Même s'ils étaient nom- breux en octobre 2012 à applaudir la déclaration du président français, François Hollande, reconnaissant «avec lucidité» ces massacres, des représentants de la société civile française affirment, dans des entretiens à l'APS, qu'un an après, «on n'a pas dépassé le stade de l'aveu». Pour l'universitaire et historien Olivier Le Cour Grandmaison, si le geste du président français constitue un «tournant» au regard de l'attitude «indigne» des autorités françaises de droite comme de gauche qui, jusqu'en 2012, ont toujours refusé de reconnaître les faits, il n'en demeure pas moins que sa déclaration demeure «très en deçà» de ce que l'on serait en droit d'attendre d'un homme qui, au cours de la campagne précédent son élection, avait adopté le slogan «Le changement, c'est maintenant.» «En effet, le crime n'est pas nommé de façon précise et ses responsables ne sont pas désignés», a-t-il noté, expliquant que «nulle part», dans la déclaration du président Hollande, il n'est fait référence au préfet de police de Paris, Maurice Papon, de même pour l'Etat français pour le compte duquel ce préfet a agi avec l'aval du gouvernement de l'époque qui a couvert le massacre et forgé une version officielle et mensongère de ces événements. Selon l'historien spécialiste des questions de citoyenneté, la «lucidité» aurait exigé que l'on parlât de «crime d'Etat» ou de «massacre d'Etat» afin, a-t-il dit, de rappeler que les manifestants algériens ont été tués par des policiers français agissant sous la responsabilité de leur supérieur hiérarchique et du ministre de l'Intérieur. «Très exactement ce que François Hollande, devenu président de la République, ne voulait pas», a-t-il martelé. Tout en concédant que les propos du président Hollande avaient constitué un «premier pas», l'écrivain et militant alter mondialiste Patrick Farbiaz relève, lui aussi, que ces derniers ne qualifient pas le massacre du 17 octobre comme un crime d'Etat. «La question de l'ouverture des archives n'est toujours pas à l'ordre du jour. L'abrogation de la loi honteuse du 25 février 2005 (glorifiant la colonisation positive), non plus», a-t-il signalé. A ses yeux, la France qui a eu du «mal» à qualifier la lutte pour l'indépendance de l'Algérie comme une guerre puisqu'elle a durant plus de 35 ans qualifié comme «des évènements», n'arrive pas à faire le bilan serein» de la colonisation et surtout d'en finir avec l'idéologie coloniale. Le président du collectif Sortir du colonialisme, Henri Pouillot, regrette, pour sa part, que le président français ait «oublié» l'engagement qu'il avait pris quand il n'était que candidat à sa fonction actuelle. «Il avait signé une pétition réclamant que la France reconnaisse et condamne ce crime d'Etat et il était allé, en octobre 2011, déposer une gerbe de fleurs à la mémoire des victimes des massacres», a-t-il rappelé, signalant que les «trois phrases laconiques» de la déclaration du président français, le «mot crime n'y figure pas, pas plus que n'est définie la «responsabilité, ni la condamnation de ce massacre». A la lecture, quelque peu pessimiste, de l'écrivain, auteur, entre autres, de la bande dessinée Octobre Noir, Didier Daeninckx, le chemin est long pour une nation (française) qui s'est constituée sur le socle de la Révolution française d'admettre qu'elle a été l'initiatrice d'un système colonial qui foulait aux pieds toutes les bases de la République. «C'est cela qu'il faut patiemment déconstruire, la contradiction majeure entre les buts proclamés (liberté, égalité, fraternité) et la réalité d'un système d'oppression qui a longtemps été organisé sous le nom de Code de l'Indigénat», a-t-il opiné. Ne pas de dénoncer un système pour «diluer» ses acteurs politiques. Le discours très entendu du président Hollande devant le Parlement algérien, en décembre 2012, avait, par ailleurs, laissé sur «leur faim» de nombreux observateurs dans l'Hexagone qui, s'ils reconnaissent une «avancée» dans les propos tenus jusque-là par des officiels français dans la qualification du système colonial, jugent «lacunaire» la déclaration présidentielle. «Là encore, il ne suffit pas de dénoncer un système pour mieux diluer les responsabilités écrasantes des acteurs politiques, des militaires et des forces de l'ordre», a estimé Le Cour Grandmaison selon qui Il y a toute une série de massacres qui doivent être reconnus comme tels. «Je pense en particulier aux massacres de Sétif et Guelma en 1945, puis, entre 1954 et 1962, lors de la dernière guerre d'Algérie, à la torture, aux disparitions forcées, au déplacement de millions de civils, aux exécutions sommaires», a-t-il détaillé. A ses yeux, cette reconnaissance «claire, précise et complète n'est pas seulement attendue par les Algériens mais aussi par toutes celles et tous ceux qui en France l'exigent parfois depuis fort longtemps». «Cette reconnaissance est la seule façon de rendre justice aux victimes et à leurs descendants», a-t-il ajouté, rappelant que sur ces sujets, la France est, encore une fois, en «retard» par rapport à des pays comme la Grande-Bretagne, l'Australie et l'Allemagne dont les responsables politiques ont reconnu publiquement et officiellement les crimes coloniaux commis autrefois. Selon Patrick Farbiaz, il y a une «difficulté certaine» pour les gouvernants français de reconnaître que le système colonial n'est pas seulement «injuste et brutal» mais qu'il était «illégitime, criminel» et «fondé sur un système d'apartheid» structuré par le Code de l'Indigénat, adopté en 1881. «Ce système n'a donc pas été seulement «injuste, brutal...» ce fut un système criminel où les tortures, les enfumades, les répressions sanglantes, les exécutions sommaires étaient des pratiques courantes même avant le déclenchement de la Guerre de Libération, où, là, le paroxysme a été atteint», a-t-il précisé. Le terme «souffrances» employé par le président français devant le Parlement algérien est jugé «indécent» par Henri Pouillot pour qui le colonialisme a engendré de nombreux crimes et ne pas reconnaître cette réalité est une «insulte pour les victimes». Le militant anticolonialiste affirme avoir espéré, quelques mois après le 50ème anniversaire de la fin de la Guerre d'Algérie, une «autre démarche politique: une avancée significative vers la reconnaissance et la condamnation de la responsabilité française en Algérie». «Même le recueillement de notre Président (programmé seulement au dernier moment) sur la Place Maurice Audin n'a pas été l'occasion de la condamnation de l'institutionnalisation de la torture pendant la Guerre d'Algérie», a-t-il regretté. L'écrivain et essayiste Didier Daeninckx estime, pour sa part, qu'en reconnaissant la responsabilité de la France dans les crimes massifs de Sétif, en 1945, le président François Hollande est allé «beaucoup plus loin» que ses prédécesseurs tout en n'engageant pas des générations dans un processus de «repentance».