Près de 700 000 litres de carburant ont été saisis depuis le début de l'année. Les gardes-frontières mènent une offensive musclée contre les contrebandiers. Plus de la moitié de la population de Maghnia vit de la contrebande. Le litre de gasoil est vendu à la frontière au double, voire au triple de son prix initial. 87 affaires liées à la contrebande sont enregistrées depuis le début de l'année. Maghnia. De notre envoyé spécial ça sent le carburant ! Cette sentence prononcée par un confrère d'Oran mardi dernier, dès notre arrivée à Maghnia, est loin d'être une plaisanterie. Car cette ville, située à quelques encablures des frontières marocaines, est une véritable passoire pour les trafiquants et ce n'est un secret pour personne. Officiellement fermées depuis 1994, ces frontières sont aujourd'hui grandes ouvertes pour la contrebande en tout genre. La drogue continue toujours à entrer sur le territoire, inondant le marché local et faisant de l'Algérie un lieu de transit vers l'Europe. Mais le plus important des trafics reste celui des carburants. Selon des statistiques non officielles, plus de la moitié de la population de Maghnia vit de la contrebande et du trafic en tout genre. Pourtant, à première vue, cette ville donne l'impression d'être plutôt calme. Mais ce constat attise la curiosité et nous invite à en savoir un peu plus sur cette ville frontalière. L'opportunité nous en a été donnée par l'invitation du commandement de la Gendarmerie nationale de découvrir la face cachée de cette ville. Dans cette région, la Gendarmerie nationale déploie des efforts considérables pour contenir cette propension à transgresser la loi. Les unités des garde-frontières intensifient les opérations sur le terrain pour traquer les narcotrafiquants. Un dispositif sécuritaire musclé a été mis en place, surtout depuis la visite qu'a effectuée le général-major Boustila, commandant en chef de la Gendarmerie nationale, dans la région il y a deux années. Depuis, 11 postes avancés ont été installés et 13 autres sont en phase d'achèvement. Située à près d'une vingtaine de kilomètres des frontières avec le Maroc, Maghnia pue le carburant. D'ailleurs, le fait de ne croiser, sur le chemin de cette ville de l'extrême ouest du pays, que des véhicules de type Renault 21 et 25 ainsi que des Mercedes n'est pas fortuit. Car, c'est à bord de ces véhicules aux grands réservoirs que les « hallaba », les trafiquants de carburant, font la navette entre les stations-service et les réservoirs de fortune situés sur la bande frontalière. A partir de ces réservoirs, les « hallaba » usent d'un autre moyen de transport : les ânes. D'ailleurs, la quasi totalité des localités que nous avons sillonnées avec les éléments de garde-frontières, notamment les petits bourgs de Mohamed Salah et Sbaâ, dans la région de Béni Boussaïd (Zouia), regorgent de ces équidés. Mercredi dernier, alors nous empruntions de nuit une piste vers la localité de Takouk (Béni Boussaïd), nous étions tombés sur des baudets chargés de près de 900 litres de gasoil. La veille, la même quantité a été saisie par les éléments des GGF, Groupements des garde-frontières) de la même localité. Le trafic de carburant est surtout répandu dans cette zone et à Roubane. Dans ces localités, la plupart des habitants sont des « hellaba ». Ici, on ne vit que du… gasoil, ce qui fait que ce trafic ne cesse de prendre de l'ampleur. « Chaque unité des éléments des GGF et de la Gendarmerie nationale saisit en moyenne 4000 litres de carburant par jour », affirme le chef de compagnie de la Gendarmerie nationale de Maghnia. Selon des statistiques qui nous ont été fournies sur place, près de 700 000 litres ont été saisis par les différentes unités de la Gendarmerie nationale depuis le début de l'année 2008. Cette quantité n'est pas négligeable puisqu'elle représente un peu plus d'un milliard de centimes. Mais ces chiffres sont loin de refléter la réalité de ce trafic qui permet aux « hallaba » d'engranger des fortunes colossales. Le litre de carburant est écoulé au double, voire au triple de son prix une fois les frontières franchies. Il faut dire qu'il n'est pas aisé pour les différents services de lutte de faire leur travail. Le trafic de carburant et la contrebande sont les principales ressources de la majorité des habitants de la ville de Maghnia. A quelques centaines de mètres de la bande frontalière, les habitations luxueuses poussent comme des champignons. Pourtant, il n'existe aucune activité industrielle dans la région. Cette région est aussi réputée pour être la plaque tournante du trafic de drogue. La localité de Bab El Assa, située au nord de cette ville, dont la population ne vit que de la contrebande, est ainsi la région de transit du kif. Quatre quintaux de kif saisis en une nuit C'est dans cette localité où nous nous sommes rendus mercredi dernier que les éléments du 19e GGF ont saisi, le même jour, quatre quintaux de kif traité. Cela faisait longtemps que les services de lutte contre le trafic de stupéfiants n'avaient pas saisi une telle quantité. C'était suite à une embuscade tendue par les éléments du 19e GGF, au niveau du poste Hadj Miloud, que cette drogue a été saisie. Elle était à bord d'une R25 dont le propriétaire a fui dès qu'il a été repéré par les garde-frontières. La drogue a été retrouvée dans la malle de cette voiture immatriculée en France. Elle était soigneusement enveloppée dans des sacs de 25 kg, contenant chacun 50 plaques portant la marque X5, en référence à une BMW de ce type. Nous apprenons du chef de la compagnie de Maghnia que le propriétaire de la marchandise portant ce cachet est connu des services de sécurité de Maghnia où il est considéré comme étant un baron marocain de la drogue. Le lieu où a été saisie cette drogue n'est pas surprenant, il n'est qu'à 2 km de la RN7 A. « Le trafiquant met 5 mn pour venir de la ville marocaine la plus proche des frontières et atteindre cette route », selon le chef divisionnaire du 19e GGF. Les contrebandiers visent les lieux où les habitations marocaines et algériennes sont proches pour faire passer leur drogue sur le territoire national. Ils utilisent souvent des véhicules maquillés. Le chef de la compagnie de Maghnia nous annonce d'ailleurs qu'une centaine de voitures du même type sont saisies annuellement. La région de Maghnia n'est pas uniquement une zone de transit de la drogue et de trafic de carburant, elle est connue pour être aussi le fief de l'immigration clandestine. Près de 2000 immigrants clandestins ont été arrêtés depuis le début de l'année 2008. Mardi, dès que nous foulâmes le sol du siège du 1er GGF, nous apprîmes que les services de la Gendarmerie nationale de Maghnia ont arrêté une trentaine d'immigrants clandestins la semaine précédente. Ces « aventuriers » ont été surpris dans leur sommeil au bord des oueds Jorji et Ouardefou. Ce sont leurs points de chute avant de se diriger vers El Hamri, village Omar et El Chttab. C'est de là où, employés dans la construction de bâtisses illicites pour le compte de contrebandiers qui blanchissent leur argent dans le foncier et l'immobilier, qu'ils tentent de gagner l'Europe via le Maroc. Mais le rêve de ces immigrants se termine à Maghnia, puisque la plupart finissent dans les cellules de la Gendarmerie nationale où ils sont placés en garde à vue pour vérification de papiers avant d'être déférés à la justice qui ordonne ensuite leur rapatriement. Les activités de ces aventuriers sont liées au trafic de monnaie et à l'escroquerie. Lundi dernier, suite à une patrouille de la compagnie de Gendarmerie nationale de Maghnia, deux Maliens ont été interceptés en possession d'une valise diplomatique contenant tout un matériel de falsification de faux billets ainsi que plusieurs liasses de clichés noirs. Près d'un millier de clichés prêts à être transformés en billets de dollars ou d'euros. Les immigrants maliens, à la vue des gendarmes, ont fui pour aller se réfugier en territoire marocain, abandonnant, à l'intérieur de la mallette récupérée, huit passeports de ressortissants maliens. Le nombre de personnes arrêtées à Maghnia pour leur implication dans les différents trafics s'élève à 87 depuis le début de l'année. Mais ce chiffre reflète-t-il la réalité du nombre des contrebandiers qui sévissent à Maghnia ? Pas si sûr...