Après son triomphe aux législatives, la chancelière Angela Merkel, privée de son allié libéral et d'une majorité absolue, a tendu la main hier à ses adversaires sociaux-démocrates en vue de former un cabinet. Mme Merkel est contrainte de s'allier soit aux sociaux-démocrates du SPD, soit aux Verts, pour avoir une majorité au Bundestag (chambre basse du parlement), malgré son score historique aux législatives de dimanche. «Nous sommes ouverts pour mener des discussions (...). J'ai eu un premier contact avec le président du SPD» Sigmar Gabriel, a déclaré Mme Merkel, lors d'une conférence de presse. Mais ce dernier a demandé à en parler d'abord, en interne, au sein de la direction du SPD, qui se réunit vendredi. La chancelière a jugé cela «bien compréhensible». Avec 41,5% des voix et 311 sièges sur les 630 que comptera le prochain Bundestag, chambre basse du Parlement allemand, les conservateurs (CDU/CSU) de la chancelière ont enregistré leur meilleur résultat depuis la réunification allemande en 1990, ratant de peu la majorité absolue, qui ne s'est plus vue en Allemagne depuis le chancelier Konrad Adenauer en 1957. L'échec de leurs alliés libéraux FDP à franchir les 5% - une première en 65 ans - ne leur laisse que deux partenaires possibles: le SPD (25,7%, 192 sièges) et les Verts (8,4%, 63 sièges). Mme Merkel ne s'attend pas à une conclusion rapide des négociations. «Cela prendra un certain temps (mais) la CDU est prête à mener ces discussions et nous verrons bien», a-t-elle indiqué. En moyenne, les négociations post-électorales pour former un gouvernement en Allemagne durent environ un mois. Mais lors de la précédente grande coalition, en 2005, elles avaient mis deux mois et quatre jours à se conclure. Ayant déjà l'expérience, concluante pour elle, d'une coopération gouvernementale avec le SPD lors de son premier mandat (2005-2009), il est naturel que la chancelière se tourne vers lui en priorité. «Merkel n'aurait pas trop de mal à trouver un compromis sur le salaire minimum, les retraites ou les impôts» avec le SPD, selon l'hebdomadaire Die Zeit. Mais le SPD, qui fut politiquement la grande victime de la dernière «grande coalition», promet de vendre chèrement son soutien. La secrétaire générale des sociaux-démocrates, Andrea Nahles, a averti hier matin les conservateurs qu'il n'y avait «aucune automaticité» menant à la formation d'une «grande coalition», alors que la vice-présidente du parti, Manuela Schwesig, a estimé qu'un accord «semble très compliqué, au vu des thèmes que nous défendons». Mme Merkel a également laissé ouverte la porte à des contacts avec les Verts, même si cette alliance est considérée comme «à priori très peu vraisemblable», par Ulrich von Alemann, politologue de l'Université de Düsseldorf. «Les résistances dans les deux camps sont trop fortes. Le fossé trop vaste», entre les deux partis, jugeait le quotidien Süddeutsche Zeitung (SZ), comme la plupart des commentateurs. Des négociations «seraient certainement très délicates», a reconnu Volker Kauder, chef du groupe parlementaire CDU, un proche de la chancelière. Elles risqueraient d'être particulièrement houleuses avec la CSU, branche bavaroise et très conservatrice de la CDU, dont la philosophie paraît difficilement compatible avec la culture libertaire des écologistes. La CSU avait par exemple obtenu la création d'une prime aux mères au foyer lors de la législature précédente, baptisée «prime au fourneau», aux antipodes des positions sociétales des Verts. La CDU devra en tout cas vivre avec la pression d'une majorité mathématique des partis de gauche dans les deux chambres du Parlement (Bundestag et Bundesrat). L'attelage SPD-Verts associé à la gauche radicale Die Linke dispose de 319 sièges sur 630 au Bundestag. S'ils s'alliaient, ils seraient en mesure à tout moment de faire tomber Angela Merkel. Le SPD comme les Verts ont toujours rejeté cette éventualité, estimant que Die Linke n'était pas «mûre» pour gouverner.