Si les combats sont partis d'une lutte de pouvoir au sein du régime sud-soudanais entre le président Salva Kiir et son ancien vice-président Riek Machar, ils ont aussi ravivé de vieilles alliances et tensions régionales. Depuis mi-décembre, le Soudan du Sud est le théâtre d'un conflit qui a fait des milliers de morts et plusieurs centaines de milliers de déplacés. Un cessez-le-feu laborieusement signé fin janvier n'est pas respecté et les analystes craignent une contagion régionale. Au coeur des préoccupations: le rôle de l'Ouganda, qui a envoyé des troupes combattre au côté de l'armée sud-soudanaise dès le début de la crise, et la résurgence de mouvements armés actifs durant la guerre civile soudanaise qui a opposé entre 1983 et 2005 la rébellion sudiste, désormais au pouvoir à Juba, aux forces de Khartoum et a débouché sur l'indépendance du Soudan du Sud en juillet 2011. «La question n'est pas de savoir si il y aura une régionalisation du conflit, mais quand», prévient Casie Copeland, de l'International Crisis Group (ICG). «On s'inquiète effectivement d'une régionalisation» du conflit sud-soudanais, confirme un diplomate occidental sous couvert d'anonymat car «les Ougandais et les Soudanais se détestent». L'animosité réciproque que se vouent le président ougandais Yoweri Museveni et son homologue soudanais Omar El Bechir remonte aux années de guerre civile soudanaise, le premier soutenant alors l'Armée populaire de libération du Soudan (SPLA), la rébellion sudiste alors dirigée par John Garang, auquel Salva Kiir a succédé à sa mort en 2005. L'Ouganda a de son côté longtemps accusé Khartoum d'armer des rébellions sur son propre territoire, notamment la sinistre Armée de résistance du Seigneur (LRA). Avec la présence de troupes ougandaises en territoire sud-soudanais, notamment dans des zones pétrolifères proches de la frontière soudanaise, les analystes craignent que Khartoum passe à l'offensive, en réarmant - comme il l'a fait durant la guerre civile - des mouvements supplétifs au Soudan du Sud. D'autant que le camp Machar affirme qu'outre l'armée ougandaise, des rebelles soudanais du Mouvement pour la Justice et l'Egalité (JEM), qui affronte Khartoum au Darfour (ouest du Soudan) depuis 2003, combattent également au côté des forces pro-gouvernementales sud-soudanaises. En devenant indépendant, le Soudan du Sud a récupéré les trois-quarts des réserves pétrolière du Soudan pré-partition, mais Khartoum continue d'en tirer d'importantes ressources, grâce aux redevances de passage de ce brut dans ses oléoducs, sans lesquels il ne peut être exporté. L'interruption totale de la production sud-soudanaise, entre janvier 2012 et avril 2013, sur fond de litige entre Khartoum et Juba sur les redevances de passage, avait mis à genoux les fragiles économies des deux voisins. «Le gouvernement (sud-soudanais) pourrait être en faillite d'ici deux à trois mois», estime un analyste ayant requis l'anonymat. Le Soudan du Sud, qui estime payer trop cher le passage par les oléoducs soudanais et par souci d'indépendance, a signé des accords pour la construction d'oléoducs alternatifs traversant l'Ethiopie et rejoignant la mer à Djibouti ou au Kenya. Des projets qui suscitent l'ire de Khartoum et auquel voudrait se raccrocher l'Ouganda, enclavé, qui a découvert en 2006 d'importantes réserves sur son territoire et entend commencer à extraire son brut à court terme. «Un scénario cauchemardesque est en train de se mettre en place dans la région», expliquait récemment, devant une commission parlementaire américaine, John Prendergast, de l'ONG américaine Enough project. Outre l'Ouganda et le Soudan, M.Prendergast s'interroge aussi sur la possible implication de la très fermée Erythrée, soupçonnée d'alimenter en armes le camp Machar, au risque d'irriter son grand ennemi, l'Ethiopie voisine, à qui l'a opposé une terrible guerre entre 1998 et 2000. Le conflit sud-soudanais «menace la région de guerre comme jamais depuis les années 1990», a-t-il averti.