L'exploitation du sable de mer ou de rivière, soumise auparavant à un contrôle très sévère de la part des services du ministère des Travaux publics par le biais des agents des ex-ponts et chaussées, a échappé à cette administration spécialisée. Avec le temps, les services des domaines deviennent les régulateurs de l'exploitation des sablières. Ceci se fait, confirme-t-on, par concession à des entrepreneurs et au plus offrant. Le contrôle a posteriori échappe aux services des domaines pour, nous dit-on, des raisons techniques. Soumise à des textes réglementaires, la gestion des «richesses naturelles» ne tardera néanmoins pas à voir surgir une pègre spécialisée qui a fini par faire émerger des «potentats». Ces derniers tissèrent une toile allant de Tlemcen à Collo, c'est-à-dire sur la côte de tout le pays. Mais cela ne leur suffit pas, le sable des rivières ne leur échappe point. Les sablières légalement obtenues ne suffisaient plus. Une organisation aussi dangereuse que la maffia italienne venait de naître. Comme toute autre richesse naturelle, le pillage de sable se fait avec l'aval des organisations criminelles et des complicités énormes, parmi ceux qui sont chargés de poursuivre et réprimer les hors-la-loi. Ainsi par le biais de l'intérêt matériel, les terroristes sont devenus, par la force des choses, associés à «certains» membres des services de sécurité, lesquels laissent faire les «pilleurs» de sable. Selon l'enquête que nous avons menée, un camion de grand tonnage rapporte un minimum de 100.000,00 DA par nuit, un simple tracteur agricole muni d'une remorque en rapporte 15.000,00 DA net d'impôts. Mais le transport de sable volé se fait même par train! Il en est ainsi des sablières pirates de Collo. Le sable qui en est extrait part par wagons entiers sur Alger. Les exploitants légaux transportent le sable en des lieux de dépotage et c'est à partir de leur entrepôt qu'ils vendent la marchandise, accompagnée de documents protégeant les transporteurs en cas de rencontre avec les services de sécurité. Les pilleurs, eux, agissent de nuit, emportant sable de plage et galets. Pour les galets il faut savoir que la réglementation exige une autorisation spéciale des travaux publics qui désigne le lieu d'enlèvement, le temps du transport, le gabarit des galets et la quantité exacte. Malheureusement, cette administration autrefois très puissante est aujourd'hui réduite à l'impuissance. Les principaux lieux de pillage sont très nombreux. Ceux que nous citons sont à titre indicatif et ne concernent que les lieux les plus touchés. A l'Ouest, les vols concernent les plages de la wilaya de Tlemcen où agissent deux potentats. Oran, Arzew, Bouhanifa sont sous la houlette d'une demi-douzaine d'exploitations pirates. Au centre du pays, les plages les plus touchées sont situées sur la côte est, notamment les stations balnéaires relevant de la wilaya de Tizi-Ouzou. Dans cette région, le pillage est tellement important que la population s'en est alarmée et a dû intervenir directement pour protéger les lieux, au risque de se heurter aux terroristes. Le pillage est important Les lieux les plus dégradés sont certainement les côtes de Boumerdès, particulièrement Boudouaou. Là, les pilleurs sont connus, puissants et dangereux. Plus à l'est, les plages de Tichy à Béjaïa, El Djenah (rochers aux moules), El M'Zaïr, à Jijel les «territoires» sont pratiquement déterminés. De même, les plages de Collo sont soumises au diktat des pilleurs de liège et de sable, cela au moment où cette contrée subissait la tyrannie des terroristes. Béni Zaouit, à Annaba, les plages les plus connues n'échappent pas aux flibustiers du sable. Dans ce cartel, Collo ne fait pas exception. Le sable part jusqu'aux entrepôts des barons d'Alger. Ces brigands des temps modernes ne se contentent pas des côtes. Ils volent le sable là où il se trouve. Ainsi, à Souk Ahras, le site archéologique de Madaur n'a pas échappé aux voleurs. Les rivières sont également au programme des pilleurs. Le Rhummel, oued Boussiaba, oued Baddou, El Mekkera sont autant de sites où les barons s'approvisionnent. La Seybouse par endroits, situés d'ouest en est, est régulièrement délestée de son sable par camion ou tracteur. En général, cette catégorie est constituée par des particuliers volant pour leurs besoins personnels, mais aussi par des propriétaires de camions qui le revendent aux entrepreneurs en bâtiment ou aux producteurs d'hourdis ou de buses. Ils commettent autant de dégâts dans les rivières qui se dépeuplent de poissons, que ceux qui dégradent les côtes de plus en plus aux dépens des terres arables. Les réseaux contrôlés par de «vrais barons» sont hautement protégés. En plus de l'écueil légal, les services de sécurité se heurtent souvent à des complicités «bien placées». Leur travail devient impossible et très souvent dangereux pour leur carrière et parfois pour leur vie. Et pour cause, de véritables contrats sont passés pour l'élimination physique des membres des services de sécurité qui refusent de fermer les yeux sur le massacre de nos plages et de nos rivières. Le dernier exemple a eu lieu à Boumerdès, et plus exactement à Sidi Daoud. Le chef de brigade de cette localité a été assassiné au courant du premier semestre de l'année 2002 avec deux autres gendarmes. A Boudouaou, on a effectué durant cette même année plus de 380 arrestations, liées à ce phénomène par les services de sécurité de la Gendarmerie nationale, plusieurs embuscades, ont été signalées heureusement avortées, des gendarmes dont des officiers ont dû être mutés pour préserver leur vie. Le terroriste Guenni Abd El Kader, responsable de «la collecte des fonds» pour le Gspc, arrêté en juin 2002, a avoué que 300.000,00 DA, soit trente millions de centimes, avaient été payés pour l'élimination du chef de brigade de la gendarmerie nationale de Sidi Daoud qui était la bête noire des voleurs de sable. Rien n'a fonctionné avec ce martyr du devoir, ni les intimidations ni les tentatives de corruption. Un certain M.Boghlia s'est démené comme un beau diable pour se débarrasser de certains officiers de ce service qui lui mettaient des bâtons dans les roues. Il dépense des sommes faramineuses, frôlant le milliard de centimes. Des sommes faramineuses De l'avis des juristes, les peines appliquées ne sont pas à la mesure du crime. En général, tout véhicule ou objet ayant servi dans un crime ou délit est passible de saisie définitive. Avec la souplesse de la législation actuelle, c'est à peine si les moyens de transport sont immobilisés pour la durée d'un mois. «Ne serait-ce que pour intelligence avec le terrorisme, le vol de sable devrait être criminalisé.», selon des juristes qui ont dû traiter des dossiers de ce genre. «Quelqu'un qui va charger un camion ou un tracteur agricole avec une richesse qui appartient à tous les Algériens, vole des milliards, de nuit, doit être puni pour vol qualifié. Quand en plus il finance l'ennemi actuel du peuple, qui est le terroriste, il aggrave son acte», relève un juriste. Ces criminels agissent avec une arrogance révoltante, car bien souvent, ils foncent sur les barrages de police ou de gendarmerie avec la nette intention de tuer. «Le crime de vol qualifié, poursuit notre interlocuteur, est présumé dès l'instant où le transporteur ne possède pas le titre lui permettant d'être en possession du sable, du fait même que la matière ne peut appartenir qu'au domaine de l'Etat.» Certains fonctionnaires se retrouvent propriétaires de camions, villas et commerces juteux par le biais de leur «quote-part» dans le vol à grande échelle du sable de mer, des galets et du sable des rivières en protégeant les voleurs. Les trafiquants pris en flagrant délit au niveau des barrages de la police ou de la gendarmerie nationale paient, à la place de leurs patrons, des peines de prison. Dans «le contrat de travail» entre le camionneur et le baron, il est spécifié que la famille du chauffeur emprisonné doit continuer à recevoir le salaire convenu par les propriétaires de camions. La mise en fourrière est compensée par le versement des frais et une somme fixée entre 5000 et 10.000 DA par jour durant l'arrêt du camion. C'est ce que nous avons appris par des sources chargées du dossier. Ce qui rend le problème du pillage de sable très grave, c'est que l'action de dégradation est ininterrompue. Les «barons» ne pensent qu'à leurs intérêts et agissent par l'intermédiaire d'individus qui ne prennent pas en considération les dégâts qu'ils causent à la nature. Un texte pour protéger les richesses naturelles avec plus de sévérité et de rigueur s'impose, car c'est le seul moyen légal de surmonter le dilemme des services de sécurité et de la justice, insistent de nombreux observateurs. Le texte actuellement en vigueur donne, en effet, l'impression vraie ou fausse, d'avoir pour but de protéger les sites naturels, mais pas forcément de réprimer le pillage. En plus du sable, il y a liège et corail, les câpres, la mousse de liège et la souche de bruyère pour ne citer que ces exemples. Selon des sources très au fait de ces dossiers, certains officiers des services de sécurité ont été soumis à d'énormes pressions. Ceux qui ont cédé se portent bien, ceux qui ont résisté l'ont payé soit de leur vie, soit par des mutations contraignantes. Entre 1999 et 2004, il y a eu plus de 2000 arrestations dont 1300 ont été suivies de condamnations à des peines de prison variant de 3 à 6 mois de prison ferme et des mises en fourrière. Sur les 1300 condamnations, en premier ressort, seule une cinquantaine a été confirmée par les chambres pénales des cours et assortie du sursis. Préserver les richesses naturelles Ces arrestations ont eu lieu à travers tout le territoire national. Les juges du deuxième degré appliquent la loi: c'est-à-dire l'application du texte réglementant les richesses naturelles, le principe universel de la primauté du texte spécifique sur le texte général et l'article 592 du code de procédure pénale qui permet de prononcer le sursis pour les délinquants primaires. Jusqu'à ce jour, selon des spécialistes, la cour suprême n'a pas eu à trancher dans pareilles affaires. Si elle le fait, elle appliquerait sûrement la loi. La balle est donc dans le camp des pouvoirs publics. Pour préserver les richesses naturelles du pillage. «Il faut donner les moyens juridiques aux services de sécurité, la justice et les différentes administrations d'accomplir leur mission en toute sérénité et avec plus de latitude et de protection de leur intégrité physique et morale», concluent les spécialistes. En définissant les maux de l'Algérie comme étant issus de la mafia politico-financière, feu Mohamed Boudiaf avait cerné le problème et avait mis le doigt sur le corollaire du terrorisme destructeur qu'a vécu le pays depuis 12 ans, le plus grand banditisme que l'humanité ait jamais connu. Ce phénomène n'est qu'une suite naturelle de la violence armée après que l'immense manipulation ait été dénudée par la perte de la couverture politique et le revirement de la majorité écrasante du peuple algérien. Les individus qui ont refusé la main tendue de l'Etat et de la société, se sont transformés en brigands dont le seul but et l'unique objectif sont devenus l'enrichissement par tous les moyens. Le terrorisme qui a, on s'en souvient, commencé par le vol d'explosifs des carrières fournissant le gravier aux constructeurs, a contraint les autorités à fermer toutes les stations de concassage, pour permettre la réouverture de quelques-unes étroitement surveillées. Ceci poussa les entreprises de construction à recourir à l'utilisation du sable de mer ou de rivière. Certains vautours à l'affût pour s'enrichir n'ont pas manqué cette occasion. Comme dit l'adage : «Le malheur des uns fait le bonheur des autres».