Les millions d'Espagnols sortis manifester vendredi étaient partagés entre l'angoisse et la fureur. Ils étaient onze millions a être sortis vendredi manifester leur rejet du terrorisme à l'appel du gouvernement espagnol. Entre deuil et fureur l'Espagne ne comprenait pas hier encore ce qui s'était passé ce jeudi matin aux gares de la banlieue de Madrid. En fait, la surprise était totale et les victimes qui se rendaient ce 11 mars à leurs lieux de travail et d'études ne s'attendaient pas à ce que ce soit là leur dernier voyage. Ces millions d'Espagnols qui criaient leur haine du terrorisme étaient aussi partagés entre l'angoisse et la peur du lendemain et la vive condamnation de la terreur. Unie dans le malheur, l'Espagne a dit vendredi non au terrorisme, non à la terreur. Reste la grande question récurrente qui tarabuste l'Espagne certes, mais aussi la communauté internationale : qui est derrière la tragédie de Madrid? Alors que dans un premier temps, le gouvernement de José Maria Aznar avait pointé du doigt le mouvement séparatiste basque ETA, il semble aujourd'hui moins formel et n'écarte plus d'autres pistes; singulièrement la piste islamiste d'Al Qaîda. De fait, contrairement à son habitude, la nébuleuse islamiste d'Ossama Ben Laden a revendiqué, dans la soirée du jeudi, - par l'une de ses ramifications des brigades Abou Hafs Al-Masri-, l'opération menée contre quatre trains de la banlieue de Madrid, faisant 200 morts et plusieurs centaines de blessés parmi lesquels une cinquantaine étaient jugés hier dans un état critique et 135 autres dans un état grave. En fait, analystes politiques et experts en sécurité se perdent en conjecture balançant entre accorder crédit aux revendications des brigades Abou Hafs Al-Masri ou continuer à privilégier la piste ETA. Cette dernière, dans un communiqué publié hier par son canal habituel, le journal indépendantiste basque Gara, a catégoriquement démenti son implication dans les massacres de jeudi à Madrid, indiquant que «L'organisation ETA n'a aucune responsabilité dans les attentats de jeudi.» De fait, l'ETA avait toujours averti à l'avance des actions violentes qu'elle allait commettre, ce qui n'a pas été le cas le 11 mars. C'est un peu le scénario contraire qui a lieu avec Al Qaîda qui n'avait pas habitué, par le passé, à revendiquer les opérations qu'elle perpétrait, si ce n'est largement après coup. C'est l'une des raisons qui font douter de l'authenticité du communiqué attribué à l'un des démembrements d'Al Qaîda, les brigades de la mort, Abou Hafs Al-Masri. En fait les experts américains ne croient pas vraiment que les attentats soient du fait d'Al-Qaîda, ce n'est pas son style, affirme-t-on à Washington. Un responsable américain de la lutte antiterroriste a indiqué, sous le couvert de l'anonymat, qu'«à l'heure actuelle, la responsabilité (des attentats) n'est pas claire (...). Mais je pense qu'il faut prendre la revendication formulée par ces brigades Abou Hafs Al-Masri avec des pincettes.» Ce même responsable souligne: «Ils (les brigades Abou Hafs Al-Masri) se présentent comme la voix d'Al Qaîda, mais ils ne le sont pas. Il faut considérer cela avec scepticisme. Mais la question de savoir qui est responsable (des attentats de Madrid) reste ouverte.» Même s'ils doutent que ces attentats soient le fait d'Al-Qaîda, les experts américains relèvent néanmoins que les attaques de Madrid ne correspondent pas non plus au modus operandi habituel de l'ETA comme le souligne un autre responsable, sous le couvert de l'anonymat, qui indique «la simultanéité des explosions fait monter d'un cran la puissance des attaques, et montre une plus grande sophistication (...) La coordination a été particulièrement efficace, ce qui pourrait faire penser qu'ils (l'ETA) ont reçu de l'aide ou qu'il s'agit d'une tout autre organisation.» Comme quoi les attentats de Madrid confondent quelque peu les spécialistes de la lutte antiterroriste qui ne parviennent pas à sérier ce qui s'est passé jeudi à Madrid. De fait, la découverte d'une bombe non explosée, dans un compartiment d'un des trains victimes des attentats, de même qu'une fourgonnette, près de la gare d'Alcala de Henares, à l'intérieur de laquelle ont été trouvés des détonateurs et une cassette audio, avec des versets du Coran, relance le débat...et l'enquête sur d'autres pistes. Mais en réalité la présence de la cassette audio ne préjuge de rien et peut avoir été délibérément laissée dans le fourgon pour brouiller davantage les pistes. Toutefois, des experts norvégiens dans une déclaration à la chaîne de télévision NRK, affirment disposer de documents, en arabe, qui tendraient à accréditer la piste islamiste ou, du moins, l'existence d'un lien entre les attentats de Madrid et Al Qaîda. Ainsi, selon eux, il est écrit en page 42 de ce document: «Nous devons utiliser au maximum les élections. Le gouvernement peut faire face à trois attaques au plus.» Or, il y a eu quatre attentats groupés, jeudi, contre des trains de la banlieue de Madrid. L'un de ces experts, Brynjar Lia indique ainsi: «Ce n'est qu'hier, alors que nous réexaminions des documents anciens pour tenter de trouver des liens avec l'Espagne, que nous avons compris ce que nous avions entre nos mains» soulignant, «Nous avions généralement l'impression que : (les documents) se référaient à la situation en Irak, mais en les examinant de plus près, nous avons vu qu'ils se référaient spécifiquement à la politique intérieur espagnole et aux élections» (cf: des élections législatives ont lieu aujourd'hui, trois jours après les attentats). A en croire Omar Bakri, leader du groupe islamiste Al-Mouhadjiroune (soupçonné de liens avec Al Qaîda) les attentats de Madrid sont signés et portent bien l'empreinte de l'organisation islamiste de Ben Laden. Il rappela à cet effet le communiqué d'Al Qaîda d'octobre dernier, dans lequel Ben Laden «a promis trois opérations: l'une nommée ‘‘Le train de la mort'' en Espagne, l'autre ‘‘la fumée noire de la mort'' en Italie et une autre appelée +Le vent de la mort+ aux Etats-Unis». Aussi, avertit Omar Bakri: «Toutes ces opérations ont un nom et je pense que nous devrions prendre la menace au sérieux.» Omar Bakri estime ainsi que les partisans d'Al-Qaîda ont envoyé jeudi «un message au nom d'Al Qaîda». De fait, toutes les hypothèses demeurent de mise et maintenant les enquêteurs ne privilégient aucune piste, aucune autre n'est écartée alors que toutes les options restent ouvertes.