Projeté en avant-première à l'IFA mercredi dernier, ce film documentaire cherche à voir comment la pensée de Camus peut nous éclairer aujourd'hui. Camus n'en finit par de parler de lui. Non pas parce qu'on fête cette année son centenaire et que l'Institut français d'Alger a concocté un riche programme en sa faveur mais parce que sa pensée «humaniste» tout aussi complexe et parfois hermétique aux gens obtus continuent à déplaire férocement et pousser jusqu'au bout la polémique à deux balles. A avoir à regarder avec attention le documentaire Quand Sisyphe se révolte en présence du réalisateur, Abraham Ségal lui-même ayant étudié la philosophie, loin de nous l'idée de penser une seconde à la manipulation qu'aurait pu suggérer ce film sur l'innocence d'Albert Camus, afin de le dédouaner, façon d'expier ses fautes ou plutôt «sa» grande et fâcheuse faute commise à l'encontre du peuple algérien, dit -on, quand il a choisi sa mère plutôt que l'Algérie, lui le «juste» pourtant. Un paradoxe qui s'annule de facto, pour peu qu'on sache bien raisonner et pénétrer la pensée de cet homme qui nous fait immédiatement dire que l'art et la politique ne font pas bon ménage, surtout en temps de guerre et principalement à ce moment là. Présenté dans sa majeure partie sous une forme plutôt journalistique, le documentaire ne s'attardera pas à nous brosser pour autant et simplement le portrait de cet intellectuel que chercher avec le spectateur à comprendre surtout l'impact de sa pensée dans notre présent. Car la particularité de ce documentaire pertinent réside non pas dans le dévoilement gratuit de la personne qui se traduit par l'énumération biographique intrinsèque au génie de l'écrivain qu'il était, mais dans la manière de faire rayonner ses idées, partant de ce passé pas éloigné, et l'étaler sur le développement socio-politique qu'a atteint le monde aujourd'hui. Aussi, ce documentaire est un film d'investigation qui cherche à voir comment la pensée de Camus peut nous éclairer sur des phénomènes actuels tels les révoltes arabes, en Tunisie et en Egypte, comme elle a démontré et éclairé les dérives meurtrières de révolutions (1789, 1917) qui prétendaient libérer l'homme et faire le bonheur des peuples. Le titre du documentaire choisi par le réalisateur n'est pas fortuit. Le Mythe de Sisyphe, son essai sur l'absurde, commence par ces mots: «Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux: c'est le suicide.» Dans L'Homme révolté, son essai le plus connu (et le plus controversé à l'époque), Camus examine l'évolution criminelle et l'échec des insurrections et révolutions qui ont pu être, à l'origine, de justes révoltes. «Camus considère le suicide comme le point de départ. Il ouvre la voie à la révolte, la liberté et la passion» dit -on. Faisant un aller/ retour entre sa littérature et le réel, le film évoque un Albert Camus qui tirait son essence de la tragédie grecque (exemple Prométhée enchaîné), avait en horreur la mort (mort des civils lors des attentats à la bombe) bien qu'il était conscient qu'on ne peut échapper aux affres de la guerre. «Il était cet homme concret» dira de lui ce journaliste grec. Souvent décrié, mal compris, Albert Camus, souligne le film, avec subtilité: «faisant la différence entre la révolte et la révolution, car la beauté résidait beaucoup plus dans la première». Et le philosophe Edgar Morin d'abonder un peu plus loin dans le même sens en filigrane, rappelant les dires de Camus: «La politique n'est pas une religion, sinon ça devient une inquisition», suggérant que toute prise de pouvoir révolutionnaire serait de facto un acte totalitaire et dictatorial. Le film n'occulte pas pourtant l'action politique de Camus qui était résistant au sein du mouvement «combat». «Il a été communiste et a porté son soutien aux libertaires» poursuit Edgar Morin. Pour preuve, souligne le film, sa pièce de théâtre Les justes dont le propos est de «toujours récuser le terme de violence. Car Camus croyait à une justice humaine qui introduit le doute» dira ce professeur de littérature qui ajoute: «il y a cette mesure dans la violence quand il dit: je crois à la justice, mais entre la justice et ma mère je choisirai ma mère.». Une violence à laquelle il s'opposera à l'instar de la peine de mort et la bombe atomique, révèle-t-on. Filmé sur la plage Padovani, à Bab El Oued, où se plaisait à nager le jeune Camus puis, interrogé dans un café à Belcourt, non loin de la maison où habitait jadis avec sa mère Albert Camus, Boulam Sansal, (dont la mère était voisine et amie de la mère de Camus) soulignera son attachement à cet écrivain maudit, qui selon lui n'est pas traduit ni lu en Algérie, affirmant ainsi: «Albert Camus est une parole libre encore marginalisée en Algérie». Pour sa fille Catherine, ayant perdu son père alors qu'elle n'avait que 14 ans, Camus était beaucoup plus un homme proche de la nature, profondément méditerranéen et doué d'une sensualité qui prônait une nouvelle forme de paix à réinventer, celle du vivre ensemble. D'après Agnès. S professeur de littérature, «pour connaître bien Camus, il faut lire L'envers et l'endroit». Titre qui fait échos aux propos de Jacques Fernandez, ayant adapté l'Etranger de Camus en BD qui estimera que la mort de l'Arabe dans ce livre est comme une forme de suicide de Meursault. Ouvrage signé à la libraire algérienne El Ijtihad où son propriétaire, Boussad Ouadi, a salué l'esprit altruiste de Camus, avant que nous, spectateurs, découvrions l'ancien lycée de ce jeune homme vif et idéaliste qu'était Albert Camus. L'émir Abd El Kader ex-Bugeaud où des jeunes aujourd'hui s'évertuent à échanger autour de la plume de cet écrivain dont l'algérianité tend parfois à s'effacer derrière sa non-prise de position envers l'Algérie dit -on. Vrai ou faux, sans doute qu'il faut voir dans ce film dédié à Stephan Eissel une petite brèche ouverte sur la parole effectivement contemporaine, qu'a livrée cet homme en colère qui tendait aux changements par les mots et la magnificence de la langue, sa seule arme, quand d'autres appelaient à faire la guerre autrement...