On est à l'ère de l'image et du satellite ou on ne l'est pas. Qu'on le veuille ou pas, en cette année de grâce 2004, c'est la télévision qui fabrique les présidents. Cela est valable aussi bien aux Etats-Unis, où les candidats du parti démocrate se livrent à un show médiatique pour se départager dans les primaires, avant de jeter toutes leurs forces dans la finale qui opposera en novembre prochain le vainqueur à l'héritier de la dynastie Bush, qu'en Algérie où la télévision reste la chasse gardée du président-candidat. Mis en face de la réalité, les concurrents du président auront le choix entre soit se contenter du malheureux et insipide temps d'antenne que leur accordera la fameuse commission de surveillance drivée par M.Bouchaïr, soit aller voir sous d'autres cieux : à Khalifa News, par exemple, qui vient de reprendre ses émissions à partir de Londres, ou à Beur TV, ou à Al Jazira où certains candidats qui ont échappé aux mailles du filet de M.Bédjaoui ont déjà fait leurs armes, comme M.Djaballah. Ce dernier a ordonné au docteur Amimour, qui soutenait le programme du président, sur la chaîne arabe Al Jazira, de «se la fermer». En cette veille de campagne électorale, qui ne durera, comme les roses, que l'espace d'un demi-printemps, c'est sur les plateaux de la vieille Entv, que certains ont surnommé l'Unique, mais que les journaux arabophones appellent el yatima (l'orpheline), que les candidats opposés à M.Bouteflika auraient aimé s'adresser à leurs électeurs. Mais si cette dernière est la plus abordable techniquement, - il suffit d'une antenne hertzienne et parfois d'une simple antenne d'intérieur- elle reste «politiquement» la plus difficile à courtiser, car c'est une citadelle imprenable. Et pourtant il suffirait de presque rien, juste un peu de liberté d'expression et un peu d'initiative laissées aux animateurs pour mijoter quelques bons débats politiques, talk shows vivants, face-à-face contradictoires, duels opposant les candidats ou leurs représentants sur leur programme et leur parcours, ou portraits de candidats. Dit comme ça, c'est si simple. En deux temps trois mouvements, avec la spontanéité du direct en plus. Cela donnerait de la crédibilité et de l'animation à une campagne qui pour l'instant semble être monopolisée par le président de la République. M.Benflis lui-même, qui a à maintes reprises dénoncé la mainmise du président sur les médias lourds, a souhaité un débat télévisé avec celui dont il fut le directeur de campagne. C'est vrai que les différents candidats vont sillonner le territoire pour donner un peu de vie à une campagne terne, ils essaieront de faire preuve d'imagination pour accrocher l'attention d'une population encore trop préoccupée par les problèmes du quotidien, le prix de la pomme de terre à 60 DA le kilo, les boulangers qui menacent de débrayer, ou les séquelles du séisme du 21 mai dernier, d'autant plus que la campagne électorale a un coût et qu'elle demande beaucoup d'argent, pour payer le transport, confectionner les affiches et les posters, fabriquer les banderoles, acheter des confettis et des guirlandes pour faire comme si...Mais justement, il n'y a pas de comme si. Côté musique, il n'y aura pas de bal musette, ce n'est pas dans les traditions de la maison, mais les chants patriotiques usés par le temps serviront de fond sonore, alors que les islamistes abuseront comme il se doit du flot des versets coraniques - c'est encore ce qu'il y a de mieux. Néanmoins, tout cela ne remplacera pas une bonne empoignade cathodique entre deux présidentiables. On est à l'ère de l'image et du satellite ou on ne l'est pas. Le débat qui avait opposé le cheikh Abassi Madani à Saïd Sadi au début des années 90 est resté dans toutes les mémoires. Si votre image ne passe pas à l'antenne, votre carrière politique est tombée à l'eau. Il faut aller voir ailleurs. Les causeries magnifiques de Mohamed Boudiaf à la télévision nationale, comme un père qui discute avec ses enfants au coin du feu, lui ont permis de gagner le coeur des Algériens en à peine quelques mois, ce que n'avait pas réussi à faire Chadli en treize ans de règne sans partage, au point de déléguer cette mission au cheikh El Ghazali d'El Azhar. La communication est tout, sauf de la caporalisation. Et c'est une fonction qu'un président ne peut pas déléguer.