«Je rêve d'une révolution dans toutes les démocraties corrompues où sévit l'injustice sociale et je rêve d'un soulèvement dans nos banlieues.» Abdelatif Kechiche Dans quelques heures, le film de Abdelatif Kechiche La vie d'Adèle aura une autre vie au cinéma. Favori pour dérocher la Palme d'or, le Franco-Tunisien sera le deuxième cinéaste arabe et africain à décrocher cette distinction... en tant que réalisateur après Mohamed Lakhdar Hamina et Chronique des années de braise. Mais dans cette affaire, la Tunisie ne sera pas fière de ce film qui alimente déjà la polémique aussi bien en France qu'ailleurs. Car le film n'est pas produit par la Tunisie et n'évoque pas un sujet tunisien. C'est sans doute pour cette raison que le ministre de la Culture tunisien...n'a pas répondu à l'invitation de son homologue français pour assister à la projection de 19h de La vie d'Adèle. Contrairement au film Le Passé d'Asghar Farhadi, le réalisateur iranien avait gardé son identité et son âme de Perse, alors que Abdelatif Kechiche qui est venu en France à l'âge de 6 ans a compris que pour réussir dans le cinéma en France, il faut filmer des sujets.... français. Juste après la projection de La vie d'Adèle on a croisé deux critiques égyptiens qui sont restés sonnés après une projection qui a duré plus de trois heures. L'un des deux critiques qui connaît bien le cinéma tunisien, a déclaré notamment que le cinéaste tunisien a fait un film français avec une sensibilité française alors que le cinéaste iranien a fait un film français avec une sensibilité iranienne. Dans Le Passé, le cinéaste iranien s'est interdit de montrer une scène de nu ou un bout de sein, alors que le cinéaste tunisien dans La vie d'Adèle nous a mis plein la gueule en matière de sexe et en libertinage. Dans le stand tunisien situé juste à côté du stand algérien, l'ambiance n'est pas «gay». Abdelatif Kechiche, qui pourra être le premier réalisateur tunisien à décrocher une Palme d'or, ne leur a pas rendu visite. Ils n'ont même pas été invités à la soirée organisée par les producteurs du film dans une luxueuse villa sur les hauteurs de Cannes. On imagine le grand sourire de Mohamed Lakhdar Hamina, quand Kechiche décrochera la Palme d'or, il dira sûrement: «Au moins moi j'ai obtenu la Palme d'or avec un film sur la Révolution algérienne et financé par l'argent du gouvernement algérien.» Car c'est important l'identité du film et du financement. Après que l'Algérie eût décroché la Palme d'or, le président Boumedienne organisa une zerda et une projection à la salle Harcha à laquelle a assisté Che Gevara et plusieurs responsables politiques étrangers. On voit mal Ghannouchi organiser une projection de La vie d'Adèle à Tunis! D'abord, parce que le sujet n'est pas français. Quand le film de Rachid Bouchareb Indigènes décroche le Prix d'interprétation à Cannes c'est essentiellement parce que la politique avait appuyé ce film sur la base de l'apport humain et historique «des libérateurs» de la France. Les producteurs et plus particulièrement Canal+ et France Télévision y étaient pour beaucoup dans cette consécration. Trois ans après Bouchareb, qui est revenu sur la Croisette avec le film Hors-la-loi n'a pas été reçu avec le même enthousiasme, parce que ce sujet pro-algérien et anticolonial ne cadrait pas avec la raison cinématographique cannoise. Alors touchons du bois et espérons que Spielberg aura assez de pouvoir pour imposer la vision iranienne du film Le Passé sur la vision française et politicienne de La vie d'Adèle. [email protected]