Gillo Pontecorvo, qui vient de disparaître à l'âge de 86 ans, est le cinéaste italien dont le nom sera associé pour toujours à l'Algérie. Le retentissement de La bataille d'Alger, son film de référence à de nombreux égards, y est pour beaucoup. En fait, Gillo Pontecorvo souhaitait consacrer un film à la guerre de Libération nationale bien avant l'indépendance du pays. Il considérait, en effet, qu'il était du devoir d'un artiste engagé –et en tant que communiste il l'était– de prendre position contre le colonialisme. Ce projet n'avait, malgré le fait que la notoriété de Gillo Pontecorvo, à la fin des années1950, était suffisamment établie pour inspirer confiance aux producteurs, pas été concrétisé. Les autorités françaises ne facilitèrent pas la tâche au cinéaste italien dont le talent personnel ne pouvait pas suffire pour faire admettre un sujet tabou comme la guerre d'Algérie. Le film dont rêvait Gillo Pontecorvo ne se fera que bien des années plus tard et ce sera La Bataille d'Alger, une œuvre culte pour l'ensemble des cinéphiles dans le monde. Il n'est pas excessif de parler de chef-d'œuvre tant le film transcende le temps et le lieu pour représenter un sévère réquisitoire contre les exactions du colonialisme français. Nourri à la veine du néo-réalisme, Gillo Pontecorvo avait eu l'illumination du cinéma en voyant pour la première fois l'époustouflant Paisa de Roberto Rossellini. Gillo Pontecorvo ne pensait pas que sa vocation était de tourner des films. Chimiste diplômé, il avait choisi, à la fin la Seconde Guerre mondiale à laquelle il avait participé en qualité de résistant sous le nom de Barnaba, le métier de cinéaste. Le film magistral de Rossellini l'avait ébloui et a contribué à forger sa vocation de réalisateur. Dans La Bataille d'Alger, il y a bien sûr des résonances de ce romantisme rossellinien dont Gillo Pontecorvo n'avait pu se détacher facilement. Mais très franchement : l'élève se montrait digne du maître. Avant La Bataille d'Alger, Gillo Pontecorvo avait à son actif des films qui, comme Kapo et Un dénommé Squarcio, avec Yves Montand et Alida Valli, l'emblématique interprète du Senso de Luchino Visconti, le désignaient à l'intérêt des critiques. Gillo Pontecorvo était vite parvenu, avec l'aide du scénariste Franco Solinas puis celle du compositeur Ennio Morricone, dont il sera inséparable, à construire cet univers cinématographique qui atteindra sa quintessence avec La bataille d'Alger en 1965. Le cinéaste, né à Pise en 1919, a alors 46 ans et il a déjà atteint cette formidable maturité politique que l'on pouvait déceler dans sa démarche esthétique qui privilégiait une approche dépouillée des problèmes humains. Dénué de préjugés faussement académiques, Gillo Pontecorvo avait su, dès son premier long métrage consacré à une grève d'ouvrières, être le peintre des disparités sociales et idéologiques. Ses regards s'étaient tournés vers les thèmes durs comme celui de Kapo – une jeune juive qui devient la collaboratrice des nazis dans un camp de concentration – ou d'Un dénommé Squarcio qui décrit la bataille pour la survie d'un village de pêcheurs. C'était la marque caractéristique de l'univers pontecorvien, cette irruption de l'épaisseur documentaire dans la rigueur sans faille d'un récit qui n'est souvent que peu fictionnel, mais qui s'appuie au contraire sur le poids de l'histoire. A cet égard, il est juste de dire que Gillo Pontecorvo est tout entier dans La Bataille d'Alger, véritable film d'école qui place son réalisateur parmi les grands cinéastes du XXe siècle. Cette œuvre, avec son exceptionnelle charge universelle et humaniste, est entre autres qualités un réquisitoire contre la torture dont le ton implacable lui avait valu d'être interdit d'exploitation par la censure française jusqu'en 1971. Gillo Pontecorvo, pour autant, n'était pas de nature à rompre face à un tel interdit et l'immense succès de La Bataille d'Alger, modèle inégalé du genre, lauréat du Lion d'Or au Festival de Venise en 1966, le confortera dans l'idée que le cinéma, en tout cas son cinéma, était porteur de vérités. Son engagement pour la cause de la liberté ne se démentira jamais. Queimada, charge anti-esclavagiste, puis Ogro, dans lequel il est l'un des premiers à se pencher sur le terrorisme en prenant prétexte de l'après-Franco en Espagne, le situent dans les années 1970 comme un grand observateur des bouleversements nés des injustices faites à l'humanité. Il était entré par la grande porte dans la légende du cinéma mondial aux côtés des géants que lui-même vénérait en tant que cinéphile, et du plus grand d'entre eux à ses yeux, l'immense Roberto Rossellini. Cette grande porte, pour Gillo Pontecorvo et La Bataille d'Alger, est assez nettement celle de l'éternité.