Décimés ou arrêtés dans la rue, les manifestants réclamant le retour du président Morsi destitué par l'armée ont fait, depuis un mois, des universités le dernier bastion de leur mobilisation. «Les forces de sécurité répriment nos rassemblements dans la rue parce qu'elles la contrôlent. Mais l'université, c'est à nous qu'elle appartient», explique un étudiant, en marge d'une des manifestations quotidiennes à Al Azhar, une des plus prestigieuses universités islamiques du monde. Pour son camarade, «l'université est désormais devenue la principale arène pour le combat» contre «le coup d'Etat», comme les pro-Morsi qualifient la destitution et l'arrestation par l'armée le 3 juillet du premier président élu démocratiquement en Egypte. Un mois après la rentrée, Al Azhar, à deux pas de la place Rabaa al-Adawiya, où policiers et soldats ont tué le 14 août des centaines de manifestants pro-Morsi en dispersant un de leurs rassemblements, est devenu le nouvel épicentre de la mobilisation. Les couloirs et les murs de la plus prestigieuse université islamique du monde se sont couverts de graffitis comme «Le coup d'Etat est le terrorisme» et «Sissi meurtrier», en référence au chef de la toute-puissante armée, le général Abdel Fattah al-Sissi, nouvel homme fort de l'Egypte. Et les manifestations d'étudiants islamistes s'y sont multipliées, parfois dispersées par des gaz lacrymogènes de la police, ainsi que les coups de force contre des classes remplies, les appelant à suivre le nouveau mot d'ordre: «pas d'études sous le régime militaire». Depuis la rentrée, des échauffourées ont également fait des dizaines de blessés dans plusieurs universités du delta du Nil, à l'arme blanche et à la chevrotine, ainsi que dans les grandes villes, comme Le Caire et Alexandrie. Dimanche, des centaines d'étudiants de l'Université du Caire ont scandé «Morsi est mon président» en venant aux mains avec leurs opposants, tandis que policiers et soldats étaient déployés aux abords du campus. Car en Egypte, ils ne sont pas autorisés à entrer dans l'enceinte des universités. De plus, depuis 2010, l'officier dépendant du ministère de l'Intérieur qui était en charge de chaque université a été remplacé par un personnel de sécurité privé, mettant ainsi fin à la seule présence policière dans les établissements universitaires. Au moment du Printemps arabe début 2011, les étudiants ont joué un grand rôle dans la révolte qui renversa le président Hosni Moubarak. Deux ans plus tard, ils étaient à l'avant-garde des manifestations monstres fin juin contre l'impopulaire Mohamed Morsi, invoquées par l'armée pour justifier son coup de force. Dans le même temps, certains campus - Al Azhar notamment - sont devenus des bastions des Frères musulmans, qui avaient remporté haut la main les législatives de 2011. Des bastions particulièrement précieux alors que ceux-ci peinent désormais à mobiliser face à la répression - plus d'un millier de morts mi-août - et aux vagues d'arrestations, alors qu'approchent des procès cruciaux: celui du Guide suprême des Frères musulmans puis celui de M.Morsi lui-même, prévu le 4 novembre. Pour cela, explique l'un des organisateurs, Amr Adel, «l'université est un endroit qui concentre les énergies des étudiants, elle donne un impact plus important à la dynamique». Et particulièrement à Al Azhar, l'emblématique institution de l'islam sunnite, où «le discours des Frères musulmans trouve un écho dans les idées et l'éducation religieuse de la plupart des étudiants, ils sont donc plus enclins que d'autres à appliquer leurs méthodes pour propager le chaos», estime un enseignant. «Les étudiants Frères musulmans essayent par tous les moyens de montrer qu'ils existent, même par la violence, et cela perturbe notre scolarité», renchérit un étudiant en droit. Pour endiguer le mouvement, le Conseil supérieur des universités a mis en place un système de «contrôle des manifestations» sur les campus, interdisant leur tenue près des salles de cours, l'utilisation de haut-parleurs, et punissant les auteurs de graffitis ou de slogans politiques ou religieux.