Se faire violence à même la chair C'est par la projection d'une vidéo signée Mo' Mohamed Benhadj qu'a pris fin cette belle et déjantée exposition, jeudi dernier, insufflant un vrai bain de jouvence à l'art contemporain algérien. Pour ceux qui ne le savent pas Oxymore ou Al-Tibaq en arabe est une figure de rhétorique réunissant deux termes antinomiques. C'est partant de cet effet de style que s'est basé en quelque sorte le travail artistique du collectif Asswad qui a réuni durant une quinzaine de jours à la galerie d'art Mustapha-Kateb de Didouche Mourad une série d'oeu- vres les plus farfelues et originales afin d'en ressortir ce qu'il y a de particulier et de commun dans l'absurdité du monde qui nous entoure, notamment entre Orient et Occident.. à l'instar de ces photos signées de l'artiste espagnol Igotz Ziaretta mettant en scène, d'un côté des richards du Golf faisant les fous et de l'autre, un groupe d'artistes déjantés en plein milieu d'un boulevard. En somme, de «l'art sociologique», nous a affirmé la photographe Mazia Djab qui s'est plut avec l'artiste performer Mo' Mohamed Benhadj de raconter à travers des photos en couleur le quotidien autrement suscitant par ricochet des attitudes et des réactions souvent incongrues de la part des passants. Leurs photos sont imbibées de surréalisme parfois comme cette fille aux deux cornes se mouvant au milieu d'un espace végétal luxuriant ou ces deux jeunes gens flânant dans des tenues assez flashy en plein centre de la Casbah.. Il y a comme une envie de casser l'ordinaire en le réinventant à travers un imaginaire, non pas paradoxal, mais parallèle, débridé de toutes contingences sclérosantes qui déconstruirait la réalité en faisant appel à un sens défriché. Le but de cette expo n'étant pas «jouer avec l'impossible où la complexité se met en équation avec la simplicité et l'organique pour que le réel puisse «être»? Ainsi, le monde que nous propose le collectif Asswad des plus frais et dynamiques qui puissent être, semble sortir des sentiers battus pour revisiter l'art sous sa forme non plus contemplative mais bien plus encore réflective qui pousse l'observateur averti à aiguiser son regard à force d'étonnement et de ressenti contradictoires qui se complètent au fur et à mesure qu'on avance dans cette mouvance esthétique. Un effet boule de neige qui prend son ascension avec ces deux vidéos où deux personnes, un homme déjà au visage caché déambule au milieu de visiteurs lors d'un vernissage. Un effet de gêne parmi les visiteurs sera constaté ou non en tout cas, dû en raison de la présence de cette silhouette qui tend à s'effacer derrière son masque noir, à l'image de cette femme dont le visage est également ployé, noyé sous ce sac en carton traçant sa route en plein milieu de la rue Didouche Mourad. Se faire oublier s'apparente parfois à de la violence intérieure qu'on s'inflige pour désamorcer notre paraître, s'enfuir, couper ses ailes d'ange et partir loin tels des oiseaux qui se cachent pour mourir... l'envie de disparaître est un sentiment cuisant qui témoigne de la souffrance humaine. Un ressenti qui a plané un peu jeudi soir à l'occasion de la clôture de cette exposition par la projection vidéo de la performance de l'artiste Mo' Mohamed Benhadj, qu'il réalisa lors de son vernissage suite à laquelle, l'artiste s'était brûlé le dos.. Jeudi dernier donc, à 17h et des poussières, au milieu de la vaste salle, des néons et puis cet homme...plein feu sur cet homme au torse nu qui fait face à un miroir, la tête cagoulée. Tout d'abord la vidéo est focalisée sur son visage. Son regard angoissé, ses mains tremblotantes sur son visage car tentant de le subtiliser sous ses doigts. Un regard perdu, hagard. Une main noire qui, à l'aide de tenailles triture cette bouche muette. Puis ce couteau qui contourne l'oeil avec l'envie lancinante de l'enfoncer. Pas la force, mais la douleur des plus vivaces est là. Le couteau essuie sur son revers des larmes qui viennent se verser de ses yeux qui refusent sans doute désormais de voir.. mais voir quoi? Ce monde hideux qui nous entoure? L'autre qui fait notre enfer? Puis vint le corps face au miroir qui se déchaîne et l'on découvre une grande corde autour de laquelle l'artiste va s'enrouler inlassablement, jusqu'à irriter sa peau, faisant de cette dernière un véritable théâtre de sublimation des sens et de la déchéance humaine. Du body art qui révélera ainsi le degré de survivance de l'être humain qui tend à pousser les limites de sa force physique et mentale. Le dos marqué à la corde, l'homme à la tête couverte d'un tissu noir se dévoile enfin à nous, le bras tendu en avant comme à la recherche d'un secours fortuit. L'anonyme demeurera inerte et sans appel, sans retour de parole. Muet est comme la face cachée du monde devant l'appel de détresse du condamné à mort.. Eloquente en tout cas a été cette vidéo d'art contemporain signée Mo' Mohamed Benhadj qui a démontré, si besoin est, tout le talent prometteur de ce jeune artiste de 28 ans qui n'a pas froid aux yeux et qui invite à ouvrir une brèche, la bienvenue qu'elle soit dans le monde souterrain des arts plastiques en Algérie. Un bol d'oxygène qui remonte le moral.. Une confrontation à la vie in situ née de «la spontanéité de l'être et contre une hygiène de pensée, en perpétuelle action contre l'immobilisation. Un acte libre qui ne cherche pas à donner des réponses, mais plutôt à affirmer des interrogations», soutient le collectif Asswad (noir en français). Belle expérience à renouveler. Vivement!