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Plaidoyer post mortem pour la dignité humaine
MANDELA REVIENT PARMI NOUS
Publié dans L'Expression le 12 - 12 - 2013


L'hommage d'Obama à Mandela
«J'ai parcouru le long chemin vers la liberté. J'ai essayé de ne pas faiblir, j'ai fait de faux pas durant ce chemin. Mais j'ai découvert le secret: après avoir gravi une haute colline, on découvre qu'il ya beaucoup d'autres collines à gravir. J'ai pris un moment ici pour me reposer, pour avoir une vue sur le panorama magnifique qui m'entoure, pour regarder en arrière la distance d'où je suis venu. Mais je ne peux me reposer qu'un instant, après la liberté viennent les responsabilités, et je n'ose pas m'attarder, ma longue marche n'est pas encore terminée.» Nelson Mandela Long Walk To Freedom
Mandela est mort! Un évènement planétaire! Le Monde entier le pleure comme un être cher. Dans cette contribution, nous avons essayé d'imaginer une interview post mortem pour demander à Madiba quel regard il porte sur la Comédie humaine maintenant qu'il est de «l'autre côté» en train de contempler la foule que Tocqueville décrivait ainsi: «Je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux, qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme. Au-dessus de ceux-là, s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. (...)»
Monsieur le président, racontez-vous en quelques lignes
Je pense que ma biographie est assez connue. On parle beaucoup des 27 ans que j'ai passés en prison, mais on a été assez discret sur ma souffrance au quotidien. Imaginez-vous des journées rythmées par le même rituel, lever très tôt, isolement, travaux dans une carrière jusqu'à épuisement et retour dans la cellule. J'ai eu tout le temps de faire mon introspection et de revenir sur le sens de ma vie, de mon combat et sur la haine des hommes qui condamne un homme pour avoir seulement crié qu'il voulait être libre, qu'il voulait vivre dans une société avec les mêmes chances pour tout le monde. Dans le combat contre moi-même et contre mon tortionnaire je me rappelais souvent Rudyard Kipling «Si tu veux voir en un jour perdre le gain de cent parties et sans un mot te mettre à rebâtir...Tu seras un homme mon fils» et celui du Court poème de l'écrivain William Ernest Henley, très repris dans la culture populaire: «Dans la nuit qui m'environne, Dans les ténèbres qui m'enserrent, Je loue les Dieux qui me donnent Une âme, à la fois noble et fière. Prisonnier de ma situation, Je ne veux pas me rebeller. Meurtri par les tribulations, Je suis debout bien que blessé. En ce lieu d'opprobres et de pleurs, Je ne vois qu'horreur et ombres Les années s'annoncent sombres Mais je ne connaîtrai pas la peur. Aussi étroit soit le chemin, Bien qu'on m'accuse et qu'on me blâme Je suis le maître de mon destin, Le capitaine de mon âme.» Ghandi, puis Martin Luther King furent pour moi des sources d'inspiration qui m'ont aidé à ne pas m'effondrer.
La Comédie humaine vous a toujours scandalisé, que pensez-vous de l'hommage qui vous a été rendu par l'Occident?
En un mot comme en mille, je ne suis pas dupe! La cérémonie dite grandiose pour célébrer mes funérailles m'a laissé un goût de cendre dans la bouche. Je suis plus heureux de voir le plus humble des hommes dire sincèrement qu'il a de l'affection pour moi, en dansant que de voir les grands de ce monde faire assaut de phrases creuses et sonores louant ma personne au point de me déifier.. moi, qui ne suis qu'un mortel. Savez-vous que jusqu'en 2008, j'étais encore inscrit comme terroriste sur les listes américaines? Les Occidentaux pleurent ma mort avec plus de tristesse que n'en manifestent les Africains. Ce deuil et ces larmes de crocodile sont de mon point de vue, une manière de solder l'idéologie coloniale et les crimes qui furent commis en son nom.
Dans la situation difficile où nous étions, nos vrais amis se comptaient sur les doigts, d'une seule main l'Occident dans son ensemble était contre notre cause et je suis rêveur quand je les entend maintenant parler des droits de l'homme, d'humanité d'habéas corpus eux, qui n'ont jamais cessé de fouler aux pieds les principes élémentaires de dignité et de liberté des peuples;
Le «démocrate» Bill Clinton, qui est venu en Afrique du Sud me pleurer en tant que «un vrai ami», avait essayé de toutes les manières, quand il était président, de m'empêcher en tant que président d'Afrique du Sud en 1994 de me rendre en 1997 en Libye, alors sous embargo. Je me souviens lui avoir répondu ainsi: «Aucun pays ne peut prétendre être le policier du monde et aucun Etat ne peut dicter à un autre ce qu'il doit faire. Ceux qui hier, étaient les amis de nos ennemis ont aujourd'hui l'impudence de me dire de ne pas aller rendre visite à mon frère Khadafi», ils veulent «nous faire tourner le dos à la Libye qui nous a aidés à obtenir la démocratie». Le président démocrate Barack Obama, a répété à la tribune «je ne peux pas imaginer ma vie, sans l'exemple donné par Mandela». Le président qui a prononcé un beau discours, en hommage à ma vie de combattant est le même qui permet Guantanamo, qui asphyxie Cuba, qui a démoli la Libye celle qui m'avait aidé dans les heures les plus noires quand les nations occidentales aidaient le régime de l'apartheid.
George Bush qui ne tarit pas d'éloges à mon égard, est le même qui a détruit l'Irak, en 2003. Pourtant, pour moi c'est un président qui ne sait pas réfléchir et je condamne le lancement de l'attaque en Irak.
Justement, on dit que le langage occidental était ambivalent des droits de l'homme et intérêts du grand capital
Pour l'essentiel, j'ai été considéré comme un homme dangereux par le monde occidental, L'histoire est pourtant cruelle. L'ensemble du monde occidental a été du côté du pouvoir blanc sud-africain pendant plusieurs décennies La condamnation morale de l'apartheid, et même l'exclusion de l'Afrique du Sud du Commonwealth après le massacre de Sharpeville en 1960, ne furent que des leurres, il a fallu attendre la fin des années 1980 pour que le mur de l'aide se fissure. Malgré l'engagement des Nations unies dans la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud à partir de 1963, par deux actes. la France va tout simplement s'opposer à l'ONU pour soutenir les racistes. Les bases du deal faisaient partie des choix essentiels de De Gaulle et des suivants. Tout est bon pour assurer la maîtrise du nucléaire. Le deal gaulliste était simple: la France ignore l'embargo sur les livraisons d'armes à l'Afrique du Sud, et en contrepartie, l'Afrique du Sud fournit à la France l'uranium à usage civil et militaire. Elle a vendu à l'Afrique du Sud sa première centrale nucléaire dans les années 1970, au risque de contribuer à la prolifération militaire. En 1987, Thatcher, la néo­li­bé­rale, m'avait qualifié moi Mandela de terroriste. Quelques années plus tard, le «terroriste» que j'étais prenait le thé avec la reine Elizabeth à Buckingham.
Comment voyez -vous la Révolution cubaine et la Libye?
Les pays occidentaux n'ont pas toujours, loin de là, soutenu les combats de Nelson Mandela. Plusieurs fois, je me suis démarqué du consensus ambiant du politiquement correct, pour être dans les bonnes grâces de l'impérialisme. Durant mon voyage à Gaza en octobre 1999, «j'ai invoqué à plusieurs reprises la similitude entre la lutte des Palestiniens et des Non-Blancs en Afrique du Sud. Pour moi, «Israël devrait se retirer des zones qu'il a prises aux Arabes: le plateau [syrien] du Golan, le Sud-Liban et la Cisjordanie». C'est pour moi, le préalable à la reconnaissance par les Etats arabes «du droit de l'Etat d'Israël à exister, à l'intérieur de frontières sûres». J'avais conclu que tout discours sur la paix restera creux, tant qu'Israël continuera à occuper un territoire arabe».
Que représente pour vous la réconciliation? Est-ce un complexe ou une nécessité?
J'ai toujours dit que «Le pardon libère l'âme, il fait disparaître la peur. C'est pourquoi le pardon est une arme si puissante». Je n'ai pas à assumer un rôle divin. Mes actes, n'ont pas à être magnifiés, «je se suis qu'un humain et rien de ce qui est humain ne m'est étranger», disait l'auteur amazigh Térence. Magnifié par de semblables hommages, on finit par créer autour de Mandela une sorte de culte qu'il n'a jamais souhaité. «Je savais parfaitement», note-t-il, «que l'oppresseur doit être libéré tout comme l'opprimé. Un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de sa haine, il est enfermé derrière les barreaux de ses préjugés. Quand j'ai franchi les portes de la prison, telle était ma mission: libérer à la fois l'opprimé et l'oppresseur.»
Ni brisé, ni amer, c'est en homme libre que j'ai accepté sereinement de négocier pied à pied avec le régime à bout de souffle, l'organisation d'élections enfin universelles et démocratiques. J'ai prôné la réconciliation entre les races. Au cours de ma vie, je me suis consacré à cette lutte des peuples africains. J'ai combattu contre la domination blanche et j'ai combattu contre la domination noire. J'ai chéri l'idéal d'une société libre et démocratique, dans laquelle tout le monde vivrait ensemble en harmonie et avec des chances égales. J'avais déclaré aussi que c'est un idéal pour lequel j'espère vivre et que j'espère accomplir. Mais si nécessaire, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir.»
Le 13 février 1990 je me suis adressé à la foule en disant:«Je suis ici devant vous non pas comme un prophète, mais comme votre humble serviteur. C'est grâce à vos sacrifices inlassables et héroïques, que je suis ici aujourd'hui. Je mets donc les dernières années de ma vie entre vos mains. (...) Aujourd'hui, la majorité des Sud-Africains, noirs comme blancs, reconnaissent que l'apartheid n'a aucun avenir. Que chacune de nos aspirations prouve que Martin Luther King avait raison, quand il disait que l'humanité ne peut plus être tragiquement liée à la nuit sans étoiles, du racisme et de la guerre. Que les efforts de tous prouvent qu'il n'était pas un simple rêveur, quand il parlait de la beauté, de la véritable fraternité et de la paix, plus précieuse que les diamants en argent ou en or.» J'ai ajouté que «le temps est venu de panser nos blessures. Le moment est venu de réduire les abîmes qui nous séparent. Le soleil ne se couchera jamais sur une réussite humaine si glorieuse.» C'est cela mon testament.
Quelle est pour vous la place des spiritualités dans la vie de tous les jours?
J'ai toujours été discret, en public, sur mes liens avec le christianisme. S'il m'est arrivé d'exprimer ma fidélité au christianisme, ma spiritualité s'est graduellement modifiée au cours de mon existence.
C'est devenu pour moi une sagesse universelle: je ne suis pas particulièrement religieux ou spirituel. Disons que je m'intéresse à toutes les tentatives qui sont faites pour découvrir le sens de la vie. La religion relève de cet exercice.
Tout au long de mon existence, je me suis méfié du caractère dévastateur que je voyais en puissance dans la religion, cependant la religion, et notamment la croyance en l'existence d'un Être suprême, a toujours été pour moi un sujet de controverse qui déchire les nations, et même les familles. Il vaut toujours mieux considérer la relation entre un individu et son Dieu comme une affaire strictement personnelle, une question de foi et non de logique. Nul n'a le droit de prescrire aux autres ce qu'ils doivent croire ou non, Cette réserve ne m'a pas empêché d'assigner un rôle aux religions dans la société: en particulier sur le plan de la justice et de la morale. Nous avons besoin que les institutions religieuses continuent d'être la conscience de la société, le gardien de la morale et des intérêts des faibles et des opprimés. Nous avons besoin que les organisations religieuses participent à la société civile mobilisée pour la justice et la protection des droits de l'homme.
«L'Algérie a fait de moi un homme» avez-vous déclaré lors de votre visite à Alger, en mai 1990. Deux mois seulement après votre sortie de la prison Robben Island.
C'est vrai! La révolution algérienne a représenté une inspiration particulière pour moi, j'en ai parlé dans mes mémoires
«Le long chemin vers la liberté», elle était le modèle le plus proche du nôtre, parce que (les moudjahidine algériens) affrontaient une importante communauté de colons blancs qui régnait sur la majorité indigène». Tous les dirigeants de l'ANC fréquentaient Alger, qualifiée.
A ma libération, le 11 février 1990, après 27 années d'incarcération, j'ai tenu à me rendre à Alger en reconnaissance au soutien apporté par l'Algérie à la lutte du peuple sud-africain contre l'apartheid.
Les maquis de l'Armée de Libération nationale (ALN) étaient tout indiqués pour accueillir les activistes de l'ANC. Pendant mon séjour avec les combattants de l'ALN, j'ai appris le maniement des armes de guerre.
C'est là que j'ai tiré pour la première fois une balle. En quittant l'Algérie, abreuvé à la matrice révolutionnaire algérienne, j'ai regagné l'Afrique du Sud où je me suis fait arrêter.
Commence alors pour moi la longue nuit carcérale dans le sinistre bagne de Robben Island, l'île-prison. Bien plus tard, je suis redevable aussi à l'Algérie de Boumediene de n'avoir pas ménagé ses efforts à l'Assemblée générale des Nations unies de 1974, pour faire exclure la délégation de l'Afrique du Sud des travaux de l'Assemblée générale.
Qu'est devenue cette Algérie mythique? Qu'a-t-elle fait de son capital symbolique représenté par l'aura de la Révolution? J'espère qu'elle s'en sortira elle qui n'a su préparer la relève.
Comment vous est venue la démarche que vous avez adoptée et qui suscite encore de nos jours discussion?
Dans le secret de mon coeur, cette décision s'est faite au fil des années, j'ai appris à connaître mon adversaire et j'ai compris que la violence qu'il affichait, était en fait une manifestation de sa peur. J'ai opté envers mes oppresseurs une attitude caractérisée par «le respect des ennemis». On dit que j'ai agi par pragmatisme, c'est la manifestation la plus visible.
On peut en discuter, mais sa magnanimité et son insistance pour nous amener à nous voir dans et à travers les yeux de nos ennemis, sont devenues une part essentielle de son héritage. Il m'a fallu de la résilience pour résister à l'instinct de vengeance et aux ambitions personnelles, J'ai suggéré l'idée d'une réconciliation nationale comme pierre angulaire de la transformation sociale: faute de pouvoir faire table rase du passé, il allait falloir trouver un moyen d'intégrer le passé dans le présent, afin de garantir un avenir plus stable et plus juste. Sa volonté d'humaniser l'adversaire et tous ceux qui s'opposaient encore à l'égalité raciale et à la démocratie a changé la nature du discours politique à tout jamais. J'ai toujours dit que la réussite de la nation arc-en-ciel, est intervenue après de longs et puissants combats à tous les niveaux, menés par des centaines de milliers de gens ordinaires au fil des siècles...
On dit que vous avez servi indirectement le grand capital qui vous pleure aujourd'hui.
Ce n'est pas tout à fait vrai! S'il est indécent de voir mes tortionnaires célébrer aujourd'hui dans l'hypocrisie la plus totale, mes louanges, il faut vous souvenir de la situation que j'ai trouvée en prenant mes fonctions. Je devais à la fois me battre sur le plan social et le plan économique. Ce fut une gigantesque remise en cause d'un système inégalitaire enraciné pendant près d'un siècle, par une oligarchie aidée par l'impérialisme occidental.
Ce n'est pas en cinq ans que je pouvais inverser la tendance. Il est indéniable que la discrimination positive a été une bonne chose, que le choix de la réconciliation après la vérité a permis de garder une cohésion relative au pays. Ce qui ne fut pas le cas de l'indépendance de la plupart des pays nouvellement indépendants et le mot de Césaire, résonne à mes oreilles: «La lutte pour l'indépendance fut l'épopée, l'indépendance acquise, ce fut la tragédie.» Où en est l'aura de la Révolution algérienne qui éclairait le monde par son magistere? Où en est Alger qui était la Mecque des révolutionnaires?
Qu'ont fait vos suivants?
Il est vrai que les inégalités demeurent et que mes suivants n'ont pas su ou pas pu faire face avec toute l'attention voulue aux défis importants. J'ai remarqué aussi des années après mon départ, que l'usure du pouvoir a au fil des ans, démonétisé l'ANC provoquant la répulsion des classes défavorisées. On dit que L'Afrique du Sud est aujourd'hui le pays le plus inégalitaire de la planète.
J'ai malheureusement servi de façade à l'ANC qui s'est servi de mon image Mandela et même au sein de ma famille, l'appât du gain a été le plus fort. Ma seule criante est que les démons de la division réapparaissent et remettent en cause cette Nation arc-en-ciel qui, avec la commission «Vérité et réconciliation», pourrait être un modèle à suivre.
Ma relation spéciale à la Palestine:
J'ai été un soutien constant de l'Organisation pour la Libération de la Palestine, en 1999 j'avais déclaré qu' «Israël devrait se retirer de toutes les zones qu'il a conquises aux dépens des Arabes en 1967, et en particulier, Israël devrait se retirer complètement du plateau du Golan, du Sud Liban et de la Cisjordanie». À l'occasion de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, le 4 décembre 1997, j'ai exprimé une fois de plus notre solidarité avec le peuple de Palestine. Je me souviens avoir déclaré que L'ONU a adopté une position forte contre l'apartheid, et qu'avec les années, un consensus international s'est constitué et a contribué à mettre fin à ce système injuste. J'avais conclu en disant: «Nous savons bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens.»
J'ai été touché par la lettre de Marwan Berghouti qui croupit dans la geôle israélienne de Hadarim depuis 13 ans, il me disait: «Durant toutes les longues années de mon combat, j'ai eu l'occasion à maintes reprises de penser à vous, cher Nelson Mandela. Je songe à un homme qui a passé 27 ans dans une cellule, en s'efforçant de démontrer que la liberté était en lui, avant qu'elle ne devienne une réalité dont son peuple allait s'emparer. Je songe à sa capacité à défier l'oppression et l'apartheid, mais aussi à rejeter la haine et à placer la justice au-dessus de la vengeance. Votre pays est devenu un phare et nous, les Palestiniens, nous hissons les voiles pour atteindre ses rivages.» L'apartheid n'a pas survécu en Afrique du Sud et l'apartheid ne survivra pas en Palestine. Reposez en paix et Dieu bénisse votre âme insoumise. Il m'a rappelé ce que j'avais écrit. Vous disiez: «Nous savons trop bien que notre liberté n'est pas complète car il lui manque la liberté des Palestiniens.»
Expliquez-nous votre position vis-à-vis de la Libye et de Cuba?
Avant l'invasion de l'Irak, J'avais critiqué durement les actions des Etats-Unis, en déclarant que la principale motivation de l'ex-président George W. Bush n'était autre que le pétrole, ajoutant que Bush était en train de «torpiller» les Nations unies. «S'il y a un pays qui a commis des atrocités indicibles dans le monde, ce sont bien les Etats-Unis d'Amérique. Ils n'ont rien à faire des êtres humains.» A Newsweek j'avais déclaré: «Si l'on étudie ces choses, on arrive à la conclusion que le comportement des Etats-Unis d'Amérique est une menace pour la paix dans le monde.»
J'ai rencontré Fidel Castro en 1991. Pour moi, Cuba occupe une «place toute spéciale» dans le coeur des Africains, sa révolution, et tout le chemin parcouru par ce lointain pays. Depuis les premiers jours, la Révolution cubaine a également été pour nous une source d'inspiration pour toutes les personnes éprises de liberté. J'ai admiré les sacrifices du peuple cubain pour maintenir sa propre indépendance et sa souveraineté face à la sinistre campagne impérialiste orchestrée dans le but de détruire les avancées impressionnantes réalisées au cours de la révolution cubaine... Longue vie au camarade Fidel Castro.»
J'ai été scandalisé s'agissant de la Libye, comment le leader Maamar Kadhafi a été lynché sur ordre des hordes occidentales. A l'époque, j'avais demandé en vain officiellement à mettre fin aux dures sanctions imposées par l'ONU à la Libye en 1997, et j'ai toujours réitéré mon soutien au leader libyen qui m'a soutenu dans les heures difficiles.
Que peut-on dire devant ce plaidoyer humaniste?
Ma dernière satisfaction conclut Mandela, fut de voir une communion humaine l'espace d'un hommage, se souder dans une convivialité malheureusement éphémère. Ce n'est pas tous les jours que l'on peut voir l'homme le plus puissant serrer la main de l'homme le plus courageux, et qui lui a tenu tête 55 ans durant. Ce n'est pas aussi tous les jours que la communauté humaine a pu prendre conscience en même temps qu'elle pouvait éprouver de l'affection pour le mortel que je suis.
Je me souviens de cette citation du président Abraham Lincoln: «Si tu cherches le mal dans le coeur des gens, tu le trouveras. Il vaut mieux chercher le bien.» C'est aussi l'Emir Abdelkader, un autre homme de coeur et de dignité humaine qui a marqué selon les historiens le XIXe siècle et qui à bien des égards, eut un parcours à la fois guerrier et spirituel. Sa citation d'Ibn Arabi: «Mon coeur est devenu capable. D'accueillir toute forme. Il est pâturage pour gazelles. Et abbaye pour moines! Il est un temple pour idoles. Et la Ka'ba pour qui en fait le tour, Il est les tables de la Thora. Et aussi les feuillets du Coran! La religion que je professe. Est celle de l'Amour. Partout où ses montures se tournent. L'amour est ma religion et ma foi.»
L'un des problèmes qui m'inquiétaient profondément en prison concernait la fausse image que j'avais sans le vouloir projetée dans le monde: on me considérait comme un saint. «La mort est inévitable. Quand un homme a accompli ce qu'il considère comme son devoir envers les siens et son pays, il peut reposer en paix. Je pense que j'ai fait cet effort et c'est pourquoi je vais donc pouvoir reposer pour l'éternité.»
Merci Monsieur le président, merci de nous avoir montré ce qu'il y a avait de bon dans la nature humaine. Madiba sourit longuement et s'enfonça dans la nuit.
J'ai pour ma part, rarement vu un deuil joyeux. Les Sud-Africains étaient contents que Madiba repose en paix après avoir montré au monde que la dignité humaine, les droits de l'homme sont des slogans creux dans la bouche des Occidentaux. A bien des égards, Mandela aura marqué le XXe siècle. Dans mille ans on parlera de lui. Ce ne sera pas le cas de l'immense majorité des grands de ce monde qui finiront comme des scories dans l'histoire de l'humanité.


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