Chacun voit midi à sa porte... «Période de transition», «transition démocratique négociée», «mandat de transition». Les appellations foisonnent. La revendication n'est pas nouvelle chez l'opposition. Le concept aussi. Mais associé à certains ingrédients politiques, notamment la période de campagne électorale, le mot «transition» prend subitement une connotation renouvelée. C'est comme la langue d'Esope, l'esclave. Un jour, le maître d'Esope lui demande d'acheter, pour des convives de marque, la meilleure des nourritures. Esope ramène des langues et les invités s'en régalent. Le jour d'après, son maître lui recommande d'acheter la pire des choses pour d'autres invités de moindre importance que les premiers. Esope achète encore des langues, disant que c'est la pire des choses. Moralité: comme la langue d'Esope, on peut faire à peu près ce qu'on veut de la transition. L'ancien président de la République, Liamine Zeroual, l'ancien chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche, le candidat indépendant, Ali Benflis, Saïd Saadi, le front des partis appelant au boycott, le général à la retraite Mohand-Tahar Yala, y compris certains partisans animateurs de la campagne de Bouteflika, tous nous servent cette «transition» à la manière d'Esope. D'un auteur à l'autre, elle peut être la pire comme la meilleure. Théoriquement, la «transition démocratique» est un processus politique qui permet un passage progressif d'un régime dictatorial à une démocratie. Selon les pays, elle peut prendre des formes très différentes et se dérouler en général sur plusieurs années. L'engagement dans ce processus présuppose également que les institutions sont à l'arrêt. L'Algérie est-elle dans ce cas? La réponse ne fait pas le consensus mais les positions pleuvent... C'est en conseillant aux électeurs de se rendre massivement aux urnes, le 17 avril prochain, que l'ancien président de la République Liamine Zeroual, suggère aux citoyens de transformer l'élection du président sortant Abdelaziz Bouteflika en mandat de transition. Lui emboîtant le pas, l'ancien chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche en appelle plutôt aux décideurs pour assurer cette transition qu'il ne conçoit pas en dehors du système et de l'institution militaire. Dans sa toute dernière sortie, sera-t-elle la dernière? M.Hamrouche a indiqué que la sortie de crise ne peut se faire qu'avec «Abdelaziz Bouteflika, Gaïd Salah et Toufik». Il a invité les trois hommes, l'actuel président de la République, le chef d'état-major de l'ANP, et le patron du DRS à se mettre autour d'une table pour se concerter sur un programme de sortie de crise. Pour s'inscrire dans une parfaite définition de la phase de transition, l'ancien chef de gouvernement fait remarquer que l'Etat est vidé de ses institutions. «Ni Parlement, ni gouvernement. Nous n'avons que des ministres et des députés.» Le candidat indépendant, Ali Benflis, surfe sur la même vague, et propose, s'il est élu à la présidence de la République, de former un gouvernement d'union nationale avec tous les acteurs politiques pour dégager un consensus autour de lui. Saïd Sadi, lui, propose une formation collégiale composée de personnalités indépendantes avec un cahier des charges précis. Pressés, les partisans de Bouteflika veulent s'aligner sur la proposition. Ils expliquent que le chef de l'Etat veut lui-même une transition. «De mon point de vue, le prochain mandat sera celui de la transition pour passer d'une étape à une autre, d'une génération à une autre», a indiqué Abdelaziz Belkhadem, un des soutiens du président sortant. Seule contre tous, la candidate du Parti des travailleurs (PT) pour la présidentielle du 17 avril, Louisa Hanoune, s'est prononcée contre une période de transition. «D'aucuns plaident pour une période de transition. Je dis que nous n'avons besoin ni d'une période, ni d'un mandat de transition car c'est une option dangereuse», a martelé Louisa Hanoune. L'ex-FIS dissous a appelé, lui aussi à l'organisation «d'une véritable période de transition avec la participation de toutes les forces politiques et sociales, agréées ou interdites dont le FIS». Plus «radicaliste», le général Mohand-Tahar Yala propose carrément l'arrêt du processus électoral et fixe à deux années la durée de la transition pour ensuite organiser une élection présidentielle. C'est la pire version de la langue d'Esope...