Trois jours pour l'histoire. Ces rencontres qui ont ouvert la 6e édition du Festival international de littérature et du livre de jeunesse se sont achevées dimanche dernier par une journée riche déclinée en trois temps. C'est dans climat un suffocant pour cause de hausse de température estivale et manque d'électricité (climatisation donc) qu'a débuté, cette table ronde animée par deux femmes. Dans sa communication, l'universitaire Kahena Bentayeb s'est employée à évoquer le recueil de conte Baba Fekrane de Mohamed Dib et de parler du personnage qui usant de sa malice et son intelligence pour ruser et affronter son ennemi. Un personnage animalier qui «arrive souvent à se venger. Dans la culture algérienne, le hérisson paraît plus intelligent que le chacal. C'est son arme. L'intelligence c'est l'arme du faible. Dans la littérature de jeunesse contemporaine, pour le jeune lecteur cela le rassure...» a-t-elle souligné. Pour sa part, Fella Benabed questionnera l'ultime texte de Rachid Mimouni, La Malédiction écrit pendant la décennie noire en 1993 ainsi qu'A quoi rêvent les loups de Yasmina Khadra. Pour notre oratrice, ces livres sont considérés comme des «scriptothérapies» visant à guérir auteur et lecteur. Et de souligner: «Les deux écrivains ont contribué à disséquer leur société et démontrer quel a été le terreau social qui a mené au terrorisme, à savoir la frustration...» L'écriture d'une oeuvre littéraire peut être curative et thérapeutique par l'identification. Le lecteur peut ressentir de l'empathie envers les autres en comprenant les causes qui ont mené au crime...» et d'ajouter un peu plus loin: «Si Mimouni condamne le terrorisme, Yasmina Khadra, lui, a tenté de montrer comment on devient terroriste et la victime, bourreau.. la frustration engendre l'agression, mais ceci n'est pas une science exacte...Yasmina Khadra a choisi l'approche psychologique pour parler et expliquer le terrorisme..». l'électricité, revenue entre-temps et le débat devenant plus intéressant, on passe à la seconde table ronde toujours placée sous le signe du féminin. En effet, elles sont trois romancières de générations différentes qui prendront la parole et porter un regard intime sur la guerre de Libération nationale... Deux Françaises et une Algérienne. Elles n'ont ni le même âge ni le même vécu, mais l'Algérie a, à un moment ou un autre de leur vie, croisé leur coeur et marqué leur esprit à jamais. Monique Rivet avait été nommée pour son premier poste en 1956 à Sidi Bel Abbès. Elle a ensuite passé trois ans à Oran, professeur au lycée de jeunes filles; elle est rentrée en France en 1960. De ces années, elle en a tiré un roman, Le Glacis, caché dans un tiroir et récemment publié. Christelle Baldeck est née en 1976. Son dernier roman, Sujets tabous, met en scène une jeune fille dont le père a été soldat en Algérie. Maïssa Bey, née en 1950, à Ksar El Boukhari, a beaucoup écrit. Dans ses romans, elle plante ses décors au coeur de la Guerre d'indépendance ou dans la tragédie nationale. D'emblée ces trois écrivaines vont croiser leurs visions nées d'expériences vécues, de souvenirs exhumés ou d'imaginaires. Souvent, c'est le traumatisme qui pousse à écrire. Ici la violence semble être le point commun de nos trois écrivaines. Violence physique ou psychologique, celle-ci va être le moteur déclencheur qui poussera ces trois femmes à s'épancher et exhumer leur démon dans l'écriture. Pour Christelle Baldeck, la violence, subie quand elle était petite alors qu'elle était «très gentille», l'a fait réfléchir. Plus tard, elle comprendra qu'elle était en train de payer pour le mal supposé fait par son père durant la guerre d'Algérie, puisque «j'ai appris que des militaires français avaient tué et violé des Algériennes. En même temps je ne sais pas ce que mon père a fait...» Pour Maïssa Bey, alterner dans ses romans entre tragédie de la guerre d'indépendance et tragédie de la tragédie nationale est quelque chose qu'elle n'a pas calculé. «Je ne crois pas que j'écris par préméditation. Il y a des urgences par moment, d'où ce texte né suite à cette loi sur les bienfaits de la colonisation (mais quand j'écris un texte, c'est le sujet qui s'impose à moi... et ces deux tragédies sont intimement liées». Rappelons que pour Maïssa Bey, la figure du père torturé par la France est celle qui l'a poussée à écrire.. «J'ai essayé d'ouvrir cette chambre nue qui donne sur cette scène de torture, par la plume...». Pour Christelle Baldeck qui dit aimer les Algériens et leur culture, s'emparer d'exotisme ne la dérange par conséquent pas, dans la mesure où si la culture des Algériens lui plait, elle en parle. Tout comme l'Emir Abdelakder dont la figure altruiste l'a étonnée et poussée à le mettre en valeur dans son livre. Pour Monique Rivet qui affirme que «le colonialisme est un crime», il existait «une ambiguïté terrible» qui régnait à son époque en Algérie. «Tout était tenu par les Français et ces derniers se considéraient, d'une part, chez eux, et d'une autre part, que les indigènes étaient incapables de gérer le pays tout comme étaient perçues les femmes à l'époque comme des incapables de conduire une voiture. La ségrégation coloniale était basée sur cette infériorité naturelle.» et de poursuivre: «Je ne désapprouve pas mon personnage ni soi-même. S'engager n'est pas qu'avec ses armes, mais sa bouche aussi. C'est ce que nous faisions, nous intellectuels..». Pour Christelle Baldeck évoquer le pardon était quelque chose d'important. «le pardon me touche énormément. J'avais besoin de parler de pardon entre ces hommes et femmes qui se sont combattus. Mon père est mort quand j'avais 11 ans. J'ai grandi dans une famille raciste, c'est pourquoi il y aura toujours des juifs, des Noirs ou des Arabes dans mes romans...» Dernière ligne droite de cette journée, des lycéennes des Glycines rendront hommage à Yamina Mechakra en lisant quelques extraits de son récit poétique La Grotte éclatée tandis que Ahmed Cheniki, le spécialiste de théâtre en Algérie tentera d'analyser ces fragments littéraires à la lueur de cette pièce adaptée du roman en 2007 par Benhassine Haïder et mise en scène par Ahmed Benaïssa, tous deux absents à cette rencontre. «C'est une escroquerie que de vouloir adapter la littérature au théâtre dira avec exaspération Ahmed Cheniki qui parlera de 4eme en Algérie avec justesse et tempérament inouï.