours que leur dispensaient des professeurs intransigeants sur les problèmes de formation et d'éducation, mais humains au regard des conditions sociales qu'ils vivaient, et les fréquentations militantes qu'ils entretenaient dans ces quartiers populaires de Constantine, Tlemcen ou Alger, ils (ces élèves) ne pouvaient être autrement que de précoces nationalistes dont la profondeur de la culture qu'ils recevaient allait convaincre davantage pour plus d'engagement avec la révolution. La preuve de ce qu'avance Ali Benflis dans son ouvrage est là, aujourd'hui, dans le bilan que l'Histoire, la vraie, reproduira demain en bonne place. Mais, d'ores et déjà, nous sommes heureux, non pas de constater seulement, mais de clamer, haut et fort, que la guerre de Libération nationale a vu et confirmé la participation effective de nos médersiens aux côtés de leurs frères travailleurs et paysans dans les maquis et dans les prisons. Un ouvrage pour vaincre la culture de l'oubli Revenons à ces Maîtres, que j'écris avec une majuscule. L'auteur Ali Benflis affirme en avant-propos de son ouvrage: «Nous avons tous une dette vis-à-vis de ces personnes qui ont patiemment donné de leur temps, de leur énergie afin de nous proposer l'excellence, dans des conditions parfois difficiles et dures.» C'est ainsi qu'il s'ouvre aux jeunes, en des confessions parfois pathétiques - en tout cas c'est mon impression, en tant qu'ancien élève de cet enseignement inoubliable - pour déclamer dans une rare apologie ceux qui ne faisaient rentrer dans son esprit, et le nôtre, que des choses justes et claires. C'est pour cela que dans son oeuvre, quand il aborde le chapitre de ces Maîtres - dont certains croiraient quelque peu dithyrambique -, il ne lésine sur aucune grande expression pour s'adresser à eux et les exalter, avec cette humilité qui est sienne. Ainsi, le profit qu'il aura tiré dans sa vie de disciple intelligent et perspicace, par le sens et la substance, est révélé à travers cet émouvant et non moins saisissant aveu quand il soutient: «Périlleux, mais ô combien exaltant, est l'exercice que j'entreprends aujourd'hui pour m'adresser respectueusement à vous, mes chers enseignants, qui continuez de nous accompagner sur les chemins de ce monde d'où vous avez disparu. Pas un jour ne passe, n'en doutez pas, sans que vos élèves ne méditent votre enseignement, toutes vos leçons de choses essentielles dans notre vie d'hommes et de femmes soumis au devoir de leur accomplissement.» Mais, franchement, qui va lui en vouloir d'être d'une part louangeur et, d'autre part, très modeste à l'égard de ces «Profs» qui l'ont laissé grandir sans savoir que le mal existe, parce que leur enseignement, plutôt leur éducation, n'était que bonté et amour du prochain? Alors, il est là, en plein dans cette meilleure semence de la meilleure variété qui lui a fait obtenir les meilleurs fruits. «N'est-ce pas que la Culture est une graine dans un pot», comme le soutenait le grammairien français Maurice Chapelan? Oui, l'auteur de l'ouvrage, baigné dans cette culture, nous entraîne dans un tourbillon de rappels extrêmement expressifs, non sans raviver en nous d'innombrables souvenirs et de bons sentiments. Il semble réciter une liturgie quand il évoque ses Maîtres, et si belles sont ses formules qu'il y a aussi en lui ce chantre qui appartient à cette génération pétrie de qualités, celle qui fait un grand effort pour vaincre à jamais la culture de l'oubli, c'est-à-dire celle de la déculturation et de la dépersonnalisation. A partir de là, je me pose la question: que puis-je conseiller comme autres extraits de A ceux qui m'ont fait découvrir le génie de la langue arabe qui expliqueraient ou justifieraient, c'est selon, ce fidèle penchant que nourrissent encore les anciens des lycées franco-musulmans, à ce magnifique système d'éducation, qui a été trucidé, peu après le recouvrement de notre souveraineté nationale? Eh bien, je reste hésitant, car chaque page, chaque paragraphe, chaque ligne et chaque mot, dans ce magnifique travail d'écriture de Ali Benflis, fait oeuvre utile en immortalisant et en honorant nos vénérables Maîtres et les programmes d'éducation qu'ils appliquaient, dans l'intérêt même de notre pays et de son Histoire éternelle. De là, je ne peux que clamer ma satisfaction à l'endroit de cette écriture qui nous réconcilie avec le sérieux, au moment où notre littérature quotidienne s'accommode, hélas, de déballages au moyen de phrases qui se construisent avec des matériaux appelés vols, détournements, corruptions, pointant des responsables insatiables qui semblent ne pas être inquiétés..., pour autant. En tout cas, je dis bravo à Si Ali, encore une fois. Il a fait oeuvre utile avec ce travail de mémoire, en exhumant les figures charismatiques, les bons Maîtres qui l'ont accompagné pendant sa scolarité au lycée franco-musulman de Constantine. Il s'est promis de faire les portraits de ces Hommes exemplaires, agrémentés par des actions qu'ils ont menées dans la difficulté et l'acharnement, avec l'aide de leurs familles dont il faut louer la contribution, toute limitée qu'elle fût. Et il a très bien réussi ce difficile examen pour lequel il a toute notre reconnaissance et celle de nos enfants. Assurément, celle de nos enfants qui sauront, demain, qui étaient, dans leur dévouement exemplaire et leurs généreuses compétences, ces valeurs d'exemple, les regrettés Maîtres Mostefaï Mouhoub ou Si Abderrachid, Benmohamed Abdelkader, Lamrani Mohamed, Sari Mohamed, Bouchareb Mokhtar et Cheikh Toumi, de son vrai nom, Sayef Abdelkader. Ainsi, en fixant l'attention dans son analyse sur leur vie et leur oeuvre, l'auteur a mis au jour cette partie de notre société qui, à un certain moment, a été contrainte au repli et au silence. Le plaidoyer devant le tribunal de «l'Histoire et des consciences» Je ne peux terminer cette critique littéraire sans donner aux futurs lecteurs de cet ouvrage l'ambiance chaleureuse de ce «procès» qu'a imaginé l'auteur, lui qui fut victime expiatoire d'autres «procès non moins malhonnêtes». Et c'est ainsi qu'à l'image de Naguib Mahfouz, dans son oeuvre monumentale, Par devant le trône, l'auteur, pardon Maître Ali Benflis, a lui aussi convoqué les «bienfaits» de ses Maîtres devant le «tribunal incorruptible de l'Histoire et des consciences». Alors, se laissant emporter par son imagination et cette seconde nature - ayant commencé jeune dans la magistrature et exercé ensuite de hautes responsabilités, notamment celle de garde des Sceaux -, il entame sa plaidoirie dans ce prétoire, avec une telle aisance, et une telle prestance, que le public, supposé nombreux dans la salle, se trouve agréablement rassuré par des propos qui coulent de source, parce que fort encourageants pour la défense de la Culture et du Savoir. «Appelé, aujourd'hui à témoigner à ce procès éminemment symbolique, je ne voudrais pas échapper à l'obligation de verser au dossier une pièce à mes yeux déterminante, susceptible d'aider les juges dans leur recherche du verdict, le plus juste qui soit... Ce document constitue la certification de vos actions, d'un acte fondamentalement prométhéen, en ce qu'il traduit votre préoccupation et votre volonté en nous formant, de préparer et de promouvoir l'émergence de l'homme libre pour une action émancipée...», dit-il devant le tribunal. La suite, je la laisse aux agréables moments que vous allez consacrer à la lecture de cet ouvrage sublime, de par son contenu... exceptionnel. Vous découvrirez, tant et tant de belles choses qu'il m'est impossible de résumer en quelques phrases, tellement les faits et les événements sont étroitement liés. Vous découvrirez, également, en Ali Benflis, après ce suspense littéraire, en lisant tout l'ouvrage, bien sûr, non pas l'Homme d'Etat - qui a convenablement rempli ses missions, dans le temps - mais l'Homme de Lettres, cultivé, intelligent, clairvoyant et subtil, en fait, l'intellectuel, dans toute sa plénitude, qui va dans l'analyse réfléchie et nous force d'accepter une comparaison qui nous saute à l'esprit... Cette comparaison entre l'Homme sain, patriote, inventif, qui a conscience de veiller à la construction de son pays et des «apprentis sorciers soucieux de prébendes, inquiets de rapines et de pillage de richesses de la Nation algérienne». Et là, ils sauront qu'«Il aura toujours été l'homme du propos correspondant à son comportement chatouilleux et de grande retenue. Cela trouve assurément son explication également dans le fait qu'il compte à son actif, et sans doute par une espèce de don, une qualité inégalée de la disponibilité à l'écoute avec beaucoup de patience, avec beaucoup d'attention, avec beaucoup de sérieux». Que Maougal, cet ancien médersien comme moi, m'excuse en me permettant ce larcin de mots joliment dits et de phrases complètes facilement composées, par lesquels il décrit notre ami commun Ali Benflis. Mais sans cela, aurais-je trouvé mieux pour faire ma conclusion, même si je devais m'essayer à des styles de rhétoriques, creusant dans ce qui me reste de cette langue belle et riche, la langue de Villon, Molière, Voltaire et Hugo? Alors, je me dis, pourquoi des excuses...? N'avions-nous pas mis la chemise, les souliers, voire le costume d'un camarade de classe, pour notre sortie du dimanche, parce qu'il se trouvait «consigné», ou tout simplement malade, gardant le lit à l'infirmerie? N'avions-nous pas partagé nos petites bourses, la veille des vacances scolaires, pour permettre à ceux parmi nous qui n'avaient pas d'argent de prendre le train ou le bus et de rejoindre leurs familles, à l'intérieur du pays? Et puis encore, qui m'empêcherait d'emprunter de belles expressions pour dire ma satisfaction pour le travail éminemment positif présenté par l'un des nôtres, Ali Benflis, travail que nous partageons entièrement, puisque nous avons vécu les mêmes passions, les mêmes émotions, dans la même période, dans nos établissements différents? Bravo Si Ali, nous t'attendons avec d'autres productions littéraires. Quant à cet ouvrage, franchement, un coup de maître, il nous vient dans toute sa générosité, pour hisser chaleureusement au pinacle un enseignement, des amis et des Maîtres que nous avons toujours aimés et célébrés. Il nous vient pour chasser la nostalgie et nous faire revivre le passé avec cette projection sur un présent qui doit être plus ordonné et mieux observé pour mieux appréhender l'avenir. N'est-ce pas, comme disait Stendhal, que «la plupart des hommes ont un moment dans leur vie où ils peuvent faire de grandes choses, et ce moment est celui où rien ne leur semble impossible?». Et ce ne sera pas du domaine de l'impossible pour toi, parce que tu as de qui tenir, d'un paternel, tombé au champ d'honneur, du temps de ces années de braise, et de ces Maîtres, les Mostefaï, Benmohamed, Sari et autres Lamrani, qui t'ont inculqué la constance et l'opiniâtreté dans les idées...