C'est un calme sur fond de pression indescriptible Deux communautés, deux rites, deux identités,... Chacune depuis sa rive s'acharne contre l'autre ennemi pour enfin en faire un seul drame, un seul crime: le rejet! C'est comme si la ville de Ghardaïa était dans l'embarras: nous recevoir ou pas! Au seuil de sa porte, l'on ressent la gêne. Nous sommes dans la vallée du M'Zab. A peine franchi le seuil de cette ville, les caresses des beaux rayons du soleil de ces jours de janvier perdent vite de leur générosité. Des murs effondrés, des amas de pierres sur les trottoirs, des magasins brûlés, des maisons saccagées, des policiers antiémeute dans chaque coin, tous les locaux ont les rideaux baissés, les passants avancent terrifiés. Le climat est doux, mais un horrible froid gèle les humeurs. A l'entrée de cette paisible et «légendaire» vallée du M'Zab, quelque chose s'est cassée. Les rues sont vides. Ghardaïa est déserte au milieu du désert. Il fallait s'y attendre puisque l'on a déjà entendu parler qu'une guerre a eu lieu par-là. Au fur et à mesure qu'on avance, l'on se perd de prime abord dans des histoires aussi impressionnantes qu'insensées. Que s'est-il passé à Ghardaïa? La question est si simple qu'elle finit par exciter toutes les rumeurs qui finissent par nous renvoyer le plus odieux des mirages. «Ce sont eux qui ont allumé le feu de la fitna». «Ce sont eux qui sont derrière tout ce qui s'est passé dans cette ville», «ce sont eux qui ont commencé en premier», «ce sont eux qui ont agressé un des nôtres», «ce sont eux...», etc. Ce sont ces termes qui reviennent tout le temps que nous avions tenté de comprendre ce qui s'est passé véritablement entre les deux communautés qui cohabitent dans la paisible Ghardaïa. Deux communautés qui se sont livrées une guerre des jours durant. Deux communauté, qui cohabitent ensemble, mais sans pour autant parvenir ni à s'aimer ni à s'accepter. Mais qui sont-ils ceux-là qui se sont livrés la guerre? Ce sont les «Berbères» contre les «Arabes». Sinon les «ibadites» contre les «malékites». Ou encore, les «M'Zab» contre les «Châambas». Le peuple de Ghardaïa est deux ou même plus. Les habitants de Ghardaïa sont devenus deux pour se déchirer. Deux communautés, deux rites, deux identités... Chacune depuis sa rive, s'acharne contre l'autre pour enfin en faire un seul drame, un seul crime: le rejet! Un racisme qui ne dit pas son nom En évoquant la situation dramatique qu'a connue la région de Ghardaïa, que ça soit du côté des «Arabes» ou du côté des «Mozabites», malgré les tentatives de réponses teintées de sagesses et de paix, elles butent vite sur un racisme qui ne dit pas son nom. Tous, de part et d'autre, disent regretter les affrontements et les violences, mais tous finissent par lâcher pratiquement la même réplique: «Ils sont des sauvages», «impossible de cohabiter avec eux», «ils ne nous aiment pas», «ils nous rejettent»... Pour beaucoup, ce qui s'est passé n'est jamais le fruit d'un hasard, plutôt un résultat d'une longue préparation. Un semblant de calme La ville est déchirée en deux. La moitié tente de s'afficher plus au moins animée, et l'autre, déserte. Les Mozabites ont décidé de prolonger la grève des commerçants et retenir pour une période indéterminée les enfants à la maison. Au même moment, les services de sécurité ont prôné des mesures de sécurité supplémentaires en déployant plus d'éléments sur les trajets des écoliers pour éviter toute éventuelle friction entre eux. C'est un calme sur fond de pression indescriptible. «Ce n'est pas en une journée ou en quelques jours qu'on peut apporter des solutions ou régler une crise de cette ampleur», dira Ammar, un cadre exerçant au niveau de la Sonelgaz. Pour lui, «toutes les initiatives sont les bienvenues et sont à encourager. Il faudra bien que les deux communautés s'assoient ensemble pour trouver des accords communs». Tous ces événements qu'a connus cette région, sont partis de causes banales. Mais ce sont des banalités qui prennent des proportions très graves, compte tenu de l'existence d'un conflit communautaire très profond. «Qu'il y ait des disputes entre jeunes, que ça déborde, que des commerces soient brûlés, c'est plus ou moins gérable, mais que l'on s'attaque à des maisons et à des familles pour tenter de les chasser de chez eux, c'est intolérable et impardonnable», réagit Mohamed, habitant le quartier El Moudjahidine, un des quartiers qui a connu les plus graves affrontements. Nacer, étudiant, dit lui-même ne rien comprendre, mais tente de nous livrer son analyse de cette violence. «Les deux communautés vivaient dans les mêmes quartiers depuis l'indépendance, c'est la troisième fois que ça arrive. Ça récidive tous les vingt ans. Comme si chaque génération renouvelle son appartenance à telle génération et perpétue le sentiment de rejet de l'autre communauté. Et ça s'est toujours passé dans la violence», explique Nacer, qui regrette une telle réalité. «Pour lui, dès qu'il y a une nouvelle génération où les gens cohabitent paisiblement tout en dépassant les différends identitaire, ethnique et religieux, il faut que de tels événements surviennent pour rappeler l'appartenance de chacun», se désole-t-il. Son rêve? «Il faut qu'on vive ensemble dans les mêmes quartiers, mélangés et non chacun d'un côté. Il faut que nos enfants grandissent ensemble, s'aiment, se marient et regardent ensemble l'avenir», conclut Nacer. Enfin, pour l'anecdote, deux amis, l'un issu de la communauté des Chaâmbas et l'autre des Mozabites, en train de marcher en ville, aperçoivent une dispute un peu plus loin. L'un deux s'arrête et dit à son ami: «J'espère que ces deux gars qui se disputent sont issus de la même communauté.» L'anecdote en dit long sur le malaise qui ronge le reste des habitants qui se sont démarqués de ce conflit d'un autre âge.