L'année prochaine, la grande métropole de l'Est, Constantine, sera la «capitale de la culture arabe 2015». Important? En vérité - face à la déliquescence de la culture à Cirta, la dégradation avancée de son infrastructure culturelle, l'absence d'hôtels de haut standing et touristiques, dignes de la troisième ville du pays - seuls les Constantinois pourront dire si le choix de leur ville s'imposait. Cela étant, ce rendez-vous culturel arabe constitue, il ne fait pas de doute, l'opportunité pour cette grande ville de combler - un tant soit peu - un retard infrastructurel accablant. Or, des gens se récrient déjà devant la fermeture, pour cause de restauration, du petit nombre de salles existantes dans la ville. A moins de se tromper, il n'y a à Constantine qu'un théâtre - datant de 1886 - qui, nonobstant une architecture imposante, ne répond plus aux besoins d'une ville de sa dimension; la Maison de la culture Mohamed El Aïd Khalifa - à l'origine un ancien garage - et le Palais de la culture Malek- Haddad - la seule salle destinée à la culture édifiée depuis l'indépendance - aujourd'hui désuète. Les salles de cinéma? Il y en avait sept en 1962. Six sont fermées depuis une trentaine d'années, la septième - le complexe culturel du Casino (cinéma et théâtre Le Colisée) érigé en plein centre de Constantine a été tout simplement rasé au début de 1970. Un véritable crime environnemental et culturel. Le paradoxe est donc là: Constantine qui a tant donné à la culture nationale et produit quelques-uns des plus talentueux écrivains que l'Algérie ait connus (de Kateb Yacine à Ahlam Mostaghanemi en passant par Malek Haddad et Ahmed Réda Houhou, pour n'évoquer que l'histoire contemporaine) n'a pas cette infrastructure culturelle que son rang appelait et justifiait. Ainsi, Constantine ne dispose que d'un seul musée datant de l'époque coloniale (le Musée national Cirta). Elle n'a pas de vraies salles d'expositions picturales, ne possède pas de salles de spectacles dignes de ce nom, et est dépourvue de centre ou de palais des congrès. Depuis de nombreuses années, la culture vivote à Constantine avec, ici et là, des petits festivals qui, d'ailleurs, disparaissent dès qu'ils atteignent quelque notoriété du fait de l'indisponibilité de l'infrastructure indispensable et appropriée. C'est pourtant cette ville privée d'une vraie assise structurelle pour le développement de la culture qui donna tant à l'Algérie dans ce secteur. C'est donc dans le cadre de cette année «Constantine, capitale de la culture arabe 2015», que des projets ont été initiés et chapeautés par le ministère de la Culture pour, à tout le moins, doter Cirta de cet apport infrastructurel qui lui fait tant défaut. Pourtant, d'aucuns semblent faire la moue et des voix trouvent le moyen de s'indigner que la ville sera en «chômage» culturel durant neuf mois (restauration oblige). Y a-t-il de quoi s'enorgueillir des rares supports de la culture qui existent dans la troisième ville du pays? Comment peut-on s'indigner pour une fermeture de quelques mois qui, au bout, dotera sans doute Constantine de cette infrastructure qui lui manque tant alors que la ville est sévrée de vraies cultures depuis 52 ans? Le temps, sinon les hommes- c'est le moins de le dire- n'ont pas été cléments pour l'antique Cirta, l'une des plus vieilles villes du monde, inscrite au patrimoine universel. Délabrée, mais toujours debout, gardant un charme certain, celui de ses vieilles pierres, Constantine n'a pas eu d'édiles à sa dimension, qui n'ont jamais compris combien cette ville séculaire a marqué l'Algérie de son sceau indélébile. Outre ses hommes de culture, d'art et de théâtre, Constantine a également produit des philosophes et des hommes politiques, donnant à la ville du Rocher de défier le temps et les hommes. Cirta-Constantine n'est pas seulement la gardienne d'une mémoire nationale, elle est en fait la mémoire vivante et identitaire de l'Algérie par son amazighité, par son arabité et son Islam assumés en toute circonstance donnant naissance à quelques-uns des penseurs, créateurs et artistes les plus féconds et novateurs dans une Algérie alors en panne de renouveau. Constantine a été laissée à l'abandon, réduite au rang de bourg, mais n'en restait pas moins l'unique Cirta, attestée par sa longue traversée de l'Histoire. Cette ville a été pourtant privée de structures culturelles dignes de son statut. Etre capitale de la culture arabe pour une année? Pourquoi pas? C'est surtout un prétexte pour revenir à la vie. Alors arrêtons de nous payer de mots, rendons à nos villes leurs stature et grandeur perdues.