Enfin, les Français ont pu voir les images d'une copie neuve du film devenu culte de Gillo Pentecorvo, «La Bataille d'Alger». Les Italiens auraient-ils laissé passer leur chance? Y a risque ! Prompts à vouer aux gémonies les sélectionneurs, ces derniers temps, pour leur mise à l'écart de la course à la Palme d'or, il semble bien, hormis, «L'hirondelle Moretti» que, de plus en plus, le formatage télé, ait encore fait des siennes, comme au début des années 80. Bizarrement, c'est toujours avec la reprise en main par la «Cavalière» Berlusconi des médias lourds publics (en plus de ses propres chaîne-télé), donc, que l'on remarque une telle propension à téléviser un propos cinématographique, à maintenir la primauté de l'accessoire sur l'essentiel. Cela est plausible quand il s'agit de réalisateurs ayant un certain talent, mais dès lors qu'il est question de cinéastes ayant de plus en plus obligation à passer à travers la fourche caudine des penseurs de la télévision «grand public» (sic), le résultat ne se fait pas attendre trop longtemps...Ce fut le cas avec «Le consequenze dell'amore» du Napolitain Paolo Sorrentino. Ou comment raconter l'histoire d'un quinquagénaire propre sur lui, confiné depuis presque un quart de siècle et dont il ne sort que pour faire un voyage au bord de sa puissante voiture pour aller déposer dans la banque suisse du coin, une valise lestée de quelques millions de dollars. Le monsieur, l'on ne tardera pas à le comprendre, est en fait un coursier, de luxe, de la Cosa Nostra. C'est lourd et proche de la caricature, propre aux vieux cinéastes revenus de tout (et de tous) et qui seraient là à jouer aux utilitaires. Las, Sorrentino n'est qu'à son second film ! Le premier, repéré à Venise en 2001 «L'uomo in piu», lui avait permis de se distinguer et de faire le tour des festivals de la planète, jusqu'au jour où, envahi de ce spleen propre aux festivaliers (heureusement passager), Sorrentino se mit à observer, ennui aidant, les habitués du bar de l'hôtel de son escale brésilienne et finira par remarquer les habitudes, proches de la maniaquerie, d'un client consommant, chaque soir à la même table, la même bière. Et là, Naples de ses origines fit le reste, en y injectant une dose de maffia sicilienne. Et le tour, pensa-t-il, est joué ! Contrairement au titre, il s'agira, au final, des inconséquences de la paresse scénaristique, plutôt ! Un plombage cannois assuré ! Heureusement que le soir sur la plage de la Croisette, lovés dans des transats aux couleurs de Canal Plus, sur un gigantesque écran dressé, dos à la mer, des centaines de spectateurs pouvaient voir des images, d'une copie neuve, de La Bataille d'Alger, racontant l'épopée de jeunes Algériens, armés de leur seul idéal de liberté, partis à l'assaut de la citadelle coloniale. Ils avaient pour nom Hassiba Ben Bouali, Larbi Ben M'hidi, Ali La Pointe, Petit Omar, Djamila Bouhired, Djamila Boupacha, Djamila Bouazza, Zohra Drif, Yacef Saâdi et tant d'autres héros prestigieux de cette armée de l'ombre... Quel bond en avant, en France! Gigantesque. Le silence quasi religieux la nuit dernière, contrastait avec la haine verbale (et plus) qui avait suivi la brève tentative de sortie du film, il y a quelque trente années en France. Ici, un public, plus proche du Traité d'amitié auquel s'attellent les présidents Bouteflika et Chirac que des sinistres exploits d'un certain Aussaresses, est en totale communion avec les acteurs de cette révolution d'essence populaire dans tous les sens du terme. En 1989, on brûlait, sous prétexte de «mauvaise vie», une femme, à Ouargla et ici à Cannes Yacef et Pontecorvo nous rappelaient que les prostituées de la Casbah avaient joué un rôle logistique de premier plan pour appuyer le combat des fidayne. Enfin, en 2004, au moment où un code la famille de plus en plus rejeté, sévit encore, des images du film montrent la célébration d'un mariage dans la Casbah, sous l'autorité d'un commissaire politique du FLN, invitant les deux jeunes futurs mariés à parapher le registre des unions et ce, sans tutelle aucune que leur seule conscience responsable. C'était en 1956! Et ces Algériens d'hier se sentaient aussi croyants que ceux d'aujourd'hui (les zélateurs mis à part, bien sûr). Pontecorvo, avec un sens de la prospective aiguisée termine cette cérémonie civile par une récitation de la Fatiha, reprise en coeur par les habitants de cette demeure à patio et qui s'élèvera en un murmure apaisant et pacifique jusqu'aux hauteurs de la Casbah. Il est vrai que la démagogie n'avait pas encore, tout à fait, envahi le champ social à l'époque du tournage de ce film. Aujourd'hui, la représentation de la religion n'est pas exempte de reproches et les sempiternels médias occidentaux n'y sont pour pas grand-chose. Verra-t-on les ciné-clubs refleurir dans les lycées et autres résidences universitaires pour pouvoir projeter «La Bataille d'Alger» (par exemple) et pouvoir en débattre avec cette génération d'Algériens qui s'identifient à un dictateur tel Saddam faute de repères que le temps et les hypocrisies ambiantes ont fini par éroder? Cette projection cannoise a été l'occasion de faire un court inventaire de ce qui a existé, ce qui a été occulté, depuis, et de ce qui pourrait être repris et partagé à nouveau. Une belle nuit cannoise, que cette soirée-là qui a réveillé en nous le goût de l'optimisme de la volonté, quelque temps étouffé par le pessimisme de la raison, comme dirait l'autre...