Abdelatif Kechiche va secouer le «bunker» du festival Lorsqu'un grigris est égaré, il vaut mieux, pour celui qui y croit, de se pointer vers le premier taleb venu pour en commander un autre. Problème, Mahamat Haroun Saleh est à Cannes et à des kilomètres à la ronde, pas de talibeh à l'horizon. Alors, qui va éloigner le mauvais oeil de son film Grigris? Bigre. Fort de cette (bonne) réputation acquise, ici même, avec Un Homme qui crie qui décrocha le Prix du jury à Cannes en 2010, Haroun a montré lundi, Grigris sa dernière réalisation. Servi par un jeune acteur burkinabé (Souleymane Démé), le film laissait entrevoir, et ce, dès le plan d'ouverture, des promesses certaines d'un voyage au loin. Un corps aussi souple qu'une liane, malgré la polio qui lui a neutralisé une jambe, dans son abandon bien contrôlé à l'intérieur d'une chorégraphie sauvage, mais au synchronisme frappant de modernité, n'est pas sans rappeler le fameux numéro effectué par John Travolta dans Pulp fiction de Tarantino, dans cette boîte de N'djaména il ne manquait plus que Maria Medeiros pour que l'illusion soit parfaite. Mais Mimi (Anaïs Monory), dans le rôle de la jeune péripatéticienne, est là. Elle va, elle aussi, être séduite par le numéro de Grigris, au point où quand le besoin se fera ressentir, de se replier avec lui vers le village de brousse où la jeune femme a une amie, Fatimeh, afin d'éviter à son amoureux une bastonnade plus importante que celle dont il a été la victime pour un détournement d'un lot de jerricans de carburant de contrebande. Là, même si un consultant comme Jacques Akshoti a mis la main à la pâte scénaristique, Grigris dégage un ennui certain, s'étant trop attardé sur la forme en escamotant un fond, visité sur le dos d'une sauterelle. Il ne dit rien de ce trafic de carburant aux abords du Lac Tchad, ni de cette prostitution qui semble être ici, exercée sans aucune contrainte, hormis celle économique... Du coup, même le travail sur le corps sublimé au cinéma par Claire Denis, avec Beau Travail, par exemple ou carrément et pour placer la barre très haut, Désiré Ecaré dans Visages de femmes (1985)... Ce film ivoirien, une véritable comète dans le ciel africain, contenait déjà la majeure partie des thèmes abordés dans le film tchadien qui est aussi handicapé par le peu de travail effectué sur la thématique, comme c'est hélas le cas de nombre de films africains ou l'on se contente d'aborder des thèmes comme si on enfilait des scories... Paillettes et strass En attendant mieux de ce continent, restons avec les paillettes et le strass à la pelle que Ma vie avec Liberace de Steven Soderbergh a mis à portée du regard, et donc plein la vue sans pour autant escamoter l'essentiel, cette fameuse thématique: «Jusqu'où peut-on aller, dans la compromission, pour vivre pleinement ce que l'on a envie d'être!» Liberace, qui fut un temps, l'artiste le plus payé du monde, plus que son contemporain Elvis Presley, grâce à son show avec piano, son candélabre posé dessus, ses manteaux à la traîne, ses énormes bagues et ses Steinway. Soderbergh, partant des confidences de son dernier amant, Scott (Matt Damon, plus Patrick Juvet, tu meurs) qui a vécu ces années où l'artiste tutoyait l'Olympe avant d'être foudroyé par le sida qui avait commencé sa mortelle randonnée... Refusé les studios hollywoodiens qui y vont avec sans doute une ode à «vulgaire» (sic), comme si l'obscène ne concernait pas ces films au kilomètre qui ont inspiré tant et tant de fusillades dans les rues américaines... HBO, la chaîne qui révolutionna les genres, particulièrement les séries, accepta sans hésiter de le produire. Et bien lui en a pris. Car cela va être la bonne occasion de décerner un Prix d'interprétation au grand Michael Douglas qui a exécuté un numéro d'acteur qui n'a d'égal que la performance de Jack Lemmon dans Certains l'aiment chaud (1959) de Billy Wilder. Remarquez, si le fils de Kirk Douglas partageait cette distinction cannoise avec Matt Damon, cela serait aussi logique. Même si, eu égard à la double performance, combat contre un cancer de la gorge et une interprétation de si haut vol, justifierait amplement que Michael Douglas parte avec la «totalité» de la récompense. Le jury se limitera-t-il à cette distinction. D'aucuns parient sur une attention toute particulière envers Steven Soderbergh qui aurait annoncé son abandon de la mise en scène, ce que son producteur a aussi fait de traduire, sur la Croisette, en «pause», ce qui serait plus proche de la vérité. Par contre, le Français François Ozon qui avait attiré une certaine sympathie sur lui et sur son film» Jeune et jolie, aurait toutes les peines à rectifier des propos pour le moins étranges, pour ne pas dire scandaleux, tenus dans les colonnes de Hollywood Reporter à son envoyée spéciale à Cannes: «C'est un fantasme de beaucoup de femmes de se prostituer. Ça ne veut pas dire qu'elles le font, mais le fait d'être payé pour coucher est quelque chose qui fait partie de la sexualité féminine...» Du coup, une organisation féministe lui a attribué, sans hésitation aucune... La Palme d'Or du connard! Certes chacun est libre (quoique...) d'exprimer sa pensée, mais pas forcément en l'érigeant en certitude; Ozon qui a toujours porté un regard superficiel sur les femmes, mais que beaucoup ont considéré «génial» car... «osé», a en fait, levé le voile sur ses prétentions à croire que son cinéma véhicule une pensée avant-gardiste, alors qu'elle est aussi claire qu'une marée noire sur les côtes bretonnes. Tout le monde n'est pas Rainer W. Fassbinder pour parler des femmes, avec cette intelligence du coeur et surtout avec le talent qui va avec. Là où le cinéaste allemand se montre attentif, le français n'est que démonstratif. L'érotisme de Fassbinder n'est pas de la pornographie, qui a aussi ses utilités pour peu qu'elle soit présentée en tant que telle et non pas sous le vernis intellectuel que prodigue un Michel Houellebecq par pages entières. Gorges chaudes C'est d'ailleurs, un phénomène qui gagne du terrain actuellement et pour ne pas être catégorique, laissons le temps faire son affaire et séparer le bon grain de l'ivraie. Cela concerne aussi le film d Alain Guiraudie L'inconnu du Lac. Qui suscite des gorges chaudes, ici à Cannes... Un flot dithyrambique ne cesse de couler depuis sa projection à Un Certain Regard, saluant une audace (sic) que d'aucuns trouveraient à nulle autre pareille, parce que l'on voit, plein écran des garçons faire l'amour, illustration style pompier du Bonheur est dans le pré. Alors que la partie la plus «émotionnelle» est dans la partie où Guiraudie a toujours excellé, en parfait ciseleur de l'âme en tumulte, et qui est clairement énoncé dans son petit bijou Tout droit jusqu'au matin... Sinon pour le rapport «marcusien» au plaisir (allez, faisons l'intello, un peu), il faut (re)voir Le Chant du désir de Jean Genêt... Pour le film de «genre» comme on dit hypocritement, il y a certes Guiraudie mais aussi Jacques Nolot et surtout Sébastien Lifshitz, auteur d'un émouvant documentaire Bambi, à venir, tourné en partie à... Bordj Menaïel, à quelques encablures d'Alger. Enfin et s'agissant toujours de surtout ce droit à la différence et à la tolérance, ce soir Abdelatif Kechiche va non seulement y ajouter son grain de sel, mais va surtout secouer le «bunker» du festival, qui va sentir le sol bouger sous ses fondations. L'enfant terrible du cinéma français va carrément provoquer un «duel» avec Spielberg, himself et c'est peu dire... Et une chose est (presque sûre) Kechiche sera au palmarès et peut-être aussi son actrice Adèle Exarchopoulos, révélée, à l'âge de 11 ans par Jane Birkin dans Boxes (2007) et qui a été distinguée dernièrement dans La Rafle de Rose Bosh. Aux côtés de Léa Seydoux et sous la redoutable direction de Kechiche, la jeune Française d'origine grecque, Adèle Exarchopoulos, va entrer ce soir dans la légende, en attendant plus...