L‘Algérie traverse une zone de crises multiformes. Après la pomme de terre, le lait, la semoule et la farine, la pénurie du sable — élément central parmi les matériaux de construction — pointe à l'horizon. Les chantiers lancés, dans les secteurs de l'habitat, les travaux publics, l'hydraulique… risquent d'être compromis à cause de l'insuffisance des matériaux alluvionnaires. La question a été soulevée à la veille de l'entrée en vigueur de l'interdiction de l'extraction du sable des oueds, devant être applicable depuis le 4 septembre dernier. Cette interdiction est imposée par un texte de loi émanant du ministère des Ressources en eau, le 4 août 2005. Un texte qui accorde un délai de 2 ans pour développer la production des agrégats de carrière en remplacement du sable produit par les sablières plantées dans le lit des oueds. Les deux ans sont déjà passés et la situation est toujours la même : la production du sable de concassage n'a pas été développée et les carrières existantes n'arrivent pas à satisfaire les besoins nationaux en la matière. Des besoins estimés, selon Abdelkader Benyoub, président du conseil d'administration de l'Agence nationale du patrimoine minier, à 56 millions de tonnes de granulats (pour 2008) et 28 millions de tonnes pour 2009. Faut-il importer du sable ? Pourquoi on n'arrive pas à développer l'exploitation des carrières en Algérie ? Où se situe le problème ? Mesures d'urgence Encore une mesure d'urgence. Devant cette impasse, il fallait agir en urgence pour sauver les chantiers. La solution : reporter encore une fois l'application de l'interdiction de l'extraction du sable des oueds (une mesure décidée pour mettre fin à une catastrophe écologique due à une exploitation massive et anarchique des oueds). Il a fallu, pour cela, un conseil interministériel regroupant les ministères des Ressources en eau, de l'Habitat et des Travaux publics. Un projet de loi, portant sur le report de l'interdiction contenue dans l'article 14 de la loi du 4 août 2005, a été entériné, d'abord lors de ce conseil interministériel avant d'être avalisé par le conseil du gouvernement et le conseil des ministres. « Nous avons introduit l'article 14 qui stipule que toute extraction de matériaux alluvionnaires par tous les moyens et en particulier par l'installation de sablière dans le lit des oueds est interdite. Cette décision a été prise parce qu'il y a eu énormément d'extraction du sable qui a été faite d'une manière massive et anarchique au niveau de tous les oueds d'Algérie », nous explique Aït Amara Ahcen, directeur de l'assainissement et de la protection de l'environnement au ministère des ressources en eau. L'interdiction a été décidée, selon lui, pour empêcher une catastrophe naturelle et un massacre contre l'environnement. « Nous avons été sollicités par différents ministères pour essayer de proroger le délai en vue de faciliter la mise en œuvre du programme du gouvernement. La loi a été prorogée de 2 ans, mais dans le strict minimum du respect des mesures d'extraction de sable », ajoute-t-il. Y a-t-il un mécanisme permettant le contrôle des opérations d'extraction ? Quelle conséquence aura cette décision sur l'environnement ? Pour Aït Amara Ahcen, les extractions se feront dans le strict respect de la réglementation en vigueur. « L'exploitant est soumis à un cahier des charges et il y a une étude d'impact. Pour donner une concession, il faut qu'on soit assuré, exactement, qu'il n'y a pas d'impact sur la ressource, sur la nappe d'une manière générale et sur l'environnement en particulier. Dans le cahier des charges est mentionnée la quantité du sable à prélever. L'opérateur ne peut pas dépasser cette quantité », souligne-t-il. Comment contrôler ? Notre interlocuteur affirme que cette tâche est confiée à la police des eaux au niveau des directions de l'hydraulique. « Cette police est opérationnelle sur le terrain et relève tous les dépassements. Ce sont des agents assermentés habilités à dresser des PV et ils peuvent même soumettre à la justice toutes les contraventions relevées », indique-t-il. Pas de nouvelle prorogation du moratoire Selon lui, 13 à 14 millions de tonnes de sable des oueds sont prélevées annuellement. Les matériaux alluvionnaires produits par les oueds couvrent, précise-t-il, 40% des besoins nationaux. Mais, le ministère des Ressources en eau n'acceptera pas une nouvelle demande de prorogation dudit délai. « Il n'y aura pas une nouvelle prorogation du moratoire », tranche Aït Amara Ahcen qui insiste sur la nécessité d'aller, dans les plus brefs délais, vers l'exploitation du sable des carrières. Il souligne, dans le même ordre d'idées, que ce délai moratoire constitue une occasion pour promouvoir et favoriser le sable des carrières qui est meilleur dans la composition du béton. Le même avis est partagé par les responsables du ministère des Travaux publics et le président du conseil d'administration de l'Agence nationale du patrimoine minier. Dans les travaux publics, deuxième secteur « sablivore » (consommateur du sable) après l'habitat et l'urbanisme, on privilégie beaucoup plus le sable des carrières. « Nous privilégions le sable des carrières pour la réalisation de la plus grande partie des chantiers. Pour les routes, nous n'avons aucun problème. Mais pour les grands ouvrages (ponts et trémies), nous sommes obligés de garantir une meilleure qualité du béton », déclare Djidjeli Zahir, directeur de la recherche au ministère des Travaux publics. La problématique posée est qu'au niveau des carrières, on n'accorde pas une importance à la production du sable, en dépit du fait que celui-ci est nettement meilleur pour le béton. Selon ce responsable, le sable des carrières utilisé actuellement n'est que des déchets (sable très fin). « Notre béton doit être d'une qualité excellente. Nous ne badinons pas. Nos ouvrages doivent être durables et d'une résistance parfaite », souligne-t-il. Absence d'investissement et manque d'information La grande insuffisance réside dans l'investissement. Les opérateurs activant dans le domaine ne sont pas nombreux. Ils préfèrent investir dans les sablières qui ne nécessitent pas des moyens colossaux. Ce domaine, selon Djidjeli Zahir, n'a pas été développé. « Nous n'avons pas atteint un rythme optimal dans la production du sable de concassage. Il faut un véritable investissement dans les équipements (un matériel spécialisé) destinés exclusivement à la production du sable de qualité », indique-t-il. En plus des méthodes d'exploitation, il faut, dit-il, choisir la roche de bonne qualité et une spécialisation dans la production du sable. « En attendant la mise en place de tels chantiers, il faut que les projets lancés soient achevés dans les délais impartis », déclare-t-il. Le problème des gérants des carrières se situe, notamment, dans l'isolement. C'est ce que nous confirme, en tout cas, Kamel Tolba, gérant de la Société d'exploration et d'exploitation des mines (Seem) qui exploite une carrière du sable situé à Khanguet Sidi Nadji dans la daïra de Zribet El Oued (wilaya de Biskra). « Selon les études techniques effectuées, nos réserves sont estimées à dix millions de tonnes et par voie de conséquence nos capacités de production peuvent évoluer en fonction des commandes, aussi importantes et durables qu'elles puissent être. Nous pouvons réaliser cela sans contraintes particulières », estime Kamel Tolba. Selon lui, les difficultés auxquelles fait face son entreprise sont, en particulier, l'isolement, d'autant que la carrière exploitée est située dans une wilaya du Sahara et le manque de médiatisation (les utilisateurs du sable ignorant l'existence de cette carrière). « Notre société a relevé le défi en investissant dans une zone à développer. Actuellement, nous pouvons dire que le bon sable est disponible si on le cherche là où il se trouve », lance-t-il. Il tient à affirmer, dans ce sens, que sa production, l'analyse des organismes publics le confirme, est conforme aux normes de fabrication des matériaux de construction tels que la brique, la céramique… Le premier responsable de la Seem reconnaît, par ailleurs, que le développement des carrières en Algérie nécessite, à la fois, de nouvelles stratégies d'exploitation et une prise de conscience de la part des autorités et des opérateurs. Les représentants des pouvoirs publics que nous avons interrogés se disent « très conscients du problème et qu'ils savent pertinemment que la solution finale passe par le développement des carrières ». « Si on veut résoudre définitivement la question, il faut aller très vite dans le développement du domaine. Il faut profiter de ce nouveau moratoire pour y parvenir », exige le président du conseil d'administration de l'Agence nationale du patrimoine minier. Selon lui, même s'il y a plusieurs possibilités de produire du sable, telle que l'exploitation de certaines dunes du Sahara (Bou Saâda) et le sable de la mer, la solution idéale demeure le développement des carrières. L'épineux problème que rencontre l'agence pour l'octroi des licences d'exploitation des carrières est, précise-t-il, le niet qu'opposent les services de l'environnement à l'exploitation de nombreuses carrières à travers le pays. Des carrières jugées destructrices de l'écosystème. « Il faut définir nos priorités et faire un choix. Plus de 400 demandes d'exploitation des carrières ont été rejetées », annonce-t-il. Pourtant, martèle-t-il, l'agence effectue, avant de délivrer une autorisation d'exploitation de carrières, une étude d'impact. « En outre, nous exigeons de chaque exploitant de procéder à la remise en l'état du terrain exploité. Nous prélevons sur le chiffre d'affaires des opérateurs une partie destinée à cet objectif », argumente-t-il.