L'ancien chef de l'AIS explique que ce sont ceux qui ont voté pour Bouteflika qui mènent les tractations avec les groupes armés. Dans un entretien qu'il vient d'accorder à la chaîne de télévision qatariote Al Jazira, et qu'il a renouvelé à L'Expression, Madani Mezrag confirme l'existence de négociations «entre ceux qui ont soutenu à bras-le-corps la réconciliation nationale prônée par le président de la République et les groupes armés». Selon l'ancien responsable de l'Armée islamique du salut, il y a des responsables qui activent «à plusieurs niveaux afin de mettre fin à l'effusion de sang en Algérie et éteindre les feux de la discorde». Il ajoute que «les négociations actuelles sont menées sur deux fronts». Le premier, et qui est essentiel, concerne les «frères qui sont encore dans les maquis et chez qui nous avons trouvé une réelle volonté de mettre fin aux hostilités». Pour cette catégorie d'hommes, «il faut trouver des garanties juridiques qui permettraient leur retour parmi leurs concitoyens». Le deuxième front de ces négociations a trait aux responsables de l'Etat algérien qui doivent «saisir les opportunités qui se présentent et faire en sorte de préserver aux frères leur dignité, leur sécurité et leurs droits tout en préservant à l'Etat algérien son autorité», et essayer surtout de ne pas ouvrir les plaies qui en rajouteront encore aux douleurs des uns et des autres. Au sujet du nombre d'islamistes armés concernés par les négociations en cours, une source à Collo nous a précisé: «Aucun groupe important, aucun chef de katiba connue ne sont concernés à ce jour, par les tractations qui se déroulent un peu partout dans les fiefs islamistes de l'Est. Evidemment, nous sommes, (en réalité, nous avons toujours été) en contact avec des frères qui sont à ce jour, dans les maquis et il y a de fortes chances pour qu'ils déposent les armes et réintègrent la vie civile.» Combien sont-ils? «Peut-être quelques dizaines, mais on n'en sait pas plus, et il faut être présent partout dans les maquis concernés par les redditions pour avancer un chiffre. Du reste, tous les chiffres avancés par la presse, ces derniers jours, sont difficilement vérifiables». L'imposante carrure de cet ancien chef de Katibat de l'AIS à l'Est tranche brutalement avec son propos mesuré et ses traits calmes. Notre interlocuteur participe «dans la mesure» de ses «possibilités» aux tractations qui se poursuivent en vue d'amener le maximum de repentis à déposer les armes et à intégrer un cadre juridique de négociations. En fait, le nombre d'islamistes en «négociations indirectes» est très en deçà de ce qui a été annoncé en grande pompe: entre 100 et 300 pour la presse, et 700 pour les titres arabophones paraissant à Londres et la chaîne qatariote El Djazira. Evidemment de tels chiffres ont de quoi réjouir les autorités, et principalement le président de la République, qui peut en tirer un énorme avantage, celui d'être l'homme qui aurait mis fin à quinze années de confrontation directe pouvoir-islamistes. Cependant, il ne faut pas pousser l'optimisme jusqu'aux limites de l'invraisemblance et s'avancer sur un terrain qu'aucune partie ne maîtrise. Ni les intermédiaires (chefs militaires, anciens émirs repentis et familles) ni les islamistes concernés ne peuvent dire avec exactitude à combien s'élève le nombre de «trêvistes». Ce sont des «poches» de terrorisme, de «petits nids» d'activistes, des hommes vivant cachés même dans le tissu urbain des villes et villages de l'Est... qui se trouvent aujourd'hui intéressés par le dépôt des armes. Les maquis d'El Kala, Tébessa, Collo, Jijel, Annaba, Skikda, Bouira, M'sila, etc. sont encore investis par de petits groupes mobiles d'activistes du Gspc, et qui souhaiteraient certainement mettre fin à une activité sans objectifs politiques clairs, mais nous ignorons si le gros des contingents du Gspc est concerné par les négociations actuelles. Ne perdons pas de vue que la force de frappe du Gspc reste concentré dans la Kabylie, qui va pratiquement de Sidi Daoud, Lagata et Bordj Ménaïel à Larbaâ Nath-Irathen et Aïn El Aïn et poussant au sud, jusqu'au col de Thirourda. C'est dans ces maquis que se trouve la direction de l'organisation, autonome depuis 1996, née officiellement en septembre 1998 et qui s'est imposée à partir de 2000 comme le groupe le mieux structuré et le plus imposant, avec près de 300 hommes armés, en Algérie. Or, à ce jour, il n'a été fait état publiquement d'aucune négociation. Dans le premier cercle de commandement du Gspc, parler de trêve ou de repentir équivaut à une condamnation à mort, Abdelmadjid Dihou, ex-imam de Bordj Ménaïel, en a fait l'expérience. A partir de 2000, la littérature djihadiste du Gspc est venue, par trois fois, renforcer cette règle. Un long communiqué, publié à l'endroit des chefs de groupe, interdit à quiconque de faire référence à une possibilité de négociations avec les autorités. Au contraire, tous ceux qui ont été tentés par la reddition ont été éliminés et tous ceux qui se sont rendus aux autorités ont été indexés comme «cibles à éliminer» (cas du repenti du Gspc abattu à Bachdjarah, il y a quelques semaines). En fait, les services de renseignement n'ont jamais cessé les contacts avec les «maquisards» et de tout temps, des émissaires sérieux et crédibles, anciens repentis, émirs ou chefs de katibates, ont été dépêchés aux maquis islamistes pour les amener à déposer les armes et mettre fin à la belligérance. Si aujourd'hui, à la faveur de la réélection d'Abdelaziz Bouteflika et son discours résolument «réconciliateur», il se trouve que les négociations sont en phase avancée, c'est tant mieux, mais disons-le une fois de plus, les réalités du terrain, selon nos sources, restent très en deçà de ce qui a été initialement annoncé.