Le mois de Ramadhan serait-il celui de tous les dépassements? Eu égard à ce qui est en cours durant ce mois à Béjaïa, on est tenté de le croire. S'il est connu jusque-là que les citoyens jeûneurs versent un peu trop dans les dépenses pour des produits de consommation gagnés comme ils le sont par une boulimie de conjoncture, ces dernières années, des manifestations plus ou moins douteuses font leur apparition à l'occasion du mois sacré. Un mois perçu par certains comme une opportunité à ne pas rater pour la propagande islamiste, dont se passeraient bien volontiers de nombreux citoyens pieux. Depuis le début de l'été, les salafistes ont montré leurs crocs à trois reprises allant jusqu'à se permettre de jouer aux policiers en procédant à la suspension d'un gala artistique ou encore en légiférant dans leur prêche que toute soirée qui sort du cadre religieux est prohibée (haram). Voilà la situation que connaît une région à vocation touristique. Une région appelée demain à être à la rescousse d'une économie nationale paralysée par la corruption et les détournements. Le premier jour d'une traditionnelle manifestation organisée par la Maison de la culture, un groupe de religieuses de la mosquée El Kawthar, située non loin de là, a réussi à suspendre un concert de chants animé par Ali Amrane dans la cadre du Festival de la chanson kabyle. Le groupe, qui se présentait alors comme porte-parole d'une mosquée voisine, qui n'en a pas un légalement, était venu auparavant dans l'intention d'annuler carrément cette manifestation, pourtant autorisée par les plus hautes autorités de la wilaya et parrainée par le ministère de la Culture. Il aura fallu d'âpres négociations pour déboucher finalement à un accord qui arrange les deux parties. La manifestation se poursuivra avec cependant une coupure au moment de l'Adhan et de la prière. Un pas vers l'inconnu puisque ni les présents encore moins les services concernés n'ont bronché sur cette affaire. A moins que des mesures étaient prises dans l'ombre. Il y a trois jours, un imam de la mosquée de la haute ville décrétait «haram» toutes initiatives festives qui sortent du cadre religieux. En dautres termes, toute soirée qui n'aurait pas de lien direct avec la religion est interdite. On croit savoir que la chanson chaâbie serait autorisée pourvu qu'elle soit centrée sur les «madayeh». Mais ce qui reste surprenant, ce sont ces patrons qui nous bombardent avec des slogans religieux sur des panneaux publicitaires financés avec des fonds que si des enquêtes sérieuses sont menées, auraient conclu à un argent sale dont le propriétaire utiliserait pour se laver des péchés qu'il aurait commis tout au long de sa vie. Les réseaux sociaux ne parlaient que de ça hier. Les panneaux publicitaires de la RN26 ne servent plus à faire connaître des produits alimentaires ou encore à sensibiliser contre les accidents de la route ou toute autre maladie saisonnière mais pour des objectifs purement religieux au service d'une mouvance politico-religieuse qui nargue tout le monde à Béjaïa. Le geste serait l'oeuvre d'un richissime émigré de la région qui aurait pu dépenser ses sous en ouvrant des restaurants aux démunis ou encore en construisant des écoles pour le savoir. En définitive, Ce qui les salafistes n'ont pas réussi à concrétiser durant les années 1990 en Kabylie, ils sont en passe de le réaliser ces dernières années. Un passager dans la région de Béjaïa ne s'empêcherait pas de se remémorer les années 1990 lorsque la capitale et bien d'autres villes étaient la chasse-gardée de l'ex-FIS. Triste image que Béjaïa tend à prendre à l'avenir et cela ne semble émouvoir personne y compris les politiques qu'on aurait aimé plus boulimiques en parole qu'en «bouffe». Rappelons, par ailleurs, que les habitants de Imzizou, dans la commune de Fréha, à 25 km à l'est de Tizi Ouzou, ont chassé de leur mosquée un imam salafiste pour «non-respect de leurs traditions». L'exigence du départ de cet imam qu'ils accusent de vouloir imposer des pratiques salafistes aux villageois. Selon ces habitants, cet imam a refusé d'officier, il y a quelques jours de cela, l'habituel et traditionnel rituel mortuaire, lors du décès d'un villageois.