Le flirt politique amorcé entre Alger et Washington, dès l'arrivée au pouvoir de Bouteflika, a connu une vraie cristallisation qui ne laisse pas indifférents les prévisionnistes politiques. Si pour l'Humanité, il y a eu l'avant et l'après-Jésus-Christ, pour les Américains et une bonne partie de la planète, il y a désormais l'avant et l'après-11 septembre. Il est vrai que c'est toute l'Amérique qui a vu, depuis la destruction des deux tours du World Trade Center, son honneur castré. On n'en revient pas! 270 millions d'Américains, tétanisés, n'arrivent toujours pas à expliquer cette malédiction qui s'est abattue sur cette nation que Dieu et George Washington ont choisie pour régenter les affaires du monde. L'Afghanistan du mollah Omar et d'Oussama Ben Laden ajouté à la peur contagieuse de l'anthrax finiront-ils par dissuader, si ce n'est déjà fait, les Américains de se remettre en question? Jamais la célèbre apostrophe de William Shakespeare «To be or not to be» ne s'applique opportunément, aussi bien et à un moment aussi fort que celui-ci, à l'Histoire de l'Amérique. La vision du monde depuis Washington va changer. A un rythme jamais égalé. L'Amérique fait son introspection et prépare sa thérapie. Un véritable travail de psychanalyse est en train de s'opérer dans les esprits. A Washington, New York, Los Angeles, Dallas, on en mesure déjà les premiers effets dans le comportement des Américains. L'ambassade américaine à Alger ne vient-elle pas d'avertir certains directeurs de quotidiens que les Etats-Unis opèrent, d'ores et déjà, un tournant capital dans la pratique, qui fut la sienne, de gérer et de voir le reste de la planète? Les diplomates américains nous ont clairement expliqué qu'à l'avenir, l'Algérie sera l'un de ces principaux axes dans le monde sur lequel Washington s'appuiera dans sa nouvelle stratégie politique internationale de redéploiement. Ce choix s'appliquera apparemment sur un double plan, arabe et africain. Peut-on en conclure dès lors que Bouteflika a conquis les coeurs des dirigeants américains? Le flirt politique amorcé entre Alger et Washington, dès l'arrivée au pouvoir de Bouteflika, a connu une vraie cristallisation qui ne laisse pas indifférents les prévisionnistes politiques. Alger et Washington ne vivent pas seulement une idylle politique. Mieux, ils sont d'accord pour devenir des partenaires à part entière unis, loyaux, et, pourquoi pas, à défaut d'être complices, être de vrais alliés. Le monde change. Ne convient-il pas de l'accompagner donc dans ses mutations à la même vitesse et avec la même force? Nous assistons, à l'heure actuelle, à une phase de redéfinition totale, de recomposition profonde du champ stratégique d'alliances de l'Amérique, inauguré depuis Yalta. L'Algérie a toujours entretenu des rapports crispés avec les Etats-Unis dus, en partie, aux retombées de la guerre froide, mais aussi à la connivence clairement affichée par Washington aux côtés de Tel-Aviv tout au long du conflit arabo-israélien. Ce qui n'a pas manqué, à ce jour, de heurter violemment les consciences arabes. L'Union soviétique de Khrouchtchev avait su récupérer, dès 1962, et mettre à son service toute l'influence grandissante qu'exerçait alors la Révolution algérienne sur le reste du monde arabe et du tiers-monde. Les Algériens n'ont connu de l'Amérique qu'un personnage fabuleux dont l'une des places de notre capitale porte le nom, celui du président John Fitzgerald Kennedy. En Afrique du Nord, l'on ne nous comptait pas parmi les amis du peuple américain qui, lui, avait su tisser, en leur donnant de l'épaisseur, de solides relations tant avec Rabat que Tunis. L'arrivée sur la scène diplomatique internationale de l'Algérie va bousculer les traditions savamment établies. Emerge alors une jeune star de la diplomatie qui va donner le tournis à la fois à l'Amérique et à ses alliés du monde occidental. Il s'appelle Abdelaziz Bouteflika. Et il a à peine 28 ans quand commence à fleurir son prestige dans les allées du palais de Manhattan, siège de l'ONU, à New York. A ses côtés, il y a une force incomparable face au poids du Goliath américain: 120 pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. La coqueluche de la nouvelle diplomatie internationale est née. Elle provoque déjà le vertige de ce nouveau pape de la diplomatie US qui a pour nom Kissinger et que ses fidèles alliés interpellent par l'affectueux vocable de «Dear Henry». Les deux hommes, l'Algérien et l'Américain, s'affrontent sur tous les points chauds qui ensanglantent le monde: Proche-Orient, Vietnam, décolonisation de l'Afrique, lutte contre l'apartheid, etc. Le face-à-face Kissinger-Bouteflika marque les turbulentes années 70, surtout quand notre ministre est choisi pour présider l'assemblée générale de l'ONU. Réaction immédiate: il chasse les représentants de l'apartheid et invite Arafat à s'adresser au monde depuis la tribune des nations. Le monde occidental est abasourdi. Le tiers-monde, lui, pavoise. L'Administration américaine, le State Department, la CIA, suivent pas à pas les actions diplomatiques de l'Algérien qui a fait de son pays la figure de proue d'un tiers-monde en quête d'émancipation depuis le Sommet des non-alignés, en 1973, à Alger. L'Amérique ne renouera que vingt ans plus tard, avec Bouteflika. A l'occasion de sa première sortie à l'ONU, en septembre 1999, Bouteflika rencontre Henry Kissinger. Un moment fort pour ces deux vieux baroudeurs de la diplomatie. C'est donc tout ce passé qui explique pourquoi l'Amérique de Bush a adopté Bouteflika. Dès son installation à la Maison-Blanche, le successeur de Clinton adresse plusieurs signaux au Président algérien. Ses conseillers viennent de l'avertir que Bouteflika n'a pas son pareil dans le monde arabe et en Afrique pour décoder les cas les plus complexes. Que ce soit dans la gestion du dossier proche-oriental ou celui de l'Afrique que Bush voudrait percevoir sous leurs moindres arcanes, l'Algérien ne pourrait-il pas efficacement l'aider à en démêler l'écheveau? C'est ce qui va expliquer la teneur de ce premier message de Bush à Bouteflika: «Je compte sur vos conseils, lui écrit-il, pour trouver une solution au problème palestinien.» Le tout-puissant patron de la planète vient solliciter, sans ambages, les services de l'expert Bouteflika - qu'il sait être écouté avec respect par ses pairs arabes - pour le conseiller à gérer les affaires de cette turbulente partie de la mappemonde. Suivra alors la première visite officielle, trois mois plus tard, le 12 juillet dernier, du Président Bouteflika aux Etats-Unis. Le contact avec les Américains est chargé d'ondes positives. Les atomes crochus, de part et d'autre, rythment l'atmosphère des entretiens algéro-américains d'abord avec des mem-bres du Congrès dont Edward Kennedy, puis la présidente du Conseil national de sécurité, Mme Rice. Avec Colin Powell, le secrétaire d'Etat, le Président algérien partagera un déjeuner convivial qui aura fini de livrer tous ses secrets entre la poire et le fromage. L'analyse pointue que fait l'hôte algérien sur la situation internationale séduit, épate l'Américain avant le tête-à-tête historique, à la Maison-Blanche, entre Bush et Bouteflika. Un ange vient de survoler le bureau ovale. Au bout de près d'une heure d'entretien, les deux hommes ont déjà fait le tour de la question qui les intéresse: comment se rapprocher? Bush soutient Bouteflika pour tous ses efforts de redressement de la situation intérieure, l'encourage à persévérer pour ancrer la concorde civile, le félicite pour ses grands choix politiques et économiques. Mais aussi? Pour son rôle de peacemaker dans le règlement du conflit érythro-éthiopien et pour ses analyses de la situation dans le monde arabe et en Afrique. Les deux hommes vont échanger plusieurs messages en l'espace de ces trois derniers mois, avant la terrible tragédie des attentats contre le World Trade Center et le Pentagone... La lutte contre le terrorisme islamiste va sceller le rapprochement entre ces deux hommes. Bush sait que l'Algérie comptabilise déjà 200.000 morts. Depuis dix ans, l'hydre islamiste est combattue en Algérie. Il ne trouvera pas de meilleur allié pour le conseiller. D'autres messages sont échangés entre Alger et Washington. Bush va même jusqu'à lui déclarer: «J'aimerais travailler avec vous...», avant cet appel téléphonique en plein engagement américain contre l'Afghanistan. Cette communication téléphonique de Bush à Bouteflika va durer plus de 45 minutes! Lundi soir, elle vient encore d'être confortée carrément par une nouvelle invitation de Bush à Bouteflika pour des entretiens à la Maison-Blanche, le 5 novembre. Dans ce nouveau tourbillon planétaire, l'expert Bouteflika est certainement le bienvenu! Good Luck !