Le Nigeria, qui réclame un appui régional pour lutter efficacement contre le groupe islamiste armé Boko Haram, va devoir continuer à gérer seul une grande partie du problème, selon des spécialistes. Les autorités nigérianes ont demandé au Cameroun voisin, dont la frontière longe le nord-est du Nigeria où le groupe islamiste est particulièrement actif, de s'engager plus fermement dans la lutte contre cette sanglante insurrection. Mais pour le moment, la force multinationale chargée de faire respecter l'état d'urgence dans le nord-est du Nigeria, où l'armée a lancé en mai une opération d'envergure pour neutraliser le groupe armé, n'est composée que de soldats nigérians, assistés par des troupes du Niger et du Tchad. Pour Kyari Mohammed, spécialiste de Boko Haram à l'université nigériane Modibbo Adama de Yola (nord-est du Nigeria), le Cameroun «est vu comme le maillon faible dans la lutte contre Boko Haram». Les attaques de ce groupe radical, qui prône un islam rigoriste et revendique la création d'un Etat islamique dans le nord du Nigeria, majoritairement musulman, ainsi que leur répression par les forces de l'ordre, ont fait plusieurs milliers de victimes depuis 2009. Le département d'Etat américain devait désigner hier Boko Haram comme étant «une organisation terroriste internationale». Depuis l'instauration de l'état d'urgence, en mai 2013, des islamistes ont été chassés des villes, mais leurs attaques n'ont pas cessé pour autant. Les Etats de Yobe, Borno et Adamawa, où l'état d'urgence est en vigueur, ont des frontières communes avec le Niger, le Tchad et le Cameroun. Depuis le lancement des opérations par l'armée nigériane contre Boko Haram au printemps, plus de 10.000 Nigérians ont fui au Cameroun, dont des membres de Boko Haram. Et le Nigeria a souvent estimé que le Cameroun servait de refuge aux membres de Boko Haram. De ce fait, «il faut un règlement régional de la question», estime Marc-Antoine Pérouse de Montclos, spécialiste du Nigeria à l'Institut de recherches pour le développement (IRD) à Paris. Le Nigeria et le Cameroun ont créé la semaine dernière un comité mixte chargé de sécuriser leur frontière commune face aux menaces que constituent Boko Haram et les pirates opérant dans le Golfe de Guinée. Les parties représentant les deux pays, qui doivent se rencontrer en mai 2014, recommandent des opérations militaires conjointes et un meilleur échange d'informations, pour mieux contrôler leurs 1700 kilomètres de frontière commune. «Ce n'est pas la première fois que le Nigeria demande l'aide des voisins, mais il y a un problème de capacité», estime M.de Montclos. Selon Elizabeth Donnelly, spécialiste de l'Afrique à la Chatham House, un centre de recherches sur les relations internationales basé à Londres, «le Cameroun, le Niger et le Tchad (...) ont d'autres préoccupations». «Le Niger et le Tchad, selon elle, sont très inquiets des retombées (des conflits) au Mali et en Libye. Ils n'ont pas envie d'avoir à gérer un autre problème sur une autre frontière». De son côté, le Cameroun hésite à s'engager plus, par craintes de représailles de Boko Haram sur son propre sol, selon Kyari Mohammed. «Le Nigeria est la plus grosse puissance régionale», rappelle Elizabeth Donnelly, donc «on s'attend à ce que le Nigeria résolve lui-même son propre problème». Selon elle, le Nigeria devra se concentrer dans les prochains mois sur une meilleure protection des civils, des services de renseignement plus efficaces pour traquer les membres actifs de Boko Haram, et le jugement des suspects devant des tribunaux.