En cette Journée de l'étudiant, nous devons avoir une pieuse pensée pour ces aînés qui ont, à leur façon, mené un combat héroïque pour la liberté. Le 19 mai 1956, l'Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema) dans un appel à la grève illimitée des étudiants et des lycéens, déclarait notamment : «... Effectivement, avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres ! A quoi donc serviraient-ils ces diplômes, qu'on continue à nous offrir, pendant que notre peuple lutte héroïquement, pendant que nos mères, nos épouses, nos soeurs sont violées, pendant que nos enfants, nos vieillards tombent sous la mitraillette, les bombes, le napalm (...) Etudiants et intellectuels algériens, pour le monde qui nous observe, pour la nation qui nous appelle, pour le destin historique de notre Pays, serions-nous des renégats?» (Appel à la grève illimitée des étudiants et lycéens, dans la présentation du livre de Max Weber, Le savant et le politique. présenté par Nadji Safir. p.xx. Editions Enag. 1991). C'est en ces termes que les étudiants algériens proclamaient à la face du monde leur refus de perpétuer le pouvoir colonial. Les intellectuels de la révolution ont donc donné un contenu scientifique et culturel à la révolution en utilisant toutes les ressources de l'intelligence pour combattre la fausse image propagée par la France concernant les moudjahidine présentés comme des sauvages égorgeurs face à une nation civilisée. En effet, la seule inscription chaque année de la «question algérienne» de la session annuelle des Nations unies, avait autant d'impacts où les combattants de l'ALN se comportaient de façon héroïque. Que l'on songe aussi à la troupe de théâtre du Fln, aux poètes aux écrivains, aux poètes, qui ont, à leur façon, combattu sur tous les fronts, de par le monde pour porter haut et fort, la voix de l'Algérie combattante. Il faut savoir que le pouvoir colonial, qui a mis en place dès le départ son idéologie de la table rase, a mis en oeuvre une politique de déstructuration de la société algérienne en commençant par confisquer les biens habous, les fondations pieuses, en convertissant les mosquées en églises, en les détruisant, il tarissait du même coup les lieux d'enseignement qu'étaient les zaouias. La formation des maîtres disparaissait progressivement. Le nombre d'écoles qui, de l'avis des historiens, était important et pouvait rivaliser avec les «meilleurs systèmes éducatifs» européens de l'époque, gérés par les églises, fut réduit dans des proportions drastiques. On se souvient du rapport de la Commission d'enquête parlementaire en 1847 présidée par Alexis de Tocqueville. Il écrivait notamment : «Partout autour de nous les lumières se sont éteintes... Nous avons rendu la société algérienne beaucoup plus arriérée qu'elle ne nous connaisse.» On l'aura compris, étudier dans ces conditions, relève du parcours du combattant. Tout était mis en oeuvre pour freiner les jeunes Algériens à qui on offrait l'école indigène et suprême récompense : le Certificat d'études primaires. Il n'est pas étonnant dans ces conditions de voir que la production du système éducatif du temps de la nuit coloniale était très faible : quelques centaines d'instituteurs, de médecins, d'avocats et naturellement pas de cadres dans le domaine de la technologie. C'est dire si les rares étudiants qui sont arrivés au lycée et à l'université ont trimé sang et eau pour arriver à cette position sociale. On ne peut qu'être reconnaissants à ces aînés qui ont tout hypothéqué, sacrifié une position sociale chèrement acquise pour l'inconnu et qui pour eux était l'idéal de la liberté. Ces intellectuels, formés en dépit du pouvoir colonial, ont sacrifié leur vie. Souvenons-nous de Larbi Ben M'hidi, de Abane Ramdane et de tant d'autres anonymes à qui on doit d'être indépendants. Que reste-t-il des nobles idéaux qui ont animé les lycéens et les étudiants, algériens de cette époque? A première vue on constate, comme l'écrit si bien Max Weber, «un désenchantement du monde». Les étudiants sont terrassés par un quotidien incertain, par la condition de vie socialement misérable de leurs aînés enseignants. Ils sont de ce fait, de moins en moins politisés, et de plus en plus égoïstes, ils ne croient plus à rien, et tétanisés par une fatalité pour deux raisons majeures. D'une part, les difficultés qu'ils constatent au quotidien ne leur donnent comme image que les «bons exemples» en termes de vampirisme du pays, et de trabendisme de l'argent facile, de l'impunité et naturellement, on l'aura compris, à mille lieues des quelques repères moraux qu'on lui inculque. D'autre part, en tant qu'intellectuels potentiels, ils ne voient pas le bout du tunnel. Le marasme qu'ils vivent depuis les calendes grecques, leur faible espoir de voir un jour l'Algérie mettre en oeuvre, dans ce nouveau siècle, une autre légitimité continuatrice du devoir révolutionnaire. Cette légitimité de la méritocratie est le plus sûr garant pour mener une bataille autrement plus incertaine, celle de la survie, dans un monde qui ne fait pas de place aux plus faibles intellectuellement. Cette symbolique importante devrait faire l'objet d'un travail de mémoire et de ressourcement et être considérée avec la même dignité que les autres faits qui ont réellement jalonné les étapes de la glorieuse révolution de Novembre. A leur façon, les élèves-ingénieurs ont tenu à marquer leur fidélité à leurs aînés en tenant la 8e Journée de l'énergie ce jour-là, montrant ainsi (qu'elles) et ils sont (prêtes) et prêts à relever le défi de la survie scientifique et technique du pays en traitant un thème majeur s'il en est, à savoir les voies et moyens de conjurer une crise de l'énergie qui se profile à l'horizon. Nul doute que l'Algérie est intéressée à plus d'un titre par l'évolution du marché de l'énergie, tant il est vrai que les hydrocarbures sont nos seules «défenses immunitaires» que nous devons faire fructifier pour faire émerger une autre richesse beaucoup plus pérenne, «celle d'une société de l'intelligence et du savoir».