Le poète Ahmed Fouad Nadjm était «l'ennemi» juré de Abdel nasser, Anouar Essaddat et Hosni Moubarek. Ahmed Fouad Nadjm, le poète des hommes libres, est parti un matin de décembre. Son étoile s'est éteinte hier au Caire. L'agitateur des mots et des idées est parti à l'âge de 84, laissant Nawara, Zayneb et Afaf, ses filles, et ses milliers d'admirateurs en pleurs. Ahmed Fouad Nadjm s'est retiré sur la pointe des pieds, laissant son Egypte natale en pleins tourments. Une Egypte où la dictature militaire est revenue en force, semant ses déchets toxiques pour assassiner l'espoir né de la révolte des jeunes Egyptiens contre la dictature familiale de Hosni Moubarek le 25 janvier 2011. Koul ma tahl al bachayir, min yanayir koul âam, un poème politique célèbre écrit dans les années 1970 contre l'oppression, était devenu «un hymne» à la liberté après le soulèvement populaire contre le régime de Moubarek… Malgré son âge, Ahmed Fouad Nadjm avait rejoint les jeunes révoltés à la place Tahrir au Caire. Avec Sheikh Imam, chanteur, son compagnon de toujours, Ahmed Fouad Nadjm avait justement mené bataille contre ce règne arrogant d'une famille qui avait confondu l'Egypte avec son propre jardin. Le colonel Moubarek et ses moukhabarat avaient pourchassé Ahmed Fouad Nadjm et Sheikh Imam. Les deux artistes engagés avaient été, à plusieurs reprises, «invités» à des séjours en prison. Les deux hommes, avec les mots et la musique osaient affronter le règne de la terreur avec une rare détermination. Les vers d'Ahmed Fouad, écrits en arabe populaire, étaient assimilés à de petites roquettes lancées contre les palais de la tyrannie. Après la guerre des Six jours en 1967, Ahmed Fouad Nadjm avait écrit deux poèmes qui allaient faire sa célébrité dans l'ensemble du monde arabe : Haha al baqra nattaha et Hamdallah khabattna tahti batatna. La grande armée d'Egypte, celles de Syrie et de Jordanie, humiliées par les forces militaires israéliennes… En colère, Djamel Abdel Nasser avait décidé de mettre le poète et Sheikh Imam en prison. Il aurait dit : «Tant que je serai en vie, ces deux-là ne sortiront jamais de prison» Ce qui n'était pas loin d'être vrai puisque Nadjm et Imam n'avaient été libérés qu'avec l'arrivée d'Anouar Essadat au pouvoir, lequel Essadat les mettra plus tard en détention. En tout, Fouad Nadjm a passé dix-huit ans de sa vie sous les verrous, surtout dans les années 1970 et 1980. Usant de la satire et de mots à la fois simples et profonds, Ahmed Fouad Nadjm, qui avait adhéré au combat politique à la fin des années 1940 avec la création du Comité national supérieur des étudiants et des travailleurs, s'attaquait au système. Il dénonçait la corruption, la lâcheté des juges, l'arbitraire de l'administration, l'inculture des dirigeants, l'injustice sociale… Idha chimssi ghirkit, Yama ya bahia, Al khawga al amrikani, Chayed Qossorouk, Houma min ou h'na min, Tadhkirat masjoun… Des poèmes devenus chansons, qui expriment ce combat permanent pour les libertés et la dignité. Militant de gauche, Ahmed Fouad Nadjm avait refusé d'adhérer à des organisations communistes, comme il avait rejeté un gros salaire à la radio Sawt Al Arab au Caire. Ahmed Fouad Nadjm était parmi les voix qui avaient dit «non» à la succession de Djamel Moubarek à son père. Il avait contribué à la création du Mouvement Kifaya et a été membre fondateur du Doustour, le parti de Mohamed Al Baradei. Le poète s'était opposé au régime de Mohamed Morsi, destitué fin juin 2013 par le général Sissi, et au mouvement des Frères musulmans. Quelques jours avant sa disparition, Ahmed Fouad Nadjm a demandé au général Sissi de ne pas se présenter à l'élection présidentielle. Il a prévu «une troisième vague» pour la révolte du peuple égyptien si la situation politique perdurait dans l'instabilité. «L'Egypte tombe malade mais ne meurt pas. Elle revient toujours plus forte», a-t-il déclaré à la chaîne de télévision Al Mihwar. Ahmed Fouad Najdm venait souvent en Algérie pour animer des soirées poétiques. Dans les années 1970, il s'est installé à Alger pour fuir la répression d'Essadat. Et, c'est à Alger qu'il avait pu rencontrer Kateb Yacine. Peu d'écrits ont été produits sur cette courte mais très riche rencontre. Le dernier voyage d'Ahmed Fouad Nadjm à Alger remonte à 2009. Samedi prochain, à 14h, l'écrivain Abdeerrezak Boukeba envisage d'organiser une soirée poétique à la faveur de l'espace «Sadaa Al Aqlam» au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi à Alger en présence de tous ceux qui ont connu le défunt artiste. Ahmed Fouad Nadjm n'ira donc pas aux Pays-Bas recevoir des mains de la reine le prix de la création artistique Prince Claus. La cérémonie était prévue pour le 11 décembre 2013. Sur son compte Twitter, Ahmed Fouad Nadjm a reçu plusieurs messages de «condoléances» : «Tu vas sûrement continuer de les perturber de là où tu es», «Tu es parti, mais tes mots sont en vie», «Il restera le symbole de lutte pour toutes les générations»…