L'ailleurs est une force libératrice d'énergie Amar Amarni vit en Europe, mais il a le coeur toujours en Algérie. Après des années passées à l'Ecole nationale des beaux-arts, Amarni a choisi de partir. Tenter l'aventure ailleurs. Un ailleurs qu'il décrit dans cet entretien comme une force libératrice d'énergie. Le peintre et musicien essaie en fait de transformer la nostalgie de l'éloignement en une énergie créatrice. Actuellement, il développe une nouvelle expérience artistique et novatrice «Amart Expérience». Il nous en parle justement dans cet entretien. L'Expresion: Qu'est-ce qui vous inspire le plus? Amar Amarni: Enfin, l'inspiration vient à tout moment, dans n'importe quelle situation. C'est en fait, la notion du moment présent. Si vous permettez, une question plus intimiste: l'émigration est-elle une source d'inspiration? Parfaitement. En fait, toute peine et contradiction contribuent à la création artistique. Toutefois, l'émigration de notre temps est différente de celle d'avant. Je veux dire celle de mon père, mais ça reste une forme d'émigration. Je veux dire qu'au-delà de l'émigration économique, il y a plus important et profond que ça, c'est l'ouverture vers le monde dans toutes ses dimensions: culturelle, humaine et autres. Nous, les Algériens sommes asphyxiés par tout ce qui se passe. Si seulement nous pouvions embrasser le monde dans toute son ampleur, nous laisserions tomber beaucoup de choses auxquelles nous nous attachons et que nous croyons importantes. Nous allons valoriser plein d'autres choses que nous pensons inutiles ou dépassées par le temps, comme certaines valeurs humaines. Et dans tout cela, ceux qui nous gouvernent sont responsables de notre sort en général. Enfin, on a tous une part de responsabilité. Le lecteur de L'Expression voudrait bien cerner un peu votre travail artistique. Je fais de la peinture, de la musique de films artistiques. En fait, je vis mon expérience à travers ces différentes expressions artistiques que j'ai toujours exercées depuis mon enfance. Maintenant, j'essaie de les réunir et de les partager avec les gens, tout simplement. D'ou l'idée de développer cette expérience artistique «Amart Expérience» que je construis et que je formule petit à petit. Cette expérience réunit le son, la musique, la peinture et des films artistiques. Qu'est-ce que ça donne sur scène? Ça donne une performance artistique qui englobe toutes ces expressions. C'est vrai que ce n'est pas facile de faire fonctionner tout ça, mais c'est le but de cette aventure artistique justement. En fait, j'essaie de retrouver le lien entre toutes ces expressions de façon à ce qu'elles se complètent. A propos, la dernière expérience que j'ai faite avec Noufel Bouzeboudja était super intéressante, car on a rajouté des mots et de la danse contemporaine. Ce genre d'expression existe dans le monde artistique contemporain, comme le groupe des Blue Man. Pour le moment, l'expérience se construit et le public apprécie beaucoup. Donc, c'est positif. Elle se développe de mieux en mieux à chaque prestation faite sur scène. C'est vrai qu'en ce moment c'est difficile de trouver des musiciens et des artistes qui adhèrent à ce concept, car ce n'est pas seulement une question de technique de musique, mais plutôt de partage de la dimension artistique. Comptez-vous faire partager cette expérience au public algérien? Une tournée en Algérie? Avec un énorme plaisir. D'ailleurs, j'espère que les responsables de la culture dans notre pays vont accepter de financer cette tournée et permettre au public de découvrir des expressions différentes et enrichissantes sur le plan artistique. En fait, la mission est beaucoup plus de partager et surtout de stimuler des énergies créatives de nombreux autres artistes qui n'ont pas eu cette chance de s'ouvrir au monde. La scène artistique de notre pays a-t-elle changé depuis que vous êtes parti en Europe? Je pense qu'il y a plus de bruit ces dernières années au vu des dures années qu'on a passées. Mais bon... En matière d'art, il y a beaucoup à faire encore et comme c'est le pouvoir qui subventionne tout ça, il influe énormément sur les orientations. Quand ça n'adhère pas à leur univers politique, le produit est out. Moi je pense que l'expression artistique libre est entre les mains des résistants. Je veux dire, la résistance face à la médiocrité. Un artiste algérien qui vous inspire? Enfin, il y en a plusieurs. Mohya, par exemple, m'inspire sur le plan de sa dimension absurde et existentielle. C'est énorme comme personnage. Et puis, il y a Slimane Azem, El Hasnaoui, Matoub, Idir. Les artistes contemporains, j'aime bien Ali Amrane, Sidi Bémol, Amazigh Kateb. Enfin, j'aime bien tous les artistes qui creusent toujours au fond d'eux-mêmes et qui existent à travers leur propre travail, contrairement à d'autres qui ne sont que des suivistes, surfant toujours dans le superficiel. L'art, avant qu'il soit une pratique quelconque, c'est d'abord une façon d'être et d'exister. Et si on vous dit que vous êtes le porte-voix ou l'ambassadeur de la nouvelle génération d'artistes algériens à l'étranger? Je vous raconte une petite anecdote. Là, je suis en train de finir un nouvel album qui sortira, si tout va bien, en novembre avec Mhenna Tigrini. Mhenna Tigrini est un très bon musicien et un technicien du son qui a travaillé avec plusieurs artistes algériens connus. Quand il a vu mon travail, il a insisté pour m'aider à enregistrer dans son studio gratuitement alors qu'il a refusé de travailler pour d'autres artistes connus sur la scène musicale. Et je lui ai dit que je ne comprenais pas pourquoi il insistait pour m'aider. Il m'a répondu qu'il le fait parce qu'il aimait ce que je fais et qu'il croyait en moi et surtout qu'il le faisait pour l'art et la culture. Il m'avait dit qu'il pensait que je serais un bon ambassadeur de la musique berbère contemporaine. Enfin, c'est lui qui pense ça. Je l'espère en tout cas. Moi, je vis mon présent à travers mon expression artistique tout simplement. C'est en fait l'histoire de mon temps qui s'écrit par ces expressions artistiques inspirées du moment présent.