La rapidité et la violence du processus ont rendu impossible l'évolution de cette presse dans la sérénité. L es incertitudes s'accumulent, l'horizon se brouille, le monde de la presse indépendante en Algérie semble opaque. Fragile et fragilisée par la soudaineté des changements qui affectent la société algérienne, cette même presse n'a jamais eu le temps de se construire. Depuis son apparition en 1990 sous le gouvernement Hamrouche, au lendemain des évènements d'octobre 1988, la presse privée n'a pas connu de répit pour faire son autocritique. La courte lune de miel qui a présidé à sa naissance s'est vite éclipsée. Dans un pays sans tradition démocratique, elle a évolué de crise en crise «oubliant» de faire son mea culpa pour se dédouaner des erreurs qui lui sont reprochées. Dès sa naissance, elle a eu à affronter les affres du terrorisme. La volonté islamiste de l'anéantir conjuguée aux pressions et aux intimidations des gouvernements successifs ont abouti à l'assassinat de près de 70 journalistes et assimilés et à l'emprisonnement de dizaines d'autres. Un terreau social fait de peur, de désarroi et de ressentiment. La rapidité et la violence du processus ont rendu impossible une évolution dans la sérénité, la mise en place de syndicats forts, de la formation et d'encadrement de journalistes. La caricature a été poussée au point que cette presse se confondait totalement avec cette crise en donnant l'impression d'y tirer sa sève. Combien de fois a-t-on entendu un confrère, un rédacteur en chef ou un secrétaire de rédaction se plaindre sans prétention d'une «actualité plate» par le fait qu'il n' y ait pas eu de massacre. De l'avis des spécialistes, la presse algérienne souffre d'un manque flagrant en termes de formation et de professionnalisme. Pour l'encadrement, ces mêmes spécialistes avancent que si des journalistes algériens issus de la presse publique ont réussi le défi de créer des journaux, ils sont en revanche loin d'avoir une réelle conception de la gestion d'une entreprise de presse. En dépit de toutes ces difficultés et vicissitudes, la presse algérienne est demeurée l'une des plus combatives et des plus libres du tiers-monde. La fin des années 90, qui coïncidait avec la baisse du terrorisme, allait annoncer une période de répit, mais les menaces et les pressions ont pris d'autres formes. Au fil du temps, ces pressions ont changé de nature pour devenir plus sournoises. Les emprisonnements et les assassinats ont cédé la place aux poursuites judiciaires, aux suspensions administratives doublées d'un harcèlement «économique» tout aussi efficace. Du coup, l'espoir d'une relance de cette presse sur des basses plus solides s'est évaporé. Une certitude confortable s'est effondrée le jour des résultats de la dernière élection présidentielle : rien ne devait se modifier dans le champ médiatique national sinon l'inondation de la scène par une multitude de nouveaux titres de la presse écrite. Mais le choc du 9 avril 2004 n'est peut-être pas mal venu. Peut-être la presse libre algérienne aura-t-elle un moment pour faire son autocritique urgente et indispensable. Car en définitive, cet acquis démocratique sert d'abord à informer la société, à dessiller les yeux des dirigeants, à relancer et susciter le débat pour bâtir enfin une Algérie plus juste et plus solidaire.