La région frontalière de Maghnia continue d'être le point de ralliement de clandestins africains de nationalités diverses. Ces candidats à la fuite vers le Nord sont devenus des invités encombrants pour les habitants de Lalla Maghnia, qui voient les murs de leur cité envahis, chaque jour un peu plus, d'intrus venus d'on ne sait où et prompts à jouer des poings quand leurs ventres crient famine. Le lit d'Oued Jorji ou encore celui d'Oued Derfou abritent, dans des cabanes de fortune, des dizaines de clandestins venus de l'Afrique subsaharienne. Ils vivent, dans des conditions très difficiles, l'attente d'un signal des réseaux de passeurs pour fondre vers la frontière et pénétrer le territoire marocain. Combien sont-ils et qui sont-ils, ces parias encadrés par des responsables de campements, véritables relais des réseaux de l'émigration clandestine? Chaque jour que Dieu fait ce sont de nouvelles têtes qui débarquent des bus et taxis. Ils viennent de partout et sont pris en charge dès leur entrée en territoire algérien. Toutes les opérations de reconduite aux frontières effectuées par la gendarmerie et les autres corps des services de sécurité se sont révélées inefficaces tant le flux de ces clandestins est devenu important. «La reconduite aux frontières s'avère aujourd'hui difficile, car il est pratiquement impossible de vérifier la nationalité de ces clandestins qui évitent de décliner leur véritable identité», dira un habitant de Maghnia qui précisera, pour démontrer la difficulté de la procédure que des cadavres de clandestins, morts du sida et autres maladies sont entreposés dans la morgue de l'hôpital et que leur identification est pratiquement impossible du fait qu'aucune indication sur leur nationalité n'est disponible. «Même les chancelleries de pays connus pour être de véritables candidats à l'émigration clandestine s'avouent impuissantes et n'arrivent pas à apporter leur concours dans cette guerre contre ce fléau. Ces derniers, les pays du Sahel et de l'Afrique subsaharienne, devraient juguler le phénomène en amont en surveillant les sorties de leurs ressortissants», dira un commerçant de Maghnia. En 2002, une véritable guerre avait éclaté entre des clandestins nigérians de confession musulmane et des chrétiens de nationalité ghanéenne. Des armes blanches ont été utilisées durant les hostilités et les services de sécurité, intervenus pour séparer les belligérants, avaient dénombré plusieurs dizaines de blessés dont certains dans un état grave. Ces frictions entre clandestins de dizaines de nationalités sont alimentées par les réseaux de l'émigration clandestine qui tentent, en agissant de la sorte, de se mettre à l'abri en semant la division entre ces compagnons d'infortune. Le représentant local, un clandestin africain, des réseaux qui ont des accointances avec la mafia, communique avec ses chefs via le téléphone satellitaire Thuraya. «Il organise les passages vers la frontière et l'entrée de ses clients dans l'enclave espagnole de Ceuta et Melilla. Ceux qui tentent de voler de leurs propres ailes sont dénoncés aux passeurs marocains qui les ‘‘balancent'' aux gendarmes du royaume qui les arrêtent, les dépouillent de leurs biens avant de les reconduire vers les frontières algériennes», avouera un citoyen de Maghnia qui se dit peiné par les souffrances de ces hommes et de ces femmes qui n'hésitent pas à tomber très bas pour assurer leur survie dans les conditions difficiles des camps. «Des hommes travaillent dans des chantiers du bâtiment pour des salaires de misère alors que des femmes versent dans la prostitution pour assurer leur nourriture», dira notre interlocuteur. Pis encore, le phénomène s'est déplacé vers les autres villes de l'Ouest. A Oran, plusieurs hôtels, bas de gamme, accueillent ces clandestins qui se livrent aux plus durs métiers, moyennant un croûton de pain. Au centre-ville, des Africaines se livrent au plus vieux métier du monde. Cette situation profite à plusieurs entreprises du. bâtiment et à certains particuliers qui disposent ainsi d'une main-d'oeuvre à bas prix et qui ne rechigne pas au travail. La population de Maghnia a tenté, à plusieurs reprises, de montrer son rejet du phénomène, mais que peut-elle faire quand ce sont des dizaines de clandos qui débarquent chaque jour que Dieu fait. Les efforts déployés pour lutter contre l'émigration clandestine ne peuvent à eux seuls endiguer ce phénomène. Pour ce faire, il faudrait que les pays d'origine de ces malheureux fassent preuve de bonne volonté, mais cela est une autre paire de manches quand on sait que ces derniers vivent des conflits ethniques et autres guerres fratricides.