Le public a accueilli avec attention, jeudi dernier, la première projection publique des films réalisés dans le cadre de l'atelier de création de films documentaires Béjaïa DOC, atelier initié par Kaïna Cinéma et Cinéma et Mémoire. Une manifestation qui arrive à sa 5e édition. D'ailleurs, un coffret DVD réunissant les documentaires des précédentes éditions de l'atelier avait été édité en 2012. Pour cette journée spéciale tout aussi pluvieuse que les autres, le public s'est donc familiarisé jeudi dernier avec la premiere oeuvre et première sortie médiatique de ces jeunes cinéastes en herbe. Sept documentaires, sept sensibilités qui ont tenté de sonder les maux mais aussi des espoirs de la société algérienne et ce, par le prisme de la voix singulière ou plurielle. Le premier qui ouvrira ce cycle est Yatim (l'Orphelin) de Asma Gergour. Tourné à Annaba, Akbou, Alger et Constantine ce documentaire «met en vedette» deux témoignages-clés -un homme né d'un viol sur une mineure de 14 ans et une femme - pour parler des naissances sous x et partant, évoquer tout le mal-être qui va les poursuivre, atteignant l'âge adulte, qu'il soit psychologique ou bureaucratique du fait d'être rejetés, d'abord par la mère puis par la société... Au-delà du caractère humain que tend à souligner ce film, il rappelle combien il est difficile pour ces gens d'obtenir une simple carte d'identité ou la nationalité algérienne, un droit légitime pour tout un chacun, sauf pour eux.. Une situation précaire à laquelle s'ajoute le mépris des gens qui pose sur vous un regard culpabilisant et hypocrite. Autre sujet social toujours s'actualité, est La grande prison de Razik Benallal. Concentré principalement dans un huis clos (un garage) le documentaire évoque par le biais de trois copains, vivant de petits boulots, la précarité sociale des présupposés à l'Anem et leur avenir hypothétique. «Quand j'ai fait la demande de crédit à l'Ansej, j'ai pensé pouvoir monter mon projet dans les six mois qui suivent. Deux ans sont passés et il n'y a rien! Comment veu-tu que je pense à l'éducation de mon fils. Et avec quoi? Aux USA, ce genre d'aide concerne les prisonniers, car cela contribue à leur insertion. Ici, cela concerne les universitaires!» dira sur un ton rancunier, l'un d'entre eux. Un paradoxe pathétique qui fera pourtant exploser de rire la salle, l'humour étant une forme de thérapie en effet pour ceux-là qui lançaient pourtant des vérités amères sur le pays. Un film qui se distinguait plus par les propos que la qualité de la réalisation très sommaire. Poétique déraisonnée Décliné sur un ton des plus intimes est le film Amek ara degrine wussan (Demain sera un autre jour) de Nabil Boubekeur et Amel Blidi. Ce film se présente comme une lettre ou confession intime adressée par la maman à son petit garçon quand il sera grand. A travers les confidences, narrés en hors champ et les dialogues entre époux, se dessine l'Algérie d'aujourd'hui, faite d'incertitudes et d'inquiétudes quant à l'avenir de nos enfants comme en témoignent ces larges plans aérés ouverts sur l'horizon. Tourné à Alger, Sidi Kada (Mascara) et Melbou (Béjaïa), le couple place ainsi sa caméra au milieu de son quotidien, entre l'exiguïté de la maison et ses balades en forêt ou sur la plage, véhiculant le plus souvent des ondes positives, des sourires, ainsi que des leçons d'humilité et d'affection attendrissantes sans tomber sur l'apitoiement et le désespoir. Face à cette sérénité ambiante valsant entre le rose bonbon et le réel édulcoré, il y a ce drame né du «désordre intime» dont souffrent beaucoup d'hommes. Réalisé avec pudeur et courage Menthol (23 minutes) par Aïcha Messadia, ce documentaire fait parler deux êtres dont la parole est souvent tue. La folie mentale ou la dépression, ce mal du siècle qui ronge dont d'aucuns ne sont à labri est juste en face de nous. Sensations insoutenables appuyées par les propos de l'oncle de la réalisatrice, mais aussi cette femme qui écrit avec minutie ses comportements quand elle était petite avant d'être internée à Drid Hocine. «Il n'y a rien à montrer...» précise à l'entame du film la réalisatrice en filoutant express les images desquelles se dégagent les propos confus de son oncle. Des plans éclatés, parfois froids, cadrage délimité, redessiné, la réalisatrice tend le micro, mais avec toujours cette pudeur dans le filmage. Mais parfois le silence est plus fort que la parole. Le son du récit est coupé. L'image passe de la couleur au noir et blanc. L'émotion est là, palpable, comme pour toucher l'absence de celui qui n'est plus là par son esprit et exprimer toute la profondeur de ce vide sidéral qui nous fait mal. La caméra de Aïcha est par moment hésitante, sciemment, elle trébuche presque. Partagée entre l'envie de montrer et de dire. Et c'est là où réside tout l'éthique d'un bon documentariste. La tension est perceptible, l'angoisse et la pression sur le malade. Faut-il continuer à filmer le malade dans ce cas quand celui-ci refuse? Le fou a-t-il un libre arbitre? La question reste en suspend. Changement de registre. Toujours présens de Nassim Aït Ahmed n'aura pour sa part pas autant touché les spectateurs. Creux dans sa manière de filmer sa mère et sa soeur assises sans bouger au milieu du salon, avec caméra sur trépied au milieu, le fils qui s'improvise réalisateur aura toute la peine du monde à faire parler sa famille. Tourné à Béjaïa et Larbaâ Nath Irathen le jeune cinéaste ira voir les anciens compagnons de lutte de son père, devenu consul après et échangé quelques brèves anecdotes avec son frère sur skype, sur le charisme de leur feu père. «J'ai essayé de m'identifier à mon père plus que de raconter son parcours» a estimé le réalisateur dont l'oeuvre pêchera beaucoup plus par ses silences et manque de consistance, doublée de cette émotion qu'il ira chercher désespérément, même à la rizière du rire et des larmes. Mais jamais narriva. Déséquilibre, propos/images Habit N'goulek (Je voudrai te dire) de Fatima Dridi, nous laissera assez perplexe, même sur notre faim. Parfois excédés. Réalisation timide, n'allant pas au fond des choses, cela donne un propos fragile, mal exprimé, et même presque pas bien discernable. Expliquant son film, la réalisatrice lors du débat insistera sur «l'idée de mal-être et la façon de le dépasser». Le film s'ouvre sur la ville d' Alger, après l'aube vient le jour. La réalisatrice dans sa voiture dit vouloir changer les choses. A commencer par la musique qu'elle écoute. Cette métaphore est incarnée par ce jeune homme-guitare à la main, qui monte sur le siège arrière de la voiture et se met à jouer. Place à deux autres femmes, roulant aussi dans leur voiture. La première voilée se dit être libre, bien que consciente qu'il y a des choses qui ne sont pas vraiment tolérées. Et de lâcher à demi-mot: «Je ne sais pas peut-être parce qu'on a été éduqués ainsi». Elle dit écouter beaucoup de musique et du Coran pour se détendre en chemin. La seconde femme non voilée, tout en sourire et amusement évoque pourtant l'agression dont elle a fait l'objet. Ces deux femmes-là se retrouvent à la plage et s'assoient en regardant devant elle. A côté de cela, une séquence qui revient trois fois montre des garçons insouciants sur le faite d'une falaise qui plongent en mer. Puis l'image d'une vieille femme dans un champ en pleine besogne. Fatima Dridi aurait bien fait de s'arrêter là et on aurait sans doute bien compris le message. Mais non, elle continue en donnant la parole cette fois à un jeune homme en train de peindre le portrait de Hasni sur un mur, arguant que des hommes lui ont indiqué que cela est «haram» ou interdit pour le motif soi-disant que la représentativité humaine est interdite. On a compris qu'on s'attaque ici au manque de liberté d'expression et de création chez l'artiste en Algérie. Deux blocs séparés, dissociables qui ne se complètent pas en apparence. En filmant ces deux entités que compose la société, la réalisatrice dresse le portait de la femme citoyenne qui tend à minimiser les choses, malgré sa courageuse zenitude, face un garçon qui, lui dit haut et fort ce qu'il pense. Ce dernier parvient tout de même à s'affirmer tandis que la femme est obligée de s'écraser, pour résister. Pour preuve, la femme est toujours montrée cloisonnée dans sa voiture, ou habillée sur la plage, tandis que les garçons jouissent du dehors. La nuit quand tout le monde dort, Fatima laisse échapper un instant de liberté fugace et naïve en courant dans la rue...belle échappée cinématographique qui en dit long sur les contractions d'une société atteinte de schizophrénie, mais qui ne répond pas vraiment à la question cruciale de la liberté.. Enfin Kouchet El Djir de Amine Boukraâ, évoque la joie qu'a cet homme vivant dans un douar à Oran de faire de la musique (bedui, gasba et geual) malgré la précarité dans laquelle il vit. Malgré la rudesse de l'environnement, captée avec intelligence, les images sont magnifiées par un cadrage subtil. Le rythme du film qui épouse la joie de vivre de ces petites gens en fait un documentaire délicieux à regarder. Malgré l'effort consenti, on regrettera la quasi uniformisation du style de tous ces films assez moyens dans la forme. Pas de coup de coeur cette année.