Une population arabe qui se ne rend plus dans le quartier mozabite de la ville. Une présence policière renforcée. Un sentiment d'injustice. A nouveau, rien ne va plus à Berriane. Dans cette commune de la wilaya de Ghardaïa, théâtre des violentes émeutes de 2009, Mozabites berbérophones et Arabes chaâmbas ne comprennent toujours pas pourquoi on en est arrivés là, après des siècles de vivre ensemble. «Les Arabes se sentent victimes. Ils ne veulent pas reconnaître leurs torts. Ils ne veulent pas reconnaître que ce sont eux qui sont à l'origine de cette division de notre ville. Parfois, je me dis que plus jamais nous ne pourrons coexister comme avant. Le moindre faux pas risque de nous être fatal à tous et c'est tout le M'zab qui risque de s'embraser…» Dans les ruelles de Berriane, une femme mozabite nous interpelle. Depuis une dizaine de jours, la tension entre le quartier arabe et le quartier mozabite est telle que toute occasion d'en parler est bonne. Pour mieux conjurer le spectre des émeutes de 2009. Alors que l'atmosphère s'était apaisée depuis l'élaboration d'une charte de paix entre les deux communautés, en février 2010, les signes d'une nouvelle crispation inquiètent tout le monde : la population arabe ne s'aventure plus dans le quartier mozabite, ni pour travailler ni même pour y faire ses courses, la présence policière a été renforcée et la ville semble plus que jamais coupée en deux par cette ligne de démarcation virtuelle qu'est la RN1. Côté est, la population mozabite, côté ouest la population arabe. «Je ne veux pas que ça recommence, confesse Amina, 17 ans, lycéenne. J'ai peur, pour ma famille, pour ma maison. Déjà, nous avons été obligés de vendre notre ancien domicile situé dans le quartier mozabite tellement ça devenait intenable. S'il y a d'autres émeutes, il va encore y avoir des morts, et nous allons être obligés de partir pour l'inconnu…» Salima, 23 ans, étudiante, rencontrée à Ghardaïa, n'y va pas par quatre chemins. «Je suis Arabe, native du M'zab. D'ailleurs, si j'avais été une femme mozabite, je ne vous aurais pas adressé la parole. Ça ne se fait pas chez eux. Même si j'ai beaucoup d'amis parmi eux, il est clair qu'ils vivent trop renfermés sur eux-mêmes. Ils ne cherchent pas à nous transmettre leur savoir-faire, à partager certaines choses avec nous. Il faut voir tout ce qui s'est passé à Berriane, mais à mon avis, ce n'est pas fini.» Renfermée La partie ouest de la ville semble renfermée sur elle-même. Elle a l'aspect d'une ville dans la ville. Arabophones, les habitants se revendiquent être les enfants de Berriane autant que les Mozabites eux-mêmes. «Chacun son quartier, ses habitudes. Chez nous, beaucoup sont au chômage. Certains sont même diplômés de l'université et ne trouvent pas de travail. Il ne subsiste que peu d'échanges entre nous et les Mozabites», s'exaspère Hamza, étudiant en 3e année sport. Aâmmi Ali, retraité, n'est pas près d'oublier les émeutes qui ont endeuillé Berriane. «Je suis né ici. Je suis un enfant de Berriane. Je croise régulièrement des Mozabites. Mon fils a été arrêté pendant les évènements, mais je ne vais pas pour autant en vouloir aux Mozabites que je considère comme des frères. Si ça recommence, je resterais ici, je mourrasi ici s'il le faut.» Du côté mozabite, Saïd, universitaire à Ghardaïa mais natif et résident de Berriane, dit ne pas être «contre les Arabes». «Nous sommes Algériens avant tout, se défend-il. On veut nous donner tort, à nous, Mozabites, juste parce que nous sommes différents. C'est vrai, nous avons nos coutumes, notre propre langue, mais sous sommes ouverts sur l'extérieur.» Smaïl, étudiant en 2e année médecine à Alger, ne comprend pas pourquoi «les Arabes disent que nous sommes responsables des émeutes de 2009. Personnellement, je ne crois pas. Nous sommes chez nous depuis des siècles. Jusqu'alors, nos rapports avec eux étaient cordiaux. Puis il y a eu, de la part des autorités, un certain favoritisme envers les Arabes. Moi, je ne cherche pas à ce que nous soyons les plus favorisés, mais que chacun ait sa chance.» Coupure Youcef, 29 ans, chômeur, revit sans cesse la mort de son neveu, en 2009. «Alors qu'il était dans le quartier arabe, il a été frappé à mort par des jeunes en furie et la police n'a rien fait. La maison de ma mère a été incendiée. Maintenant, plus un seul Arabe n'habite ici. Nous sommes prêts à dialoguer avec les Arabes, mais eux, le veulent-ils vraiment ?» Hamid, son beau-frère, est plus revendicatif. «Pourquoi nous avoir accusés d'incendier une mosquée malékite (les Mozabites sont de rite ibadite, ndlr), alors qu'aucun lieu de culte n'a été incendié ? s'interroge-t-il. Les Arabes veulent semer la fitna, afin de nous accuser de tous les maux. Nous les acceptons, pourtant. Pourquoi nous refusent-ils alors que nous sommes chez nous ?» A Ghardaïa, le discours est encore plus virulent. «Il n'y a aucun problème avec les Arabes, si ce n'est que notre mode de vie suscite une certaine jalousie de leur part, affirme Abdelhamid, vendeur de souvenirs. Les Arabes ont du mal à supporter notre réussite sociale, notre mode de vie communautaire, si particulier. Je crains que si ça explose de nouveau là-bas, c'est la Pentapole du M'zab qui risque d'être entraînée à son tour…» «Berriane est à tout jamais coupée en deux, rien n'a pu empêcher cette coupure. Ils veulent se croire victimes comme les Palestiniens. Mais les vraies victimes, ce sont nous, les Mozabites, qui souffrons et n'en pouvons plus, assure une habitante du quartier est. Et le pouvoir semble bien satisfait de cette situation, puisqu'il continue à favoriser les Arabes à notre détriment, comme par exemple en leur attribuant plus d'emplois…» Du côté des associations, Hammou Zitani, président de l'association Itrane M'zab, regrette «qu'en 2011, le monde progresse alors que nous régressons», mais préfère rester optimiste. «Pour le moment, chacun reste dans son coin, mais nous pouvons vivre dans le respect mutuel, l'histoire l'a prouvé à travers les siècles.»